Critères

Il s'agit donc de justifier les critères qui ont guidé le choix des découpages comme instrument. Il y entre nécessairement une part de bricolage, de telle sorte que le problème est d'éviter d'imposer une vision a priori, pour ne pas dire ad hoc, de l'espace. Il est d'autant plus aigu qu'il s'agit d'articuler la spatialisation de résultats économiques (prix et quantités) avec la consistance d'entités urbaines historiquement constituées. La question des découpages pertinents soulève deux types de difficultés. Le premier est celui de leur statut : la définition du meilleur découpage possible est à la fois un résultat et un instrument de l'analyse, qui doit être opératoire techniquement (statistiquement) et cohérent avec ce que l'on sait déjà des contextes, de l'histoire et de la géographie sociale des espaces étudiés. La seconde vient de ce que les données dont on dispose sont agrégées : d'une part parce que c'est de cette façon que l'OTIF les fournit, et d'autre parce que notre objectif est de voir le lien entre les caractéristiques du marché immobilier et la spatialisation des activités agences immobilières, ce qui oblige à raisonner sur des espaces et non sur des transactions. Il peut en résulter des biais liés à la corrélation des caractéristiques, ainsi qu'un risque de valider abusivement certaines associations (par exemple soutenir que les acheteurs les plus âgés achètent les plus grands logements parce qu'il y a une corrélation entre l'âge et la taille des logements). Cette question de la déduction de propriétés individuelles à partir de propriétés collectives sera mise en suspens dans un premier temps : on ne cherche d'abord qu'à mettre à jour les traits structurants les marchés de l'ancien.

Le premier critère est celui du découpage administratif, commune ou arrondissement. Il a une pertinence du point de vue du marché : lorsqu'une rue sépare deux arrondissements (ou la ville centre d'une commune de banlieue), les prix des appartements sont différents des deux côtés de la rue. Par ailleurs, ces unités présentent la plupart du temps une certaine cohérence, que ce soit en termes d'agrégation de caractéristiques ou de représentations associées. L'inconvénient, fréquemment relevé, est qu'elles ne sont pas homogènes. Cette objection s'applique toutefois à n'importe quel découpage, et l'idée selon laquelle il serait nécessaire de raisonner à une échelle toujours plus fine pour gagner en pertinence ne s'applique pas à tous les objets d'étude. Le problème qui se pose ici est (au moins au premier abord) plus technique : il s'agit de l'effet taille, le nombre de transactions par communes étant très variable : certaines communes présentent un nombre suffisant de transactions pour être traitées comme des sous-marchés, d'autres doivent être subdivisées (c'est le cas de Lyon et Villeurbanne), d'autres enfin, même dans la première couronne, doivent être regroupées (cas des quatre communes des Mont d'Or appartenant à la première couronne). Cet effet n'est pas neutre, mais indissociable du phénomène de la centralité. Le biais statistique se double alors d'un biais socio-spatial qui complique l'interprétation des résultats 618 .

Pour Lyon et Villeurbanne, il est donc utile de délimiter d'autres secteurs. On combine alors deux définitions : celle des quartiers IRIS de l'INSEE (groupement d'îlots contigus, comprenant 1500 à 5000 habitants, censés être homogènes quant au type d'habitat) et celle des quartiers pour lesquels les notaires fournissent publiquement des prix. Les premiers sont les plus petits pour lesquels on dispose de données OTIF. Ils ont l'avantage de se situer à une échelle fine tout en étant relativement homogènes en termes de population (et en présentant une certaine consistance sociologique), ce qui limite les difficultés liées à l'effet taille. Il existe certes des IRIS à l'intérieur desquels passent des démarcations mais, en raisonnant sur un nombre conséquent de secteurs et à l'échelle de Lyon et de sa première couronne, on peut les considérer comme secondaires. De plus, si un IRIS est divisé en 2 zones bien distinctes, il arrive que l'une des deux n'ait qu'un très faible nombre de transactions par an (par exemple si elle comprend des résidences en logement social). Les IRIS constituent donc un bon échelon, mais tous ne sont pas suffisamment grands pour représenter réellement un marché local : la moyenne est de 41 ventes par an pour ceux de Lyon et Villeurbanne qui ont au moins une vente par an 619 (le maximum étant 120). Pour ne pas avoir à éliminer les quartiers IRIS ne connaissant que quelques transactions par an, il faut procéder à des regroupements.

