Modes de valorisation

Supports et conditions de mise en vente

La concurrence prend son sens dans son articulation avec les modes de mise en vente. Pour l'approfondir, il est nécessaire de distinguer selon le type de journal : Logic Immo présente légèrement moins de petits appartements (21%), tandis que Top annonces au contraire en fait figurer plus (37%), au détriment des grands (9%). Le second rassemble moins d'annonces, mais les journaux les plus étoffés ne sont pas nécessairement les plus proches de la structure du marché. Les autres supports ne s'écartent pas significativement de l'ensemble de l'échantillon. La différence entre les deux journaux cités renvoie au fait que Logic Immo, laissant la place pour des photos plus grandes, est considéré par les agents immobiliers comme plus prestigieux que les autres. Top Annonces, et Se loger sont un peu moins considérés. On ne note pas de spécificité dans le type de biens présenté pour Se loger, qui présente un grand nombre d'agences et fait partie des tirages importants (60 000 exemplaires), susceptibles d'attirer de nombreux annonceurs. Si les différences existent, il serait excessif de dire que chaque support correspond à une gamme de biens ou à un segment de qualité donné. Il est donc plus pertinent de les distinguer par le mode de valorisation. Deux indicateurs permettent de décrire ce dernier : la proportion d'annonces avec photo, et la proportion d'annonces en encart. En les combinant, il est possible de distinguer deux groupes de journaux bien différents :

  • Les journaux Logic Immo, Direct Immo, Les p'tites annonces lyonnaises et L'Offre immobilière font la part belle aux photos (80% de leurs annonces en ont une) et aux encarts réservés à une agence ou un réseau (78% des annonces). On parlera à leur sujet de "journaux d'agences" pour souligner cette part des encarts qui permet de repérer d'abord les agences annonceuses.
  • Les journaux Se Loger, Top Annonces et Les nouvelles de l'immobilier au contraire n'ont de photos que pour 44% des annonces. Par ailleurs, les deux tiers d'entre elles sont insérées dans le corps du texte et non dans des encarts, de telle sorte qu'on les appellera "journaux d'annonces" par la suite : ils sont en effet plus proches dans leur présentation des journaux d'annonces distribuées dans les boites aux lettres.

Le choix d'un journal n'est pas la seule caractéristique d'une stratégie de promotion : le choix des qualificatifs est également révélateur. La difficulté de l'analyse de la valorisation vient de ce qu'une partie des éléments indiqués sur l'annonce ne relèvent pas d'une démarche spécifique de mise en valeur du bien mais des conditions habituelles de sa présentation : les contraintes de rédaction des annonces et le conformisme que l'on a pointés plus haut ont pour conséquence que la plupart des informations considérées comme importantes sont les mêmes d'une agence à l'autre. Tout trait singularisant le bien (terrasse, rénovations, pièces supplémentaires, garages, ascenseur, etc.) sera mentionné, sans que l'on puisse y voir le signe d'une stratégie particulière. Il faudrait évidemment nuancer mais, dans l'ensemble, il est difficile de distinguer ce qui relève du passage obligé de la description et ce qui entre dans le travail de valorisation. L'exemple suivant est à cet égard révélateur. Il porte sur quatre annonces, qui concernent deux biens différents : les deux premières sur un T3 affiché au même prix et les deux suivantes sur un studio mis en vente à des prix différents. Le texte des annonces figure dans le tableau 42.

Tableau 45 : annonces multiples
Même prix d'affichage Prix d'affichage différent
Dans l'offre immobilière, En grand encart sur fond noir: 2 photos : salon (pris de la terrasse, laisse voir la cuisine) et terrasse : "Sysley Lyon 3", en bandeau : "rare! En FNR573", "résidence 2002, 76m² + 100m² terrasse, 2 chambres, séjour de 35m², cuisine US meublée et équipée, garage double,
405 000 euros"
NB : dans l'encart, nombreuses autres offres au même prix ou plus cher, dont un "superbe ancien" à 475000 euros
Dans le texte, Les p'tites annonces lyonnaises, pas de photo : "Lyon 8, studio 30m², RDJ, dans résidence récente avec kitchenette, salle de bains, séjour parquet, parking, A voir,
110 000 euros"
Dans Logic Immo, petit encart, photo (prise du salon, montre la cuisine) : "Lyon 3e, Sans Souci, Magnifique T3 de 76m² au 5/5, terrasse 100m², séjour avec grandes baies vitrées, 2 chambres (11 et 15m²), SdB avec baignoire et douche, cuisine US équipée, cave, garage double, Fn réduits, A découvrir. 405 000 euros"
NB : l'agence est la plus chère de l'encart
Dans le texte, Se Loger, pas de photo : "Lyon 8, studio, appartement de 30m² en rez-de-jardin, bon état, immeuble récent, parking, pour habiter ou louer,
95 000 euros"

