Introduction

Les développements qui précèdent invitent à plusieurs reprises à s'interroger sur les effets produits par les différentes pratiques étudiées. L'enjeu consiste ici à quitter la représentation du marché comme environnement, comme ensemble de relations sociales nouées autour de biens mis en vente, pour viser une totalisation, celle du marché des économistes qui se caractérise par des prix, des quantités échangées et des règles de substituabilité entre les biens. Dans une certaine mesure, ce passage peut apparaître comme un cas de figure parmi d'autres des processus de remontée en généralité, problème scientifique central que la sociologie a pour beaucoup abordé sous l'angle de la question des rapports entres les niveaux micro et macro d'analyse. Elle est d'autant plus complexe à traiter qu'elle ne renvoie pas uniquement à l'armature conceptuelle utilisée mais également au fait que les instruments de mesure ne sont pas les mêmes pour chacun des deux niveaux. Ainsi, nous utiliserons pour cette partie, en plus du matériel déjà utilisé, la base de données dénombrant de façon exhaustive les agents immobiliers du Rhône (cf. chapitre 2), des données sur le marché lyonnais, et un corpus de petites annonces immobilières qui constituent le produit le plus facilement observable de l'activité des intermédiaires, ainsi qu'un bon moyen d'objectiver ce qu'ils représentent collectivement sur le marché. Ces divers matériaux seront décrits en détail dans les deux chapitres de cette troisième partie.

La démarche suivie ici va du micro vers le macro, sans qu'un tel mouvement détermine a priori la perspective à retenir ni la totalisation visée. En effet, les théories de l'explication du macro par le micro ne manquent pas 450 . La méthode du choix rationnel, incarnée par Raymond Boudon, qui consiste à observer les modalités d'agrégation de comportements d'acteurs dont on a au préalable explicité les logiques d'action 451 , ne peut s'appliquer tout à fait ici. En effet, bien que centrées sur une catégorie d'acteurs, les intermédiaires, les analyses qui précèdent ont moins cherché à faire émerger leur rationalité propre que les configurations dans lesquelles ils travaillent. Or, des configurations ne peuvent être directement additionnées ou agrégées. La généralisation de configurations suppose habituellement d'abstraire les traits structurants des situations de base pour voir de quelle façon elles s'articulent les unes aux autres et comment elles composent un effet. Que l'on parle de système d'interdépendances, d'effet de seuil ou de masse critique, de jeux et de dilemmes du prisonnier, de chaises musicales, d'effet pervers, etc., plusieurs modèles fournissent un appui pour restituer des logiques d'agrégation dans lesquelles la détermination des modes de comportement est secondaire 452 . Ils ne sont pas contradictoires avec la méthode du choix rationnel, et un auteur comme Mohammed Cherkaoui, tout en maintenant l'idée de la pertinence d'approches situées exclusivement à l'échelle macrosociologique, voit dans ce type de modèles d'interdépendances le meilleur outil pour passer du micro au macro, y compris, et surtout, pour les théories "actionnistes" du choix rationnel 453 . Plusieurs éléments sont susceptibles de nous orienter dans ce sens. On peut ainsi proposer des prolongements fondés sur le mandat simple (avec l'hypothèse que la multiplication mécanique de visites sur un même bien conduit à l'inefficacité du marché des services immobiliers), ou sur la négociation (la course à la première offre, qui distingue la transaction intermédiée du modèle du commissaire-priseur, concourt à légitimer les évaluations hautes des propriétaires et entretient la hausse des prix).