Les quartiers pour lesquels les notaires (ou "quartiers notaires") fournissent une échelle intermédiaire intéressante, d'autant plus que leur délimitation n'a pas seulement une portée analytique : le fait que l'information sur les prix soit diffusée à leur niveau leur confère une existence et une autonomie (par exemple, ils vont être repris dans la presse si elle ne donne pas les prix par arrondissement ou commune). Toutefois, à part les prix, il n'y a aucune information publique donnée par la chambre des notaires. Par ailleurs ils ne sont pas définis avec une grande précision : la chambre des notaires du Rhône présente ainsi une carte où les noms sont indiqués mais pas les rues formant les frontières. Ce flou n'est que partiellement dommageable dans la mesure où les transactions se distribuent de façon discontinue dans l'espace. Notre travail a consisté à faire coïncider des ensembles de quartiers IRIS de Lyon et Villeurbanne avec les quartiers des notaires. La liste des IRIS entrant dans chaque quartier notaire est présentée en annexe, et la Carte 3 montre la partition réalisée. Le rapprochement entre les deux n'est pas toujours exact mais cette difficulté n'est pas insurmontable : l'agrégation des données IRIS est exacte et on peut considérer que le prix moyen donné par les notaires pour un quartier ne fluctue que très peu si l'on modifie légèrement ses frontières (d'autant plus que le prix du quartier voisin est parfois très proche). Les quartiers notaires n'ont pas toujours une consistance satisfaisante. Ainsi les quais de Saône (notamment dans le 1er et le 4e arrondissement) ne sont pas distingués des Pentes et du plateau de la Croix Rousse alors que, comme on le verra, ils constituent un repère important. De la même façon, le fait de regrouper le quartier "préfecture" (3e arrondissement) et "universités, dans le 7e, implique de situer dans la même localisation des immeubles bourgeois qui sont, dans les faits, aussi valorisés que ceux du 6e, et une partie de ceux de la Guillotière, secteur populaire et connu pour sa population d'origine maghrébine 620 . Plus généralement, dans ces quartiers de la rive gauche du Rhône, la distinction entre les grands boulevards comme l'avenue de Saxe, ou le cours Gambetta, et les rues adjacentes reste souvent réelle. Enfin, il est inévitable que les découpages opérés passent parfois au cœur de secteurs dont on aurait pu penser qu'ils formaient des entités autonomes : si cela est parfois vrai, il est rare qu'ils soient de taille suffisante pour représenter un sous-marché. Néanmoins, si ces quelques remarques n'invalident pas totalement la partition réalisée (aucune ne pouvant être entièrement satisfaisante), elles invitent à l'enrichir occasionnellement en observant les résultats au niveau de l'IRIS 621 .

Carte 3: découpage en quartiers notaires.

En ce qui concerne les autres communes, le nombre annuel de transactions ne justifie pas d'opérer un découpage plus fin. Au total, 52 unités, formant autant de sous-marchés, sont ainsi délimitées. Certes les communes sont loin de représenter des ensembles uniformes, mais le fait de n'y considérer que les ventes d'appartements anciens réduit une part de cette hétérogénéité. En ne gardant que les communes et les arrondissements, le nombre moyen de transactions par zone varie entre dix par an (Collonges au Mont d'Or) et plus de 1300 (Villeurbanne). Avec la définition des quartiers pour Lyon et Villeurbanne, la limitation aux communes de la première couronne et le regroupement de 4 communes des Mont d'Or (cf. infra), l'intervalle se réduit entre 52 (Plateau Duchère) et 512 (Guillotière). La moyenne est de 192. L'écart reste important mais il se réduit, tandis que la cohérence de chaque unité a, du point de vue de l'objet étudié, gagné en pertinence.

Notes
618.

Si l'on veut par exemple saisir l'effet de la taille des logements vendus (proportion de grands ou de petits appartements) sur la valorisation de certains secteurs, une ACP avec des chiffres absolus ne fera ressortir que l'effet taille, avec un premier axe exprimant au moins les deux tiers de l'inertie, tandis qu'un raisonnement sur des pourcentages sera faussé par le fait que les zones les plus denses auront, par définition, les structures les plus proches de la moyenne. Les spécificités manifestées sont alors celles des petites unités. Dans la mesure où notre objet consiste plutôt à voir les différenciations qui se dessinent dans les zones centrales, il apparaît que la correction de l'effet taille ne relève pas uniquement d'une préoccupation technique, mais aussi de la nécessité de limiter cet "effet centralité" pour en décomposer les caractéristiques.

619.

Les autres sont des quartiers de logement social ou des zones entièrement occupés par des espaces publics, hôpital, parc, etc.

620.

Ainsi, le quartier IRIS "Mutualité Liberté" (3e arrondissement) est à 1280 euros/m² en 1990 tandis que celui de Pasteur (7e) n'est qu'à 890. Le premier compte 35 transactions, le second 25, de telle sorte que la moyenne n'exprime pas réellement la valorisation de ce quartier dans les discours rencontrés (pour lesquels Préfecture et Saxe-Gambetta sont prestigieux).

621.

En ce qui concerne la cartographie, nous avons utilisé un fond de carte de la communauté urbaine de Lyon, redessiné en fonction de l'aire retenue (toute la communauté urbaine, la première couronne, Lyon et Villeurbanne ou simplement Lyon). Ce fond de carte n'est pas vectorisé et ne se prête donc pas à la réalisation d'un SIG. Le petit nombre de cartes réalisé pour chaque fond ne nous semble pas, en effet, justifier d'en élaborer un.