Mesure de la localisation des affaires à partir des annonces

Localisation des affaires et valorisation

A Lyon même, la densité des agences rend moins pertinente une réflexion sur les parts de marché. Par ailleurs, la localisation des agences y renseigne moins sur celle des affaires qu'elles traitent (rappelons que l'on trouve notamment dans les quartiers centraux les quelques agences de grande taille qui rayonnent sur toute l'agglomération). Cela n'implique pas de renoncer à toute approche des phénomènes d'appropriation et de découpage spatial par lesquels peuvent se lire les effets de valorisation. Dans le prolongement des analyses menées au cours du chapitre 7, nous nous appuierons pour cela sur les petites annonces. Certes, celles-ci ne donnent pas toute l'offre (puisque, dans le corpus traités, seulement 230 agences ont fait paraître une annonce sur Lyon et qu'une partie des agences lyonnaises n'y figure pas) mais elles renseignent sur la territorialisation de l'activité des agences en montrant, par exemple, si les affaires des agences sont concentrées ou dispersées, ou encore en indiquant si une localisation est surtout investie par quelques acteurs principaux ou si une multitude d'agences y détiennent des biens. Au-delà du dénombrement de l'offre, le fait de manifester sa présence en publiant des annonces (plusieurs annonces sur un quartier ou un choix diversifié) comporte une dimension d'appropriation 655 : les encarts des agences sont, on l'a vu, conçus comme de petites vitrines.

L'arrondissement est précisé dans 98,4% des annonces (seules 25 annonces ne le précisent pas ou ne permettent pas de le déduire) : dans tous les journaux, les annonces sont présentées par arrondissements ou groupes d'arrondissements. 77% des annonces précisent une localisation en plus de l'arrondissement. 229 "quartiers" sont ainsi nommés, dont 140 plus d'une fois et 35 plus de 10 fois : ces derniers correspondent dans les grandes lignes aux quartiers notaires. Une telle précision montre que les annonces s'adressent à des clients connaissant bien les démarcations de l'espace urbain lyonnais, et donc plutôt à des clientèles locales. Une comparaison avec les annonces sur Internet serait nécessaire pour voir si des traits plus génériques de l'espace y sont mis en avant, mais il ne nous semble pas que ce soit le cas. Les lieux cités moins de 10 fois sont fréquemment des noms de rue, de place de boulevard (Berthelot, Gambetta, Boulevard des Belges, etc.) ou de micro secteurs (Maisons Neuves, Perrache, Sathonay, etc.) qu'il est la plupart du temps possible de rattacher à un quartier notaire. Il y a une exception : la mention "centre ville" qui porte sur 9 annonces, dont 7 dans la Presqu'île, une dans le troisième et une pour laquelle l'arrondissement n'est pas précisé. A part ces 9 annonces, et celles qui ne mentionnent aucun quartier, toutes les localisations ont pu être recodées en quartiers notaires 656 . Ce découpage gomme une partie des effets de valorisation puisque certains micro-secteurs se révèlent particulièrement cités et servent de référence pour l'ensemble des quartiers alentours. De fait, il est parfois utile d'en revenir aux noms utilisés par les agents eux-mêmes. L'usage des quartiers notaires a pour but de permettre la comparaison avec les données sur le marché. La précision géographique n'est pas toujours exacte dans les annonces, notamment du fait de l'indication "proche quartier X". Néanmoins, il est alors probable que le bien soit situé dans le quartier notaire qui englobe la localisation fournie. Par ailleurs, l'important dans de tels cas est le choix du quartier de référence par l'intermédiaire, qui est un indice de la valeur attribuée au quartier.

Au premier regard, les logiques suivies par les agences semblent diverses. Leur analyse est compliquée par le fait qu'il est impossible de distinguer ce qui relève du cœur de l'activité de l'agence d'un fond d'activité dont on a vu qu'il pouvait être plus dispersé. Comme indiqué au chapitre 7, la majorité des agences ne publient qu'une annonce ce qui signifie souvent qu'elles sont extérieures à Lyon et/ou qu'elles ont d'autres annonces en banlieue, voire au-delà. Les agences qui présentent deux biens ou plus sont pour plus des trois quarts des agences lyonnaises (80% si l'on compte les agences en réseau pour lesquelles seul le nom du réseau est indiqué). Les annonces des "mono-annonceurs" manifestent une présence sporadique qui n'est pas sans conséquence sur le fonctionnement du sous-marché concerné (ce qui sera étudié plus bas) mais donne peu d'indications sur la distribution des affaires d'une agence. En regardant plus en détail les biens détenus par les autres annonceurs, l'inscription spatiale des agences apparaît plus clairement. En moyenne, ces annonceurs présentent 6,25 biens différents, dans 4 quartiers notaires différents. En retirant ceux où ils ne font passer qu'une annonce, et où l'on peut penser que leur présence est sinon fortuite du moins épisodique, l'aire se restreint et on parvient à saisir quels sont les secteurs privilégiés par l'agence. Ces restrictions successives peuvent paraître abusives mais, dans la mesure où chaque agence ne fait paraître en moyenne qu'un petit nombre d'annonces, le fait d'en passer plusieurs pour des biens dans le même secteur est un bon indicateur du rapport privilégié de l'agence à ce sous-marché. La cohérence géographique de la répartition apparaît si l'on regroupe les quartiers notaires en ensembles plus larges, qui reprennent ce que l'on a dit plus haut de l'articulation des sous-marchés. Ceux retenus sont :

