La notion de prix de marché

Il est donc nécessaire dans un premier temps de rappeler que les évaluations sont, comme le reste de la relation commerciale, soumises aux conditions dans lesquelles se présente l'affaire. L'estimation n'est pas uniquement un exercice technique, elle engage la prise de mandat, le prix d'affichage, et le jugement du vendeur sur l'agent, comme le rappelle ce responsable d'une agence récente : "Pour le vendeur, faire estimer son bien c'est une façon de juger l'agent immobilier sur son terrain." (Agence 7). Beaucoup d'agents s'en tiennent d'ailleurs à l'évaluation du vendeur (quelque soit par ailleurs leur réel sentiment sur la valeur du bien):

‘"C'est vrai qu'on est dans un marché un peu de pénurie en ce moment et qu'on manque de références donc les particuliers sont un peu… Et le vendeur il a toujours tendance à se baser sur les prix qui sont dans les annonces qui sont pas toujours les prix réels. Donc il y a parfois des difficultés à trouver le prix d'équilibre. D'autant plus qu'entre les professionnels il n'y a pas un langage qui est cohérent. Sans vouloir se jeter des fleurs ni tirer sur les autres, je pense qu'il y en a vraiment qui sont pas faits pour estimer des appartements, hein, et puis là aussi il y a différentes techniques de prise de mandat. Il y a une technique qui consiste à faire plaisir au vendeur, à dire : monsieur il n'y a pas de problème, vous pensez que votre appartement vaut 800 000, moi je le vends 800. Donc si on se met dans la peau du vendeur, ça interpelle un peu, on se dit : "ouais, effectivement, pourquoi pas ?" On tente notre coup. Et puis après on se retrouve dans une situation qui n'est pas forcément celle qu'on avait envie de connaître". (Agence 16)’

D'une manière générale, il n'est pas toujours évident de dissocier le contexte de l'intermédiation de l'estimation que construit l'agent (même s'il ne cherche pas à l'imposer). A la "technique de prise de mandat" qui consiste à ne pas chercher à convaincre le vendeur s'ajoute ainsi la difficulté pour l'agent d'estimer le bien s'il manque de mandats servant de points de comparaison, et d'autres ventes auxquelles référer le bien : sa connaissance des prix n'est pas un pur savoir-faire technique mais engage une perception générale de l'activité du marché et une mise en rapport des ventes faites dans un contexte donné. Il y a une oscillation entre le prix de marché (ici appelé "prix d'équilibre" par l'agent) et la "vraie" valeur du bien, ou valeur fondamentale pour reprendre les termes de l'industrie financière. On a vu au chapitre précédent que l'argument du prix de marché pouvait servir à réguler la négociation. Il n'en représente pas pour autant la valeur fondamentale du bien. Les deux prix peuvent entrer en ligne de compte :

‘"Il y a des informations techniques, qui rentrent je dirais à 50% dans notre évaluation. Dans notre évaluation, j'allais dire, du risque, il y a l'évaluation estimation de la valeur, d'accord, donc là il nous faut toutes les informations techniques concernant le bien, sa situation, et puis toutes les références pour pouvoir comparer et émettre une évaluation. Puis il y a l'évaluation du risque, qui va dire, ben à 50%. Il y a effectivement le rapport qualité-prix par rapport au marché : est-ce que ce bien, compte tenu de notre évaluation, le propriétaire est d'accord pour qu'on le propose à un prix pas trop éloigné du marché, ou au contraire éloigné du marché. Donc ça c'est l'approche un peu technique. Et puis il y a l'approche économique. Bon encore une fois, un vendeur qui nous dit : j'en voudrais 120 et que ça vaut 100, on peut peut-être essayer, mais dans trois semaines, OK, on se met à niveau il va falloir que je vende parce que j'ai un projet, je veux dire l'approche risque elle est pas très élevée. Si par contre encore une fois, le vendeur nous dit : c'est 120 sinon c'est rien et de toute façon je suis bien ici, bon, là l'approche risque, le risque est trop élevé pour nous quoi". (Agence 10)’