Sans dénier toute pertinence à ces deux hypothèses, il faut préciser que les configurations auxquelles elles renvoient ne sont pas des épures de la relation commerciale, tirées de l'observation des régularités et destinées à la modélisation. Comme le note Norbert Elias dans une définition de la notion de configuration qui repose sur la métaphore du jeu, il faut distinguer la règle du jeu de son déroulement 454 : les deux figures (mandat simple et négociation) s'inscrivent dans une relation commerciale qu'elles n'épuisent ni l'une ni l'autre et qui fonctionne avant tout sur les mécanismes de transposition des conditions de la relation entre intermédiaires et clients aux caractéristiques du produit. Cette formulation permet le mieux de tenir et de synthétiser l'ensemble des facteurs et des techniques qui façonnent la relation commerciale, et en particulier la différenciation des circuits de valorisation décrits au chapitre 5. Elle prend notamment en compte l'état de l'intermédiation, à savoir que peu de biens échappent totalement aux agents immobiliers (qu'il y ait un mandat, ou simplement une estimation) même si une part importante des ventes se font entre particuliers : cette situation rend peu pertinente une comparaison entre la vente directe et la vente "intermédiée". Si ce point de départ incite à regarder avant tout le travail de qualification et de mise en valeur, la question de la généralisation continue à se poser car la projection d'une relation sociale sur la qualification d'un bien n'est pas un mécanisme qui se laisse abstraire dans un modèle simple d'interdépendances.

La notion par laquelle nous mènerons l'étude des effets des pratiques des agents immobiliers est celle de valorisation, plutôt que celle de classification ou de qualification. Certes, cette dernière incorpore la dimension sociale du jugement et le lien (voire l'homologie) entre les rapports sociaux et les catégories de pensée, depuis le travail fondateur de Durkheim et Mauss selon qui "la classification des choses reproduit la classification des hommes" 455 . A bien des égards, nous nous situerons d'ailleurs dans la tradition de l'étude des représentations collectives initiée par ces travaux, en reprenant notamment ceux d'Halbwachs sur les prix des logements et sur la mémoire collective. Cependant, il nous semble essentiel de restituer la dimension marchande que le terme de qualification euphémise. Le travail par lequel un bien ou un lieu sont rendus attractifs, rares, recherchés ou substituables, et par lequel ils prennent une place sur un marché, va au-delà du conditionnement permettant de mettre en vente un logement (métrage, diagnostics, vérification de la propriété). L'évaluation et la qualification de biens, de services et de situations complexes aux caractéristiques hétérogènes ont été approchées par le concept de grandeur selon Boltanski (cf. chapitre 3), dans un rejet explicite du recours au terme de "valeur", trop polysémique, et dans le but de voir comment s'articulaient les différents registres dans lesquels s'exprime l'importance accordée à ces objets. La "grandeur" pourrait également convenir mais présente deux inconvénients. D'une part elle ne permet pas de faire le lien entre ces processus d'estimation, de qualification et la fixation du prix qui fait partie du travail de valorisation. D'autre part, elle met l'accent sur la façon dont sont reçus, diffusés ou altérés des discours ou des dispositifs d'évaluation sans s'attarder sur les conditions de leur production (concurrence entre acteurs, type de prises sur un bien et sur la relation, etc.) dont on a vu l'importance dans la relation commerciale. Toutes ces raisons conduisent à privilégier le terme de valorisation pour désigner la façon dont les agents immobiliers produisent les cadres de représentation et les dispositifs d'action à l'intérieur des marchés du logement. La notion de valorisation ne se situe donc pas en rupture avec les concepts proches mais vise à en préciser le sens dans le cas précis de cette étude.

La valorisation peut être étudiée à plusieurs échelles, que ce soit à un niveau global, c'est-à-dire dans un cadre national et/ou institutionnel donné, ou à celui du marché local, correspondant à l'agglomération. La première ne sera pas tout à fait écartée, le rôle des agents immobiliers sur la conjoncture et sur la fixation des prix présentant des aspects transposables d'un marché à l'autre. La dimension locale sera toutefois privilégiée. En effet, si l'on a pu repérer dans la partie précédente des modes génériques de mise en valeur des biens, ils ne prennent réellement leur sens que rapportés à un marché immobilier local, à un état donné de la concurrence entre agents, de l'offre et de la demande. Le fait d'atténuer la dimension spatiale des résultats présentés, par exemple entre agences des grandes villes et des villes moyennes, a pu amener à forcer le trait par endroits. En rapportant les résultats à un espace concret, il devient possible d'appréhender leur extension et leur domaine de validité. Dès lors la totalisation vise ce cadre local où il est possible de mesurer la représentativité des pratiques et de les référer aux tendances du marché.

