La place de la négociation

Comme on l'a vu brièvement au chapitre 4, l'approche économique de la négociation repose sur l'exploitation des asymétries d'information. Elle est en général modélisée de la façon suivante : chacun des deux acteurs connaît son prix de réserve (prix minimum pour le vendeur, prix minimum pour le vendeur). Dès lors que le prix de réserve de l'acheteur est supérieur à celui du vendeur, l'accord est possible et la marge de négociation ("bargaining range") est directement fonction de l'écart entre les deux prix. Le processus de la négociation est alors décrit comme une série d'offres émises par l'acheteur auxquelles répondent les refus (ou acceptations), les unes et les autres dépendant de l'anticipation que chacun a du prix de réserve de son vis-à-vis. La question est triple : savoir s'il est possible que les deux parties arrivent à un accord, connaître le temps de la négociation (nombre d'offres avant la vente), et prévoir comment se partagera le surplus 437 . Les modèle examinent alors les mécanismes dits "incentive compatible" (IC), c'est-à-dire ceux pour lesquels chacun a le plus intérêt à révéler honnêtement ses préférences. Un résultat classique de ces modèles est que, lorsqu'un intermédiaire ne connaissant pas les préférences des acheteurs et des vendeurs intervient, le montant d'échanges est inférieur au montant optimal. Certains distinguent entre des tiers neutres (médiateurs) et des tiers engagés (agents, notamment agents immobiliers) qui diminuent la probabilité d'un arrangement par rapport à une négociation directe : la commission réduit les marges de manœuvre de la discussion, et l'intervention du tiers peut produire un bruit dans la négociation. Dans cette perspective, l'apport de l'intermédiaire serait concentré dans la phase de recherche, au moment de la mise en contact, et non lors de la négociation. En revanche, si l'intermédiaire est informé des préférences, il peut améliorer les chances de parvenir à un accord et réduire le temps de la négociation en apportant une information sur la marge de négociation. Dans tous les cas, le prix de vente est censé être supérieur s'il y a un intermédiaire.

Comme indiqué au chapitre 4, les hypothèses sur la négociation sont traditionnellement abordées d'un point de vue expérimental. Avant de discuter des postulats de ce type de formalisation, nous allons en présenter deux exemples.