Ce type de conception est l'une de celle qui s'ajuste le mieux aux conditions de l'intermédiation puisqu'elle anticipe la vie du bien sur le marché : le "risque" présenté comme de la gestion d'actifs, correspond en réalité à une probabilité de vendre, estimée par rapport à l'évaluation d'un prix de marché. Il est rare que la représentation de la promotion du bien mime à ce point la logique financière. Le plus souvent, seule la valeur de marché retient l'attention :

‘" Si on y va par un raccourci, le prix de marché c'est le prix que quelqu'un est prêt à payer. Hein. Nous quand on évalue un bien, on donne toujours une fourchette de 10%. Il y a un prix d'équilibre et puis il y toujours + ou – 5%. Dans cette fourchette de 10% c'est la courbe de Gauss, donc c'est-à-dire qu'il y a 80% des gens qui sont dans cette courbe, 80% des gens qui sont prêts à signer dans ce prix là, il y en a 15% qui sont prêts à faire une affaire à un prix inférieur et puis 5% qui sont peut-être prêts à payer un peu plus, quoi. Alors on peut toujours essayer de toucher les 5%. Donc si on se met dans le créneau après c'est le jeu de la négociation. Si on tombe sur un acheteur qui a besoin urgemment d'un bien, qui vient de s'en faire souffler un sous le nez. Il va plonger à un prix élevé, plus élevé que le prix moyen. Si par contre on arrive difficilement à trouver un acheteur et que notre vendeur est pressé, on va peut-être être bien content d'en trouver un en dessous de notre prix moyen. Et globalement, c'est à peu près dans cette fourchette qu'on doit être capable d'estimer si on est un bon professionnel. Bon, encore une fois, le prix de marché il va fluctuer… Pour moi le prix de marché c'est ça, c'est la fourchette de 10%. Ça veut pas dire qu'elle évolue pas cette fourchette et qu'un appartement qu'on a évalué entre 500 et 550 000 il y a deux ans, aujourd'hui on l'estimera entre 650 et 700 000." (Agence 8)’

Cette analyse est celle d'un directeur d'agence anciennement implanté, bon connaisseur du secteur sur lequel il travaille mais qui n'en reste pas moins au prix de marché : estimer le prix est certes une affaire de "bon professionnel" mais revient essentiellement à estimer une demande, estimation purement empirique malgré le langage des seuils et des courbes employé par l'agent. Cette approche est très majoritaire. Les agences défendant une conception différente sont celles qui se placent également le plus dans la logique de la relation de service telle qu'on l'a définie au chapitre 6. On la retrouve en particulier dans l'agence 5, déjà citée comme représentative de cette position :

‘"-Nous devons évaluer un bien d'une manière extrêmement précise et réaliste et non pas uniquement sur des considérations de marché présent. En évaluation il y a une valeur qu'on appelle patrimoniale, valeur intrinsèque du bien, et puis derrière il y a une valeur qui est une valeur de l'instant présent, une valeur de marché qui peut être très éloignée de la valeur patrimoniale. Donc cette notion là d'évaluation, il faut arriver à la faire comprendre au client vendeur et puis également au client acquéreur, puisque ça peut être quelque chose d'assez redoutable si nous sommes dans une bulle spéculative comme au début des années 90. Un bien pourra être surestimé, donc un acheteur pourra faire un très mauvais achat. Le vendeur fera peut-être une très bonne opération, d'accord, mais l'acheteur, lui, fera une très mauvaise opération. Cet acheteur là va se transformer en vendeur, dans les temps à venir il va se retrouver en vendeur. Cet acheteur là on va le retrouver puisque, effectivement, aujourd'hui on constate que la stabilité d'un acheteur se situe entre 7 et 10 ans. On va retrouver nos clients acheteurs en tant que clients vendeurs. Si ces gens là on les a mal conseillés, eh ben, on aura d'autant plus de difficultés après à récupérer notre vendeur. (…) ’ ‘-Vous diriez que les vendeurs sont bien informés sur les prix ?’ ‘-Non, ils sont mal informés sur les prix. Et ils sont surtout mal informés par les professionnels qui ne font aucun effort, justement, de juste évaluation des biens. Tout le monde aujourd'hui s'inscrit dans une démarche de marché. Donc les prix n'ont pas tellement de sens en soi. C'est pour ça qu'on constate aujourd'hui des prix qu'on peut qualifier de complètement aberrants.’ ‘-Dans ces cas là vous refusez le mandat ?’ ‘-Non, ça nous arrive de le prendre, alors pourquoi ça nous arrive ? Mais encore une fois, nous informons les clients vendeurs de notre démarche. Nous ne restons pas silencieux. Là aussi on va se démarquer par rapport à nos confrères, parce que nous allons, du moins informer le vendeur quelle est l'évaluation que nous faisons de son bien, de sa valeur patrimoniale, mais derrière, compte tenu des termes du marché, compte tenu de la nécessité d'avoir des biens présentés parce que nous avons une clientèle, et bien nous allons accepter peut-être de présenter le bien en question à un prix qui nous paraît surfait. Peut-être, après, être amenés à le corriger. Encore faut-il que le vendeur puisse l'entendre cela. Aujourd'hui je dirais que le vendeur n'entend pas. Il n'entend pas parce qu'il est conforté dans cette impression de prix par les professionnels qui eux ont abandonné toute notion, je dirais, d'évaluation des biens. Des professionnels… Tous ces réseaux font du commercial, donc se basent essentiellement sur une valeur de marché. D'où vient cette valeur de marché ? Ça repose sur rien, c'est-à-dire qu'un jour un vendeur a eu l'idée de vendre le bien à tel prix, que ce bien là s'est vendu à ce prix là et qu'il en devienne référence". (Agence 5) ’