Il peut paraître surprenant de présenter l'inscription de résultats génériques dans un contexte déterminé comme une forme de remontée en généralité. Porter le regard sur la spatialisation des activités et des représentations ne consiste pourtant pas à décliner des résultats dans des contextes divers, mais bien à transformer l'appréhension de ces résultats. L'espace est en effet une des modalités principales à travers laquelle se manifestent concrètement les phénomènes sociaux, ce qu'exprime Jean Rémy en ayant recours à l'idée de médiation :

‘"Les structures sociales et les structures culturelles s'avèrent, au niveau de l'explication, comme des éléments de base ; néanmoins, l'espace apparaît comme étant une médiation indispensable à partir de quoi se forment les concrétisations particulières et s'expriment de façons différentes les structures sociales et culturelles, car la conjonction –hic et nunc– des codes spatiaux et du support physique est une médiation essentielle à travers laquelle existent des rapports concrets entre agents. Les structures spatiales déterminent donc des effets propres, mais non autonomes, c'est-à-dire des effets qui se déduisent comme tels de la structure spatiale mais qui ne peuvent se comprendre qu'à partir de la structure sociale 456 ."’

Tout en reprenant à notre compte cette position, qui ne doit pas faire oublier que les acteurs sont également les producteurs de cette structure spatiale et ceux qui déterminent comment se fait cette médiation 457 , il est nécessaire de préciser que cela n'ouvre pas sur une étude monographique. Certes, les études de localités et de communautés 458 sont très proches de la vision de Jean Rémy car elles permettent d'éprouver la pertinence de grands principes explicatifs, et de révéler l'émergence de processus passés inaperçus, dont la réappropriation des centres anciens par les classes moyennes au cours des années 80. Comme le note Jacques Lautman 459 , qui s'interroge sur la possibilité d'en systématiser la conceptualisation autour de la notion de système d'action local, elles ne reposent pas sur un paradigme unique d'analyse et présentent souvent l'intérêt d'interroger et de remettre en cause les théories diffusionnistes du changement social. Cependant, on ne peut reprendre cette tradition d'études monographiques qui partent de la cohérence et de la consistance d'un espace ou d'un territoire donné, puisque l'analyse de la valorisation nécessite d'observer les évolutions relatives d'espaces différenciés. Par ailleurs, les acteurs que nous étudions sont dispersés dans l'agglomération lyonnaise, tandis que les agents immobiliers intervenant sur un secteur donné ne sont pas uniquement ceux qui y ont une agence. Les sources de notre approche ne sont donc pas à chercher du côté de la monographie mais plutôt de trois types de travaux distincts.

Les premiers sont ceux des économistes, dans leurs tentatives pour prendre en compte la dimension spatiale de l'économie 460 et de la conjoncture, mais surtout dans leur approche des marchés locaux qui a connu un essor à partir du milieu des années 1990 461 . L'économie immobilière a longtemps été un domaine peu exploré, au moins jusqu'à la crise de 1993 (à cause de la connexion entre la crise financière et immobilière), ce qui peut s'expliquer par des facteurs internes à la discipline, mais également par la propension à raisonner en termes de flux et de circulation, alors que l'économie du logement suppose de "redonner substance à la notion de stock" 462 . De fait, l'économie immobilière et la réflexion sur les marchés locaux accordent désormais une grande importance à la structure de l'offre et à celle du parc de logements, se centrant notamment sur l'analyse des interactions entre les différents segments du parc de logements. Leur prise en compte se fait également dans l'optique de comprendre et d'améliorer les modes d'intervention publique sur ces marchés locaux 463 . Ces interactions ne sont d'ailleurs pas toujours décrites à l'échelle locale :