  • Le premier exemple est celui de l'expérience mise en œuvre par Catherine Mougel, que l'on n'avait pas décrite au chapitre 4. L'arrière-plan théorique est celui de la théorie des jeux. La démarche consiste à partir directement du surplus : il y a une somme (égale à 100) à se partager. Le jeu se fait en deux étapes. A la première, "l'acheteur" et l'intermédiaire font simultanément une proposition. Si elles ne sont pas compatibles (c'est-à-dire si la somme des deux propositions excède 100), le jeu s'arrête sans gain pour personne 438 . Si elles sont compatibles, le "vendeur" peut accepter ou refuser. S'il accepte il gagne ce que l'intermédiaire a proposé, moins une commission de 25% pour l'intermédiaire. L'acheteur gagne le solde (100 moins sa proposition). S'il refuse, le même jeu est rejoué sans l'intermédiaire mais le surplus n'est plus que de 90 (les 10 restant sont versés à l'intermédiaire 439 ), et c'est le vendeur qui fait une proposition. Dans un tel jeu, celui qui fait la proposition peut s'approprier la quasi-totalité du surplus puisque son interlocuteur a intérêt à préférer un partage inéquitable à la non réalisation de l'accord 440 . Les résultats s'écartent toutefois de cette hypothèse. Les expériences ont été menées sur huit sessions de neuf étudiants (72 participants en tout), appariés au hasard et de façon anonyme par groupes de 3. Au terme de chaque jeu ils sont payés dix francs plus cinquante centimes par point (l'expérience date de 1999, d'où la monnaie). Le gain moyen a été de 25 francs. A la première étape, les propositions de l'acheteur et de l'intermédiaire ont été compatibles dans 80% des cas et le vendeur les acceptait une fois sur deux, surtout lorsqu'elles étaient assez proches (alors que le vendeur a théoriquement intérêt à se passer de l'intermédiaire, pour avoir à faire une proposition à la deuxième étape et s'approprier le surplus). A la deuxième étape (lorsqu'il y en a), le taux d'accord est très élevé (95%) mais les vendeurs (qui font l'offre) ne s'approprient pas tout le surplus. A tous les stades de l'expérience, les intervenants ont plus tendance à faire (et à accepter) des propositions équilibrées (type 50-50) qu'à aller dans le sens du jeu et à faire des propositions les avantageant. Sans cacher une certaine perplexité quant à l'interprétation de ces résultats, l'auteur avance l'hypothèse de l'existence d'un sentiment d'équité. On peut également envisager qu'en l'absence de réel repère, les sujets de l'expérience se sont spontanément fixés sur les valeurs moyennes. Quoiqu'il en soit, les résultats ne paraissent pas généralisables ni même transposables à d'autres cadres : il s'agit surtout d'une illustration du type de vérification que propose l'économie expérimentale, censée pouvoir saisir des effets précis en l'absence de données sur la situation réelle.
  • La seconde expérience 441 , s'inscrivant à la suite d'une série de travaux des mêmes auteurs (notamment Abdullah Yavas) sur ce thème, est plus sophistiquée et permet de prendre en compte le rôle de l'intermédiaire 442 , le processus d'offres et de contre offres, et l'influence de la marge de négociation (en spécifiant aléatoirement les prix de réserve). Elle comprend trois sessions (une sans intermédiaire, les deux suivantes avec). Les sujets sont des étudiants de l'université de Pennsylvanie, aucun ne participe à plus d'une session. La communication entre les sujets, réunis dans une même salle, se fait sur ordinateur. Chaque session compte 26 rounds, chacun étant confronté à un interlocuteur différent à chaque round. Les conditions de la première session sont les suivantes : 12 sujets (6 acheteurs 6 vendeurs), avec une unité à vendre à chaque round. Le vendeur commence par poster un prix auquel répond l'acheteur, le round s'arrête lorsqu'ils sont d'accords ou au bout de 5 minutes. Leurs prix de réserve sont déterminés aléatoirement à chaque round. Ils ne connaissent pas le prix de l'autre mais savent que le coût pour le vendeur est compris entre 650 et 700, tandis que celui pour l'acheteur est entre 751 et 850. Un prix de départ est affiché. Le gain ("earning") du vendeur ou de l'acheteur est le prix de vente moins le prix de départ affiché : S'ils s'accordent sur ce premier prix, il n'y a pas de gain. A la deuxième session les conditions sont identiques mais on ajoute 6 intermédiaires non informés, les appariements restant aléatoires. A chaque round, les intermédiaires reçoivent une valeur indicative et une recommandation optionnelle, et transmettent une de ces deux informations. L'intermédiaire reçoit 6% du prix de la transaction. A la troisième session, les intermédiaires sont informés : il savent, dans un intervalle de 25 points, où se situent les prix de réserve de leurs interlocuteurs. La session commence avec 100 points, et dure 135 minutes. Les sujets sont payés un dollar tous les 50 points. Le gain moyen a été de 38 dollars pour la première session, 26 dollars pour la deuxième, et 23 dollars pour la troisième. Le nombre de négociations réussies était respectivement de 143, 135 et 130. Seule la différence entre les première session et les autres est statistiquement significative, ce qui infirme l'hypothèse selon laquelle les intermédiaires informés ou non informés auraient des rôles différents 443 . La marge de négociation initiale, qui est aussi le surplus potentiel, a un impact important sur la probabilité d'atteindre un accord. Le temps augmente avec la présence d'un intermédiaire, et encore plus lorsqu'il est informé (mais la différence informé /non informé est encore une fois non significative). Les acheteurs avaient la possibilité d'user de la stratégie de l'ultimatum : attendre le dernier moment pour faire une offre et contraindre le vendeur d'accepter, avec le risque d'être en deçà de son prix de réserve, voire de faire échouer la transaction si le vendeur trouve cette technique injuste ("unfair"). Aucun sujet n'a choisi cette tactique. Si on regarde le nombre de rounds avant qu'un accord soit trouvé, on voit qu'il diminue entre la première et la troisième session : plus longs, les rounds sont plus productifs. L'intermédiaire informé apparaît là comme un facilitateur de négociation (plus de temps, mais moins de rounds). Il se confirme également que les prix sont plus élevés avec un intermédiaire. Les acheteurs deviennent plus transparents à l'approche de la fin de l'expérience sans que les auteurs ne fournissent d'explication : il est tentant d'y voir l'acquisition d'un sens du jeu. Un autre élément va dans ce sens : bien que les propositions des uns et des autres soient corrélées aux prix de réserve, les sujets ne prennent pas appui sur elles et leur comportement n'évolue pas au fil des rounds, comme s'il n'y avait pas d'effet d'apprentissage. D'une certaine façon, les sujets se conforment plus aux exigences du jeu (tenter sa chance au début du round et se rapprocher de sa valeur de réserve à la fin), qu'ils n'apprennent à interpréter les offres qui leur sont faites. Les auteurs ne développent toutefois pas ce type d'explication et s'en tiennent à l'effet défavorable de l'intermédiaire sur la négociation : d'après eux, la question est de savoir si le gain qu'il apporte lors de la phase de recherche compense ce rôle néfaste.