Dans cette description assez classique de l'écart entre valeur fondamentale et valeur de marché, on peut noter deux éléments importants : d'une part un jugement sévère sur la défaillance des intermédiaire dont la concurrence a conduit à multiplier les prix d'affichage sur un même bien (ce qui explique pourquoi les agents immobiliers ne peuvent jouer le rôle de force de rappel en cas de forte hausse des prix), et d'autre part une analogie entre la valeur de long terme du bien et la durée de la relation commerciale puisque le raisonnement anticipe sur la réaction de l'acheteur floué lorsqu'il sera vendeur "entre 7 et 10 ans plus tard" (alors que l'agence n'a que six ans d'existence). Cette projection dans la durée, à laquelle l'usage répété de la notion de patrimoine donne une résonance supplémentaire, est assez fréquente même si elle ne se répercute généralement pas sur les modes de fixation du prix : cela suppose de faire partir la relation commerciale d'une connaissance précise du bien. Parvenir à imposer ce que l'agent considère comme un prix de marché est la plupart du temps considéré comme une solution équitable et comme un défi dans une conjoncture de hausse rapide des prix. Ce prix de marché est vu comme équitable parce qu'il peut être détaché de l'expérience subjective du particulier. Celle-ci est d'ailleurs décrite comme "irrationnelle" :

‘"Il y a le notaire, dans le cadre d'une succession, il y a le confrère, ensuite il y a les voisins : qui a vendu et à combien. Ça c'est les manières les plus rationnelles. Moi je pose la question du marché. Et puis après il y a les manières irrationnelles, au regard de l'objectif de vente. L'affectif : "avec ce que j'ai fait dedans, je la vendrai pas moins de deux millions cinq, vraiment, j'y ai passé des heures". Là vous êtes dans l'irrationnel et faut vous battre, et souvent on n'y arrive pas. Vous avez la valeur de réachat : "moi j'ai bien vu qu'il me faut un million pour racheter quelque chose derrière, je la vendrai pas à moins d'un million cent". Ça c'est un peu bâtard. C'est irrationnel, c'est pas des critères objectifs. C'est subjectif : "je désire ça, donc…" Et puis après vous avez les critères qui peuvent paraître très, très cartésiens mais qui sont aussi dans l'irrationnel. C'est la compilation des coûts : "j'ai acheté mon terrain tant, j'ai acheté ma maison tant, j'ai refait la peinture à telle époque ça m'a coûté tant, j'ai eu une fuite d'eau, j'ai pas appelé mon assureur, j'ai tout fait moi-même et ça m'a coûté tant, et puis, et puis." J'en ai même qui m'ont sorti les intérêts d'emprunt pour calculer leur prix". (Agence 19)’