‘"On ne peut manquer de rappeler l'articulation que propose la théorie économique des segments de marché à première vue bien dissociés. Le marché fournit, par les prix, des signaux qui sont bien perçus par les agents. Ces prix, qui sont des indicateurs de rareté, structurent les choix des agents, ce qui les amène à arbitrer entre diverses options : location/accession, neuf/ancien, individuel/collectif, centre/périphérie. Toutefois les ajustements de marché prennent du temps, tout particulièrement dans le domaine du logement qui relève de la longue durée et où les effets de stock l'emportent sur les effets de flux." 464

On peut nuancer cette approche car le problème n'est pas seulement celui du temps d'ajustement : les prix ne sont pas des signaux aussi clairs et il est nécessaire de voir quelle information ils portent exactement (ce que se propose précisément de faire l'analyse de la valorisation). Par ailleurs, il manque (paradoxalement) à l'étude des marchés locaux de restituer la spatialisation des valeurs immobilières à l'intérieur du marché local 465 . L'hypothèse sur laquelle nous nous fondons est que les prix ne sont pas seulement un indicateur exprimant la rareté relative d'un segment par rapport à un autre mais que des phénomènes d'appréciation et de dépréciation peuvent se jouer à l'intérieur de chacun d'entre eux. Les ventes d'appartements anciens en centre-ville ont ceci d'intéressant qu'elles sont à l'origine des dynamiques affectant les autres segments (propriété qu'elles partagent avec le marché locatif). Ici il ne s'agit donc pas d'étudier la totalité des marchés locaux de l'habitat mais, à l'intérieur d'un de ces "segments" dont on peut penser qu'il a un rôle d'impulsion, de voir comment se construit cette rareté et comment passe l'information sur elle.

Des remarques comparables s'appliquent au deuxième type d'études nous ayant servi de référence, celles sur les systèmes locaux de l'habitat. Ce type présente bien des similarités avec les précédents et renvoie essentiellement aux travaux de Jean-Pierre Lévy 466 . D'une certaine façon, on pourrait dire qu'il s'agit d'une description par les quantités du marché local puisque les systèmes locaux de l'habitat partent de la description du parc de logements. L'objectif ne consiste pas à analyser la formation des prix mais à articuler la structure du parc à celle des mobilités résidentielles : si la structure de l'offre conditionne les parcours résidentiels, les différentes catégories de logement n'ont pas "en tant que telles" de signification et doivent être ramenées aux caractéristiques des ménages qui les occupent (ainsi qu'à leur position dans leur parcours résidentiel). La démarche suivie doit être rapidement décrite car il y sera fait plusieurs fois référence par la suite. Elle comprend quatre étapes successives.

  1. Affectation à ces types de logements des caractéristiques des occupants (âge, PCS, statut d'emploi, nombre de personnes du ménage, etc.)
  2. Sur cette base, classement en types d'habitat, qui expriment le lien entre les caractéristiques physiques du parc et les caractéristiques sociodémographiques des occupants. Il est ainsi possible de voir à quelles phases du parcours résidentiel correspondent les différents types de logements. Les types d'habitat sont ensuite hiérarchisés (dévalorisé, intermédiaire, supérieur), à partir d'un indice sur la proportion de cadres rapportée à celle de professions intermédiaires.
  3. Dans un prolongement de ce modèle portant sur le cas de la Seine-Saint-DenisJean-Pierre Lévy, "Peuplement et trajectoires dans l'espace résidentiel : le cas de la Seine-Saint-Denis", Population, 2003, pp365-399., la méthode est complétée par une enquête sur la mobilité des ménages afin de voir entre quels types d'habitat ils circulent. Ce questionnement est doublé d'une hiérarchisation des aires résidentielles (sur la base du même indice que pour les types d'habitat) : les aires résidentielles ne se confondent pas avec les zones d'habitat (définies par la distribution des types d'habitat). Selon sa localisation, un type d'habitat n'a pas tout à fait la même valeur. Cela permet de distinguer des effets de lieux, distincts de la structure de l'offre. Les conclusions vont dans le sens d'un cloisonnement des trajectoires :
‘"Les ménages circulant entre les communes du département opèrent leurs choix résidentiels en considérant à la fois le statut socio-résidentiel des logements et le marquage social des communes. En prenant en compte les ressources inégales des communes, ces arbitrages aboutissent à la constitution de filières de mobilités cloisonnées par les hiérarchies locales des statuts résidentiels des logements et par les mécanismes d'embourgeoisement et de dévalorisation sociale à l'œuvre. Ils participent à la fabrication des marquages sociaux et des effets locaux et, de ce fait, à la transformation des spécialisations socio-territoriales préconstruites par les structures locales du parc immobilier". p393.’