Ces expériences sont intéressantes parce qu'elles fournissent des jalons à la réflexion, mais elles ne peuvent être reprises telles quelles. Sans insister sur les réticences que l'on peut avoir à propos de la démarche expérimentale dans les sciences économiques et sociales, ces deux exemples font apparaître des comportements révélant plutôt la nature conventionnelle de l'accord (équité, prix comme point de repère ou sens du jeu) plutôt que de la compatibilité entre plusieurs stratégies contradictoires de maximisation. En cherchant à épurer le processus la négociation, et à n'y garder que le processus de marchandage, les expérimentateurs ne parviennent finalement pas à mettre en évidence les incitations à révéler les préférences. Les critiques que l'on peut faire ne portent donc pas sur la forme du jeu, même si elle présente plusieurs points l'écartant de la négociation immobilière (on parle ici de la 2e expérience) : si le prix d'affichage est accepté par les deux protagonistes, il n'y pas de surplus (alors que cela signale en général plutôt un surplus pour le vendeur), la négociation est limitée dans le temps alors que ce n'est normalement pas le cas (il n'y a du moins pas de date limite fixée à l'avance), elle se fait entre deux ou trois acteurs alors que plusieurs personnes peuvent normalement faire des offres. Tous ces éléments peuvent faire l'objet de modifications et donner lieu à de nouvelles expériences. Le problème principal nous semble provenir de l'absence de prise en compte de la dimension conventionnelle de la négociation. On peut aborder cette dimension sous l'angle de l'arbitrage proposé par l'agent qui, voyant des offres à des niveaux trop différents propose une valeur intermédiaire, ou "juste". Le rôle d'arbitre est fréquemment rappelé dans les rhétoriques professionnelles comme dans les discours tenus en entretien. Ce directeur d'agence en réseau annonce ainsi : "La négociation entre particuliers, c'est un match de boxe sans arbitre, tous les coups sont permis". (Agence 24). On peut toutefois y opposer cette remarque d'une accédante récente : "Les agents immobiliers, ils vous font peur avec des trucs juridiques et avec des risques qui n'ont pas lieu d'être pour pouvoir se placer". Le problème se pose également en cas de mandat simple où le conflit d'intérêts entre le vendeur et l'acheteur se double de celui entre les intermédiaires :

‘"-Comment la concurrence des agences se fait sentir dans la négociation ? Quand les agences proposent des prix différents ?’ ‘-Ben, c'est pas la meilleure configuration. Nous on encourage les vendeurs à travailler au même prix mais ça c'est pas forcément un discours qui est entendu par tout le monde. Et puis maintenant la concurrence se fait sentir aussi au niveau de la pression que ça met sur une négociation, forcément. Il faut être le premier à conclure et on travaille de ce point de vue là dans un contexte moins serein. Surtout qu'on est dans un marché où dans le professionnalisme des agents immobiliers il y a vraiment quelque chose qui se perd, qui n'a peut-être jamais existé d'ailleurs, ou majoritairement qui n'a pas existé, et ça ressemble plus à une foire d'empoigne, chacun pour sa peau et voilà." (Agence 15)’

La figure de l'arbitre n'a donc rien d'assurée, ce qui renvoie encore une fois aux modalités de reconnaissance professionnelle. Le questionnaire lyonnais posait la question de savoir quel était le principal obstacle à la négociation : l'évaluation du propriétaire arrive en tête (38%) presque à égalité avec celle d'autres agences (36%), et loin devant la méfiance envers les agents immobiliers (15%) ou la situation de pénurie de biens (11%). Les conditions de la relation commerciale sont donc primordiales. En revanche, l'accord peut se faire sur le prix du bien, et sur la notion de prix de marché qui est étrangère aux problématiques présentées ci-dessus. Plus exactement, elles reposent sur le postulat que le surplus et le processus de négociation sont indépendants du prix réel du bien. Or le postulat selon lequel les prix de réserve des deux protagonistes sont fixes peut être remis en cause, de même que celui selon lequel l'agent n'a pas d'influence sur la fixation de ces prix de réserve : s'il existe effectivement une marge à l'intérieur de laquelle la discussion peut avoir lieu 444 ses bornes peuvent évoluer au cours de la relation commerciale, soit parce que l'agent réussit à faire valoir une certaine estimation du bien, soit parce qu'il a reformulé la demande de l'acheteur ou du vendeur (remise en question des capacités de financement indiquées au début, à la hausse ou à la baisse, façon de présenter autrement le délai, etc.) Toutefois, les agents raisonnent assez peu en termes de prix de réserve, sauf au moment de la prise de mandat et de la fixation d'un net vendeur (et même lorsque c'est le cas, il est susceptible d'évoluer si le bien ne se vend pas) : ils évoquent plutôt le rôle d'attracteur que peut avoir le prix de marché.

