chapitre 8 : la valorisation des espaces

‘Dans l'immobilier il y a trois choses importantes : l'emplacement, l'emplacement et l'emplacement.’

Dicton

‘"Mais si les pierres se laissent transporter, il n'est pas aussi facile de modifier les rapports qui se sont établis entre les pierres et les hommes". ’

Maurice Halbwachs, La mémoire collective et l'espace, p. 200

Afin d'approfondir l'analyse des effets de la mise en scène de l'offre par les agents immobiliers, il est nécessaire de prendre en compte leur caractère localisé. De fait, les développements qui précèdent ouvrent à de multiples reprises sur la question de la dimension spatiale des modes de valorisation. L'attractivité d'un bien dépend en effet en grande partie de sa localisation, au point que la valorisation des espaces est indissociable de celle des produits. Utiliser l'image d'un lieu donné pour assurer la promotion d'un bien revient certes à capter à des fins marchandes une valeur historiquement et socialement construite, résultat émergent ou partiellement intentionnel de la vie urbaine, mais cette activation des représentations existantes contribue à les reproduire, à les transformer et à les inscrire dans d'autres cadres de perception. L'installation de tels cadres est un des principaux effets de l'activité des agents immobiliers, qu'ils concluent la vente, qu'ils soient présents à un moment ou à un autre de la transaction, ou même si leur intervention est indirecte (lecture de petites annonces). Reprenant l'idée de Jacques Brun d'après qui "l'attractivité n'est pas un attribut économique simple et univoque des espaces et des localisations mais un fait de représentation sociale" 588 l'objectif est donc ici d'analyser la mise en valeur des espaces par les agents immobiliers.

Comme précédemment, la valorisation ne met pas seulement en jeu un travail de qualification mais renvoie également à la configuration des rapports des agents aux espaces concernés : concurrence, part des agences locales par rapport aux agences extérieures, etc. La valorisation sera étudiée dans ce chapitre à travers la territorialisation des activités des agents, qui se définit par deux axes interdépendants : l'appropriation et la délimitation. L'appropriation renvoie essentiellement aux conditions de l'intermédiation. A cet égard, la notion de parts de marché doit être complétée par des éléments tels que le rapport privilégié à des espaces ou à des clientèles locales, et les prises qu'il suppose sur la relation commerciale. Par délimitation on désignera les modes de spatialisation des activités des agents qui se transposent à l'ensemble du fonctionnement du marché : il ne s'agit pas seulement de la sectorisation des commerciaux, mais également des mode de présentation des biens (par arrondissement et par quartier) et de connaissance du marché, dont on a vu qu'ils reposaient sur la recherche de biens proches et similaires. Entre la vision globale de la conjoncture (qui peut être nationale ou internationale) et la fiction (performative) selon laquelle chaque bien représente un micro marché, les agents rendent opératoires des subdivisions intermédiaires du marché sur lesquelles se forment ensuite les prix. Elles peuvent correspondre à des échelles variées : l'immeuble, le quartier, la commune ou des secteurs plus vastes peuvent tour à tour s'avérer pertinents. Nous entrerons dans la question de la valorisation des espaces par cet aspect, en parlant de sous-marché local pour désigner ces subdivisons de l'agglomération (qui est elle-même un marché local) et en privilégiant les échelles correspondant aux secteurs d'agences : en effet, les facteurs expliquant la dynamique des marchés immobiliers locaux ne s'appliquent pas de façon uniforme mais interagissent avec les spécificités des sous-ensembles qui composent chaque agglomération. L'étude de ces spécificités est d'autant plus nécessaire dans le parc privé collectif ancien que les sélections, les filières d'accès et le travail des agents immobiliers y sont moins connus que dans d'autres types d'habitat. L'objectif consiste ensuite à voir comment se différencient les agences sur ces sous-marchés et quels rôles elles y tiennent.

Notes
588.

Jacques Brun, "Mobilités résidentielles et stratégies de localisations", in Anne-Marie Fribourg et Catherine Bonvalet (dir.), Stratégies résidentielles, op. cit