Nous retiendrons essentiellement deux éléments de cette approche qui est sans doute la plus complète pour étudier la mobilité résidentielle dans une aire donnée et à laquelle il ne manque que les prix des logements et des loyers 468 : d'une part le fait que la valorisation s'interprète en référence à une structure donnée de l'offre et que les effets locaux doivent être distingués d'effets de structure qui renvoient à la configuration matérielle du bâti, et d'autre part l'articulation de la valorisation aux mouvements affectant chacun des types d'habitat. L'acquisition d'un appartement est une appropriation de l'espace distincte de la mobilité résidentielle : certes la majorité des acquéreurs réalisent un achat à but d'habitation mais ce n'est pas toujours le cas (investissement locatif, opération de marchand de biens). Il peut en outre s'agir d'achats qui modifient la structure de la propriété (si un propriétaire vient occuper un logement en location), de telle sorte que le stock de logements qui nous sert de référence est distinct de celui retenu pour les systèmes locaux de l'habitat.

Le troisième ensemble de travaux regroupe les mesures quantitatives de la ségrégation 469 , qui observent la distribution de différentes catégories de la population sur un territoire divisé en unités de base. Les évolutions sont saisies en statique comparative. Les catégorisations de la population, souvent réalisées sur la base d'analyses factorielles, peuvent mettre l'accent sur divers aspects comme le lien entre les polarisations socio-résidentielles et la répartition des activités économiques (cas du travail de Nicole Tabard sur toute la France 470 ). L'outil de classification est essentiellement la nomenclature des PCS qui permet d'utiliser les données de recensement et qui fournit une bonne image de la structure sociale, surtout utilisée à un niveau désagrégé comme le fait Edmond Préteceille pour l'agglomération parisienne 471 : au-delà de la mesure de la ségrégation, les résultats peuvent se lire comme une cartographie des mouvements de peuplements et des changements sociaux sur lesquels faire porter l'analyse (en repérant les endroits où "il se passe quelque chose" par rapport au reste de l'agglomération). En l'occurrence, ce travail conduit à s'interroger sur les espaces mixtes, intermédiaires, peu étudiés par les sociologues. De la même façon, il nous parait essentiel de rapporter les évolutions localisées aux évolutions générales de l'agglomération et aux évolutions différenciées des zones qui la composent. Dans notre perspective, il ne s'agit pas d'étudier le peuplement mais de voir dans quelle mesure la répartition des valeurs immobilières peut constituer un indicateur des processus sociaux à l'œuvre localement.

Ces trois types de travaux devaient être brièvement présentés car ils nous ont servi de référence pour construire notre représentation du marché local et parce qu'ils irriguent, de façon explicite ou non, les pages qui suivent. La valorisation produite par les agents immobiliers sera étudiée en référence à ces approches des marchés locaux. L'analyse de la valorisation sera menée en deux temps : le chapitre 7 rapportera les pratiques des intermédiaires aux deux grandes données de marché, les prix et les quantités, s'intéressant en particulier au lien entre valorisation et formation des prix. Le chapitre 8 se penchera sur la subdivision du marché local en sous-marchés locaux et sur la façon dont les agents immobiliers en construisent l'attractivité, les délimitations et les articulations.

Notes
450.