‘"- Quand on dit que la négociation est un usage dans l'immobilier ?’ ‘-Tout dépend de la façon dont les choses sont présentées, c'est toujours pareil. Nous, il y a plein de gens qui nous disent : nous de toute façon on va bien négocier. Ils ont presque l'impression de se faire avoir s'ils ne négocient pas. Tout dépend de la façon dont a été fixé le prix de vente. Si on propose un prix qui correspond au marché et que d'emblée on présente les choses comme non négociables, et qu'on est en mesure de justifier par comparaison avec d'autres biens, les acheteurs ils achètent à l'euro près. Même si ça fait un prix très bizarre, il peut ne pas y avoir de discussion. Par contre si vous présentez les choses en disant : visitez, si ça vous plait faites une proposition, on verra bien ce qu'il en advient, ben c'est sûr que ça encourage les gens à négocier. C'est vraiment une question de présentation. Si vous présentez un prix qui d'emblée est le prix du vendeur et que le vendeur a une idée très affective de la valeur de son bien, et du coup qui correspond pas du tout au marché, ben forcément ça va pousser un acheteur à faire une négociation et d'autant plus basse que le vendeur a surestimé son prix. C'est vraiment une histoire de présentation. On peut très bien vendre à des prix 123 827 euros alors que les gens pourraient dire 123 000, j'y vais, quoi. Y compris en francs à l'époque, on arrivait à des prix tout à fait précis sans qu'il y ait la moindre négociation. Alors encore une fois, le marché actuel et l'état de l'offre, la faiblesse de l'offre, pousse encore moins les acheteurs à négocier parce que c'est le premier qui s'engage et dans le meilleur des cas on évite la surenchère, donc pas question de négocier. (Agence 2)’

Comme on le voit, il s'agit presque moins de la pertinence de l'évaluation que de la façon dont elle peut paraître justifiée : par rapport à une incitation à négocier ("faites une offre") la fermeté du prix annoncé et même sa forme ("bizarre") qui suggère que le vendeur ne cherche pas à vendre au-dessus du prix de marché. Le mode de présentation permet au prix de fonctionner comme un point de repère et un point d'accord. A l'inverse, le fait d'afficher des prix moins fermes, à l'essai, est décrit comme le meilleur moyen d'enclencher une spirale déflationniste :

‘"Je me mets à la place d'un vendeur. Si un des professionnels lui dit : "vous avez bien raison et je peux même en rajouter un petit peu plus", c'est sûr que le vendeur y voit son intérêt. Il se dit pourquoi est-ce que je n'en profiterai pas pour gagner un peu plus. Donc on a quand même de la difficulté à les convaincre. Ce qui est dommage, c'est qu'un vendeur qui commence trop haut, en général, il finira plus bas s'il n'arrive pas à vendre au-dessus du marché. C'est-à-dire que si vous avez un bien qui vaut entre 100 et 110 pour reprendre notre fourchette d'évaluation, si on le met à 130 et qu'on le laisse un peu trop longtemps à 130, il va plutôt se vendre 100 que 110 à la fin de la… de la mission. Parce qu'il aura été galvaudé, parce que les acquéreurs l'auront vu à 130, qu'ils l'auront vu à 125, 120, 118, 115 et chaque fois ils seront dits : bon, ben on va attendre qu'il baisse encore un peu. Et puis quand le bien est à 110, il y a un acheteur qui passe et qui propose 95, et puis à 100 on se tape dans la main et on dit : c'est bon, quoi". (Agence 2)’

Dans ces deux descriptions, la question n'est pas la révélation des préférences et des prix de réserve, mais plutôt celle de l'objectivation d'un prix qui évitera d'avoir à entrer dans le marchandage. Cette diminution du prix de vente final des biens dont le prix d'affichage est surestimé est d'ailleurs un résultat classique de la microéconomie du brokerage 445 . Dans cette littérature toutefois, la dévalorisation est moins évidente pour des biens appartenant à des marchés actifs (thick market par opposition au thin market) que pour des biens atypiques. Cette distinction ne nous semble que partiellement de mise ici. On notera que cette évolution du prix du bien est parallèle à la dévalorisation du bien par une "mauvaise promotion" telle qu'on l'a décrite au chapitre 5. Cela vaut aussi pour la relation avec l'agent immobilier dont la traduction monétaire est le paiement de la commission :