  • Presqu'île : quartiers notaires de Presqu'île, Terreaux, Bourse et Charlemagne
  • Croix-Rousse : quartiers notaires des Pentes, Croix-Rousse centre et Croix-Rousse plateau
  • Rive droite : tout le 9e et le 5e arrondissement
  • Rive gauche : quartiers notaires de Tête d'Or Saxe, Brotteaux, Bellecombe, Préfecture Universités
  • 3e, 7e et 8e centre : quartiers de Part-Dieu, Sans-Souci, Monplaisir
  • 3e, 7e, 8e périphérique : quartiers de Lacassagne, Montchat, Etats-Unis/Mermoz, Gerland, Guillotière

Sur les 118 agences publiant des annonces pour plus de deux biens, 68 le font dans un seul des ces secteurs 657 , 27 dans deux, 12 dans 3, et 11 dans quatre secteurs ou plus (seulement trois agences le font dans les six 658 secteurs). Les secteurs les plus souvent associés sont les 3e, 7e et 8e centraux avec leur périphérie (18 agences) ou avec la rive gauche (20 agences), ou entre la rive gauche et la périphérie des 3e, 7e et 8e (18 agences), ce dernier correspondant moins au schéma des interconnexions entre sous-marchés décrits plus haut. On peut y voir une trace du grand nombre d'agences dans le 6e et le 3e, agences qui sont amenées passer des annonces dans leur secteur et dans au moins un autre. L'autre grande association se fait d'ailleurs entre la rive gauche du Rhône et la Presqu'île (13 agences entre rive gauche et la Presqu'île, 15 entre rive gauche et la Croix-Rousse), ce qui fait écho aux circulations évoquées plus haut entre les marchés les plus centraux. En ne prenant en compte que les agences qui ont des annonces dans deux secteurs, l'homologie avec les secteurs de marché décrits précédemment est encore plus nette 659 . De tels résultats confirment ceux du questionnaire et montent bien à l'intérieur de quels espaces les agences peuvent envisager d'agir sur les choix de localisation des acquéreurs, et notamment vers quel secteur "secondaire" ils peuvent réorienter les demandes pour lesquelles le centre est trop cher. Même si toute l'offre ne figure pas dans les petites annonces, elles sont révélatrices de la territorialisation des affaires des agences. Par conséquent, elles sont aussi révélatrices des modes de valorisation de ces espaces.

Notes
655.

La représentation territoriale de l'espace ne passe pas seulement par les petites annonces mais aussi par la visibilité des agences (vitrine, etc.) et de leur pratique. En particulier, le fait de mettre un panneau à la fenêtre en cas de mandat exclusif est un signe fort, ce qu'indique (a contrario) cet agent anciennement implanté dans le 7e (Agence 11) : "Moi j'ai jamais piqué. J'ai des bonnes relations avec les autres, les agences nouvelles dans le quartier. J'ai jamais piqué et j'ai même jamais mis de panneau. Si vous mettez un panneau, vous agressez les autres agences. C'est une forme d'agression."

656.

Il y a parfois deux indications de lieu, ce qui facilite le recodage.

657.

Ils sont proportionnellement plus nombreux à la Croix-Rousse et moins nombreux rive gauche et Presqu'île (ce qui s'interprète par le fait que les agences qui s'y trouvent rayonnent au-delà de ces secteurs, tandis que celles des autres secteurs cherchent à y avoir quelques biens de prestige) ainsi que dans les quartiers périphériques du 3e, 7e et 8e (ce qui renvoie au fait que les agences y travaillant sont implantées ailleurs, notamment dans les parties centrales de ces arrondissements).

658.

On y trouve le réseau Logidirect, le plus gros annonceur (109 biens différents) parce qu'il présente les ventes de l'ensemble du réseau et qu'il n'est pas toujours possible de distinguer les agences : on les a donc conservées groupées. Les deux autres sont des annonceurs importants mais indépendants dont on peut penser qu'ils mettent la plupart de leurs mandats : une agence de la Presqu'île fondée en 1997 dont le chiffre d'affaires est très élevé pour une agence immobilière classique (500 000 euros) et qui a des mandats sur toute la ville, et une agence du 7e arrondissement fondée en 1992 qui privilégie deux types de localisations : le 7e et l'Est lyonnais d'une part, le 1er d'autre part. Notons que la Presqu'île est le secteur "écarté" par les agences ayant des annonces dans quatre ou cinq des six secteurs.

659.

Aucune agence n'associe les 3e, 7e et 8e (centre comme périphérie) à la Presqu'île, ni à la rive droite. En revanche les principales associations énoncées ci-dessus concernent toutes 3 ou 4 agences.