Nous ne reviendrons pas ici sur les approches constructivistes, qui, comme leur nom l'indique, se situent plus du côté de l'analyse de l'élaboration du social (dans la perspective de l'ouvrage célèbre de Berger et Luckman La construction sociale de la réalité) que de l'explication. Philippe Corcuff (Les nouvelles sociologies, Nathan coll. 128, Paris, 1995) voit dans cette modalité de l'articulation du micro et du macro le point commun des multiples courants renouvelant la sociologie contemporaine. Pour autant, il nous semble que ce type d'analyse convient mieux à l'étude de processus historiques, à l'instar de ce que Laurent Thévenot définit comme des investissements de forme. Dans le cas qui nous préoccupe, cette tradition conviendrait mieux à l'étude des conditions d'existence d'un marché qu'à son fonctionnement courant.

451.

Nous n'insisterons pas sur le fait que ces logiques d'action sont, dans les faits, parfois imputées à partir du résultat observé. Le fait que l'analyse boudonienne parte de résultats (collectifs) à expliquer pour remonter aux comportements est le signe qu'elle est plus l'héritière des théories fonctionnalistes (dont elle se veut la critique) qu'un avatar des approches compréhensives (qu'elle essaie parfois d'annexer). La discussion nécessiterait d'être menée plus longuement mais ce n'est pas l'objet de ce travail.

452.

Cf. Thomas Schelling, Micromotives and Macrobeahvior, New York, Norton and Cie, 1978: "What we typically deal with in economics, as in much of the social sciences, is a feedback system. And the feedback "loop" is typically one of these relations that holds no matter how people behave. An output of one part of the system is an input to another part." p50.

453.

Mohammed Cherkaoui, " le réel et ses niveaux : peut-on toujours fonder la macrologie sur la micrologie ?", Revue Française de Sociologie, n°38, 1997.

454.

Norbert Elias, Qu'est-ce que la sociologie, Paris, éditions de l'Aube, 1991 (1970). "Le jeu n'est pas non plus une idée, uin "idéal-type" à partir duquel un sociologue peut en tirer des généralités, en étudiant en soi le comportement de chacun des joueurs, pour ensuite déduire, de certaines particularités communes à tous, les lois du comportement individuel. (…) Ce qu'il faut entendre par configuration c'est la figure globale toujours changeante que forment les joueurs (…) L'interdépendance des joueurs, condition nécessaire à l'existence d'une configuration spécifique, est une interdépendance en tant qu'alliés mais aussi en tant qu'adversaires". p. 157.

455.

Emile Durkheim et Marcel Mauss, "de quelques formes primitives de classification, contribution à l'étude des représentations collectives", L'Année sociologique, n°6, 1908. Proposant une véritable archéologie de la "fonction classificatrice" les auteurs fondent leur travail, comme Durkheim le fait dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, sur l'étude des peuples "primitifs" en réfutant les thèses de Lévy-Bruhl selon lesquelles ils manifesteraient une pensée pré-logique : "Les classifications primitives ne constituent donc pas des singularités exceptionnelles, sans analogie avec celles qui sont en usage chez les peuples les plus cultivés; elles semblent au contraire se rattacher sans solution de continuité aux premières classifications scientifiques". Si l'on a pu voir dans cette perspective es fondements d'une anthropologie du symbolique (notamment dans les prolongements de l'école structurale), elle est également opératoire pour l'analyse des pratiques. On pense notamment à la façon dont Pierre Naville conçoit les qualifications professionnelles, ainsi qu'à la description que propose Pierre Bourdieu de la marge que laissent les classifications établies (titres, etc.) aux stratégies de distinction (Pierre Bourdieu, "Classement, déclassement, reclassement" Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°24, 1978, p. 3-21).

456.

Jean Rémy, Sociologie Urbaine et Rurale: l'espace de l'agir, textes présentés par Etienne Leclerc, Paris, L'Harmattan, 1998, p92.

457.

Yves Grafmeyer, Sociologie urbaine, Paris, Nathan coll. 128, 1995.

458.