Notons d'abord la difficulté à repérer les multiples : s'il n'y a pas d'ambiguïté pour les deux premières (grâce aux photos), la différence dans les quartiers indiqués (Sisley pouvant être considéré comme faisant partie de Sans Souci) ne permet pas de les identifier tout de suite. Pour les deux autres, l'absence de photo laisse planer un léger doute, même si les caractéristiques présentées sont proches (surface, rez-de-jardin, parking, ancienneté de l'immeuble, même si ce critère est moins discriminant dans le 8e arrondissement 574 ). Dans les deux cas, il y a des écarts dans la description qui participent à l'effort de mise en valeur : baies vitrées et étage pour le premier bien, parquet pour le second. On peut les interpréter comme une forme d'anticipation de la demande : les baies vitrées pour un appartement en étage renvoient à la vue, à la luminosité, à l'ouverture sur la terrasse. Le "parquet" quant à lui compense la neutralité un peu froide que peut contenir l'image de "l'immeuble récent". Selon une logique de prix hédoniques le parquet pourrait expliquer la différence de 15 000 euros mais, dans la mesure où il s'agit du même bien, le différentiel de prix ne peut renvoyer qu'aux conditions de mise en vente. Pour le premier bien la valorisation est similaire : il s'agit de distinguer le bien d'un flot d'annonces comparables soit en insistant sur sa rareté et sur sa qualité (un produit de qualité, comme le cheval bon marché du syllogisme, étant rare), soit par l'usage de qualificatifs élogieux ("magnifique") et en incitant à venir le voir. Cet argument du bien "à voir" ou "à découvrir" est conçu pour montrer à l'acheteur qu'il ne doit pas s'en remettre au jugement d'un intermédiaire : ce dernier lui "propose" de découvrir un bien et un mode de vie qui sont censés parler d'eux-mêmes et l'image qu'ils produisent ne doit pas être construite pas le discours de l'agent. La valorisation du second bien est différente : la première agence vend le bien comme un espace à habiter, utilisant aussi l'argument "à voir" qui suggère une osmose entre le visiteur et l'habitat visité. La seconde agence, en revanche, ouvre plutôt la possibilité d'un investissement locatif. De façon tout à fait significative, la seconde agence est plus ancienne et plus proche (implantée dans le 7e arrondissement depuis le milieu des années 80) que la seconde, fondée en 2004 à St Priest : aucune des deux n'a été interrogée mais elles figurent dans la base de données des agences du Rhône. Au risque d'extrapoler l'histoire de ce bien sur laquelle nous n'avons pas d'autres éléments, on peut dire que ce cas parait représentatif de la différence pointée au chapitre 5 entre les circuits possibles de valorisation : l'agence récente affiche à un prix supérieur, tandis que l'agence ancienne et centrale (dont on peut penser, du fait de son ancienneté, qu'elle a un certain nombre d'investisseurs parmi ses clients acheteurs), positionne le bien comme un bon produit d'investissement autant que comme un espace de vie 575 . La suite ne dit pas laquelle de ces agences a conclu la vente, ni si le propriétaire ou une autre agence l'a finalement emporté mais les deux exemples illustrent le rôle des stratégies de valorisation. L'analyse des multiples peut se montrer riche d'enseignements sur ces processus. Elle laisse notamment penser que les écarts de prix dépendent du type de bien : l'écart moyen est de 5% 576 (un tiers seulement des multiples sont affichés au même prix), mais cet écart est variable (tableau 43).

Tableau 46 : écart de prix lorsque le bien est présenté par plusieurs agences (NB : pour huit biens, le nombre de pièces n'est pas indiqué)
  Biens au même prix d'affichage Biens affichés à des prix différents, jusqu'à 5% d'écart Biens affichés à des prix différents, plus de 5% d'écart Total
Petits appartements 4 6 10 20
Appartements de taille moyenne 25 30 16 71
Grands appartements 13 16 5 34
Total 42 52 31 125

Il y aurait un écart de prix plus important pour les petits appartements que pour les grands dont on aurait pourtant pu penser qu'ils donnaient lieu à plus de spéculation. Une explication compatible avec la concurrence des agences sur les grands appartements est celle du "pouvoir de négociation" (au sens de la microéconomie du brokerage) des vendeurs : les intermédiaires ne sont pas en mesure de discuter l'évaluation du propriétaire et s'alignent sur un même prix d'affichage. La part de biens affichés au même prix par des agences différentes serait un signe de la tendance à surestimer cette catégorie de biens. Il faut toutefois rester très prudent sur l'interprétation des données tirées du corpus des annonces multiples (même si elles vont dans le sens de ce que l'on observe par ailleurs) car il n'est ni exhaustif ni entièrement fiable (un doute subsistant sur l'identité de quelques uns des biens).

Notes
573.

"Frais de notaires réduits" : si l'immeuble a moins de 5 ans les droits de mutation sont de 1% au lieu de 4,8%

574.

Les annonces indiquent trois T1 de 30m² en vente dans le 8e arrondissement.

575.

La différence se lit jusque dans les termes utilisés : "résidence" dans un cas, "immeuble" dans celui de l'agence de centre ville. Les résidences désignent a priori un petit groupe d'immeubles mais les agents les utilisent fréquemment les deux termes comme synonymes. Ajoutons que le choix des annonces présentées n'a pas été guidé par les agences mais bien par les annonces elles-mêmes : ce n'est qu'après coup que la différence entre deux agences de type B, une ancienne et une récente, est apparue.

576.

L'écart est calculé en rapportant la différence de prix à la moyenne des deux prix. Dans l'exemple cité, il est ainsi de 15 000 / 102 500 = 14,6%. Lorsqu'il y a plus de deux annonces on prend les deux extrêmes.