‘"Les honoraires c'est entre 6% et 10% du prix du montant de la vente. C'est jamais les honoraires qui doivent faire capoter une vente, je suis désolé, mais si on a un vendeur qui veut vendre et un acheteur qui veut acheter, il n'y a pas à discuter en fonction des honoraires pour essayer de monter son prix de 0 virgule et quelque %. Donc c'est au propriétaire et à l'acheteur de prendre leurs responsabilités, sauf s'il s'avérait qu'on ait fait une faute dans l'estimation de la valeur du bien, par exemple, auquel cas effectivement, il faudrait aussi qu'on assume nos responsabilités. En tout cas dès lors qu'on a prévenu un vendeur et qu'on vend dans la fourchette qu'on lui avait donné, notre travail a été honnête, sincère, donc c'est à lui de…" (Agence 8)’

Peu d'agents se disent réellement prêts à diminuer sensiblement leurs honoraires pour aboutir à une vente (la technique employée par Alain de ne faire porter la négociation que sur la commission est loin d'être majoritaire). On voit dans cette citation que, dès lors que l'accord est sous-tendu par une objectivité (qui reste une convention, mais qui est quand même étayée par l'estimation du bien), il s'agit pour chacun de "prendre ses responsabilités", c'est-à-dire de se conformer à la logique de l'accord. Le fait de passer ensuite à un registre moral ("travail honnête, sincère") rappelle que l'agent n'a pas la capacité à imposer l'accord auquel il est parvenu (même si en réalité il tente de faire signer un compromis). La notion de prix de marché sera reprise au chapitre 7, l'important étant ici de montrer son rôle dans la production d'un accord, rôle de solidification des termes de l'échange qui permet de sortir de la logique d'appropriation du surplus dans un marchandage.

Notes
437.

On parle de surplus pour désigner le fait que des acteurs concluant une vente en deçà ou au-delà de leur prix de réserve réalisent un bénéfice. Par exemple, si un vendeur vend au-dessus du prix minimum qu'il s'était fixé, il s'approprie une part du surplus. Cela ne se fait pas nécessairement au détriment de l'acheteur, qui peut également avoir acheté en dessous du prix qu'il était prêt à payer.

438.

On parle alors de "ultimate bargaining game"

439.

Il s'agit d'une compensation, censée modéliser le fait que, dans la réalité, deux particuliers ayant sollicité un agent immobilier doivent lui verser un dédommagement s'ils concluent finalement la vente sans lui.

440.

Si un acheteur laisse 1 au vendeur et conserve 99, le vendeur a intérêt à accepter, préférant gagner 1 que 0.

441.

Abdullah Yavas, Thomas Miceli, C.F Simans, "An Experimental Analysis of the Impact of Intermediaries on the Outcome of Bargaining Games" Real Estate Economics, vol.29., 2001, p. 251-276.

442.

Dans la première expérience décrite, l'intermédiaire était présent dans tous les cas, alors qu'ici il est absent de la première session ce qui permet une comparaison.

443.

Comme pour la première expérience on peut envisager une interprétation conventionnaliste : l'information (même incomplète) donnée aux intermédiaires et transmise par eux aurait un effet aussi important qu'une information complète, car elle servirait de point d'appui aux deux autres acteurs.

444.

Certains éléments peuvent cristalliser les prix de réserve : une simulation de prêt, un achat après la revente dont le montant est fixé, etc. Néanmoins, ces bornes ne sont pas nécessairement fixes, l'acheteur ou le vendeur pouvant consentir un effort supplémentaire soit pour finaliser une vente parce que d'autres critères entrent en jeu (délais, etc.) soit parce que la négociation porte aussi sur d'autres éléments : meubles, etc. (cf. chapitre 5 les prises de mandat).

445.

Voir notamment John Knight, "Listing Price, Time on Market, and Ultimate Selling Price : Causes and Effects of Listing Price Changes" Real Estate Economics, vol.30, 2002 : contrairement à l'hypothèse selon laquelle la durée de vie d'un bien sur le marché valorise le bien (parce qu'elle permet d'attendre des propositions de prix plus élevées), il est ici démontré qu'elle est signe de dévalorisation.