L'invocation de "l'irrationnel" est intéressante parce qu'elle ne se limite pas à l'affectif ou au subjectif : il faut aussi sortir le vendeur du calcul des coûts, qui peut être extrêmement précis (même s'il ne correspond pas à une expertise) : l'objectivité, le "cartésianisme" se définit ici par la comparaison avec d'autres ventes, ce qui n'a rien d'évident a priori. En effet, on peut penser qu'une évaluation fondée sur le prix d'achat et les dépenses consacrées à l'amélioration, même si elle doit être revue par rapport aux attentes du vendeur, ouvre sur la perspective d'une évaluation de la valeur fondamentale du bien, indépendamment des prix de vente dans le voisinage qui peuvent ne pas être nombreux et renvoyer aux conditions particulières de chaque vente. Or le raisonnement est inversé : les ventes réalisées acquièrent une valeur d'exemple au point de fournir, comme l'indique un agent cité plus haut, un prix de référence. Cette façon de faire va dans le sens de l'accentuation des tendances des prix. De fait, les ventes réalisées ne servent pas seulement de point d'ancrage mais peuvent également être employées pour anticiper des évolutions de prix, comportement que les agents imputent aux vendeurs et disent ne pas pratiquer :

‘"-Ils [les particuliers] ont une bonne idée à la hausse. C'est-à-dire que, oui c'est vrai que c'est marrant de voir qu'on a jamais… c'est-à-dire que ces dernières années le marché a augmenté régulièrement et assez fortement et on a pratiquement jamais vu le cas de se dire : tiens ça c'est un beau produit, et il est plutôt en dessous de la valeur du marché. Systématiquement, les produits arrivent et sont au-dessus de leur valeur marché. Et le prix s'ajuste avec le temps ou avec le conseil d'une agence, ou… Mais ça veut dire que les propriétaires ont tendance à anticiper l'évolution du marché et à la suivre, en étant légèrement au-dessus, mais à la suivre. C'est vrai que des fois on se dit : mais c'est fou. Donc ils sont plutôt bien informés. C'est étonnant de voir que les gens, les propriétaires, arrivent à suivre cette évolution du marché alors que pour quelqu'un qui n'a pas vendu ou acheté dans les trois dernières années, il entend : l'immobilier c'est assez à la mode, on voit des prix, des choses comme ça. Mais quand on n'est pas dedans vraiment, qu'on n'a pas acheté ou vendu, on peut pas avoir d'idées très précises. Les gens mettent leur appartement en vente à des prix qui, il y a quatre ou cinq ans auraient paru… N'importe qui aurait éclaté de rire. Des prix qui auraient paru irrationnels. Et eux ça leur pose pas de problème de mettre leur appartement à ce prix là, qui finalement n'est pas si éloigné que ça de la réalité. En général au-dessus, mais c'est pas si idiot que ça non plus.’ ‘-Ils arrivent à se faire une idée en lisant les annonces…’ ‘-Oui, en regardant les petites annonces, et puis bon en lisant les articles de presse qu'il y a. Et c'est vrai que je pense que c'est ça qui aide aussi à tirer les prix. Et c'est vrai que c'est un phénomène qui tire les prix vers le haut aussi. Quand on annonce systématiquement à la parution un produit plus cher que le prix auquel il va se vendre, ça tire les autres vers le haut. Ça va servir de référence pour d'autres propriétaires qui veulent vendre aussi.’ ‘-Et pour les acheteurs ?’ ‘-Oui, alors les acheteurs en début de recherche sont quand même de plus en plus surpris malgré tout. Ils sont un peu… Ils sont surpris, pas dans le bon sens en général. C'est pas la même réaction. On a quand même certaines fiches de recherche où on se dit : eux, c'est les prix d'il y a deux ans. On en a encore ces gens là, qui viennent dans le 6e…On en a plein, parce que c'est les gens qui commencent en fait, et puis au bout de 15 jours de recherche, en ouvrant n'importe quel support, ils s'assurent que ce n'est pas du tout les prix. Puis finalement ils repartent sur une autre base". (Agence 20)’