La différence entre les deux a notamment été formulée par Laurence Ratier-Coutrot, "De "Middletown" à l'OCS : les études localisées", in L'esprit des lieux : localités et changement social en France, collectif, Paris, CNRS, 1986 : le renouveau des études localisées en France sous l'égide du vaste programme impulsé par l'OCS (60 localités étudiées sur cinq ans, entre 1977 et 1981), s'est fait en référence aux monographies classiques de communautés aux Etats-Unis depuis l'exemple de Middletown (Robert et Helen Lynd, 1929). Les études de localité apportaient toutefois l'idée que les communautés locales ne pouvaient être étudiées comme un tout unifié, de façon exhaustive et dans leur globalité, mais qu'elles étaient le théâtre de processus diversifiés. Ces études ont notamment été les premières à attirer l'attention sur le réinvestissement des centres anciens dégradés par les classes moyennes. L'autonomie locale et la résistance aux phénomènes nationaux, ou du moins la diversité de leurs déclinaisons selon des contextes donnés, sont les éléments qui ont le plus retenu l'attention et contribué à justifier méthodologiquement l'usage de la monographie.

459.

Jacques Lautman, "Pour une théorie de la localité", Cahiers Internationaux de Sociologie, 71, 1981.

460.

L'ouvrage de référence étant en France : Claude Ponsard (dir.), Analyse économique et spatiale, Paris, PUF, 1988.

461.

Nous y reviendrons par la suite, mais les deux contributions essentielles sont celles de Jean-Claude Driant, Les Marchés locaux du logement : savoir et comprendre pour agir, Paris, ENPC, 1995 et l'ouvrage collectif dirigé par Bernard Coloos, Comprendre les marchés du logement, L'Harmattan, Paris, 1997.

462.

Guy Marty, "Pour une théorie économique de l'immobilier", Revue d'économie financière, n° spécial sur la crise de l'immobilier, 1994.

463.

"A trop conduire des politiques pilotées par l'offre, dans des segments bien déterminés correspondant à une très nette catégorisation de la demande telle qu'elle est pensée, selon des rôles bien définis, on finit sans aucun doute par perdre de vue la globalité de la question et de l'articulation logement, habitat, vie sociale." Jean-René Bertrand et Jacques Chevalier (dir.), Logement et habitat dans les villes européennes, op. cit. p.233

464.

Jean-Jacques Granelle, Economie immobilière, Paris, Economica, 1998, p. 226.

465.

Il faudrait nuancer mais la question de la différenciation des prix dans l'agglomération sera reprise plus en détail.

466.

Jean-Pierre Lévy, "Les dynamiques socio-spatiales des marchés immobiliers", Revue d'économie rurale et urbaine, n°3, 1995. Jean-Pierre Lévy, "Habitat et habitants : position et mobilité dans l'espace résidentiel", in Yves Grafmeyer et Francine Dansereau, Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain, op. cit. p. 153-180.

468.

Une approche liant le peuplement et le prix des logements a été proposée par Nicole Tabard qui superpose la division de l'espace issue d'une classification des ménages sur critères sociodémographiques et la carte des loyers ("les loyers, reflet économique de l'organisation économique de l'espace", L'observateur de l'immobilier, n°23-24, 1993. la corrélation n'est pas totale entre les hiérarchies sociales et celles des loyers : des ménages modestes du centre-ville occupent de petits logements dont le loyer (ramené au prix au mètre carré) est élevé, souvent avec l'aide de la famille (cas des étudiants par exemple), pour pouvoir demeurer dans le centre. Toutefois cette étude ne prend pas en compte la structure de l'offre ni la mobilité résidentielle.

469.

Pour des présentations des méthodes on peut se référer aux contributions à l'ouvrage collectif dirigé par Jacques Brun et Catherine Rhein (La ségrégation dans la ville, Paris, L'harmattan, 1994) qui signale le regain d'intérêt de la recherche urbaine pour la problématique de la ségrégation. On peut également mentionner la revue de littérature de François Madoré, Ségrégation sociale et habitat, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

470.

Nicole Tabard, "Des quartiers pauvres aux banlieues aisées, une représentation sociale du territoire", Economie et Statistique, n°270, 1993, p. 5-22.

471.

Edmond Préteceille, "La ségrégation sociale a-t-elle augmenté? La métropole parisienne entre polarisation et mixité", Sociétés contemporaines, n°62, 2006, p. 69-93.