Le processus décrit peut-être reformulé de la façon suivante : la conjoncture haussière se traduit par le fait que les vendeurs visant une estimation dans le haut de la fourchette de prix qu'ils peuvent espérer parviennent à vendre, de telle sorte que cette évaluation haute devient la référence "moyenne" (voire minimale) pour les vendeurs suivants. Décrire ainsi le processus permet de resituer dans un cadre de marché les "bonnes affaires", les "bonnes opportunités" qui sont extrêmement présentes dans les représentations des différents acteurs et dont on peut penser qu'elles invalident l'idée d'un fonctionnement de marché : elles ne sont pas une série de singularités mais prennent leur sens par rapport aux désajustements entre les systèmes de référence utilisés. En effet, ces évaluations hautes des vendeurs sont tirées des petites annonces, alors que les agents ont plutôt comme point de départ des ventes réalisées au cours des mois précédents : le décalage entre les références utilisées implique que l'évaluation de l'intermédiaire se situe dans une perspective un peu plus longue (tout en restant dans une estimation du prix "de marché" et non de long terme), et qu'elle aille plutôt dans le sens d'une atténuation de la tendance, tandis que celle du propriétaire l'accélère et l'accentue. On peut faire l'hypothèse qu'en période de baisse, l'accentuation est le fait des acquéreurs même si, dans la mesure où ils réagissent à un prix d'affichage, cette hypothèse demande à être confirmée. L'important est ici que, comme on l'a dit à plusieurs reprises, l'agent n'est que rarement en mesure de faire valoir son évaluation dans un premier temps et ne peut que rarement jouer le rôle de force de rappel. Tout au plus peut-il relativiser la recherche de la "bonne affaire" en essayant de jouer sur le référentiel du client :

‘"De toute façon la valeur d'un bien ne vaut que par des références récentes dans le quartier. De la même manière qu'on s'évertue à dire aux gens que la valeur d'un bien ne peut être comparée qu'à ce qu'elle procure en contrepartie. C'est-à-dire que si vous vendez un quatre pièces pour acheter un quatre pièces avec des caractéristiques similaires, il y a toutes les chances pour que même si vous avez acheté votre quatre pièces il y a 4 ans 600 000 francs et que vous le revendez un million maintenant, vous deviez utiliser ce million pour retrouver un autre quatre pièce, donc dire : je fais une bonne opération, etc. Oui, par rapport à quoi ? Vous avez aussi le phénomène inverse parce que vous aussi quand le prix avait chuté en 1995. Il y a des gens qui achetaient un million trois un appartement, qui le revendaient 800 000. Si derrière ils réutilisaient cet argent pour acheter un autre appartement, s'ils étaient mutés, s'ils voulaient changer de quartier ou je ne sais pas quoi, c'était pas grave, s'ils avaient payé un million trois, ce qui valait à l'époque, enfin ce qu'ils achetaient maintenant 900 000 valaient à l'époque où ils avaient acheté le leur un million trois, valait un million trois. Parce que le marché avait baissé de partout". (Agence 1)’

Défendre un prix de marché revient à installer un espace de comparaisons qui permet de recadrer le calcul du particulier. Cet agent propose une nouvelle figure de la comparaison et de l'équivalence, passant des biens comparables aux prix relatifs, ce qu'il exprime par le terme de "contrepartie" (un T4 continue à valoir un T4 malgré les fluctuations de la conjoncture). L'espace de raisonnement ainsi élaboré glisse néanmoins rapidement de l'équivalence entre les biens à l'équivalence entre des projets, comme si les particuliers avaient une vision patrimoniale simpliste (valeur immuable d'un bien) qui ne peut pas être remise en cause par une discussion sur le bien, mais par une projection sur le parcours résidentiel. Cette argumentation a toutefois deux points faibles. Le premier est qu'elle ne concerne que les propriétaires rachetant un bien comparable : la primo-accession, la vente suite à une séparation, l'achat dans d'autres localisations, etc., ne permettent pas ce type de mise en rapport. Le second est que le prix demandé pour le bien mis en vente peut justement être fixé en fonction de l'anticipation d'une valeur de réachat, ce qui a été dénoncé par un autre agent comme "irrationnel" (l'exemple fourni dans la citation précédente n'incite d'ailleurs pas le vendeur à diminuer son prix puisqu'il relativise ce que ce dernier croit être une "bonne affaire"), ce qui demande à l'agent de resserrer le système d'équivalence instauré en revenant aux caractéristiques des biens : si un T4 doit permettre de racheter un autre T4, tous les T4 ne se valent pas. Il est donc nécessaire de disposer d'autres éléments d'objectivation, les plus pertinents étant les "références récentes dans le quartier".