Conclusion

Une thèse est à la fois un exercice académique et un travail de recherche qui, sans épuiser l'objet étudié, enrichit sa connaissance et lui fait prendre place dans le champ scientifique. Dans la mesure où nous espérons avoir été plutôt du côté de ce deuxième aspect, nous rééquilibrerons la balance en faveur du premier en commençant cette conclusion par un bilan, que suivront les perspectives de prolongement.

Ce travail a été réalisé dans une conjoncture spécifique de hausse des prix, d'abord perçue comme un rattrapage après la crise de 1992-1993, puis comme la phase haute d'un cycle et enfin comme un emballement, parfois décrit comme essentiellement spéculatif même si, on l'a dit dès l'introduction, cette lecture ne doit pas faire oublier les facteurs réels de la hausse des prix. Aux commentaires sur la bonne tenue du marché a succédé une série interrogations sur les causes de cette hausse et ses répercussions à l'ensemble de la chaîne du logement. De telles préoccupations, portées sur le débat public, ont constamment rattrapé notre réflexion dont une des conclusions est pourtant que les agents immobiliers n'ont joué qu'un faible rôle sur la conjoncture, et n'ont pu empêcher les prix d'atteindre des sommets que beaucoup d'entre eux considéraient comme abusifs. Lors de la rédaction, l'actualité immobilière a été dominée par la crise des crédits hypothécaires aux Etats-Unis, propagée par les produits financiers tirés de ces crédits, mais puisant son origine dans les difficultés de remboursement des ménages, et par un retour de l'idéologie d'une société de propriétaires, autour d'une mesure d'allégement fiscal non axée sur la solvabilisation des ménages ni sur l'accession sociale (remboursement d'une partie des emprunts immobiliers contractés à partir de mai 2007). Il ne s'agit pas de suggérer des rapprochements fâcheux entre les deux, mais de préciser que la conjoncture et le débat public sont présents à l'arrière-plan de notre travail, même si l'objectif de la recherche est d'aller au-delà et de s'intéresser à des régularités et à des facteurs susceptibles d'être observés dans d'autres contextes.

Ainsi, la parution, au moment de l'écriture de ces lignes, d'un rapport de la DGCCRF pointant un grand nombre de fraudes commises par les agents immobiliers 667 est à rattacher à la démographie professionnelle et au contexte particulier mêlant la hausse des prix à une relative stagnation du nombre de transactions, contexte qui se traduit par une véritable raréfaction si on la rapporte à la croissance du nombre d'agences. De ce point de vue, la hausse des prix et l'accélération des transactions renforcent certains des traits généraux de l'intermédiation en France, notamment les effets du mandat simple. Si les agents immobiliers n'ont qu'une faible prise sur la conjoncture, cette dernière accentue les évolutions du métier.

Soumise à de nombreuses transformations, la profession d'agent immobilier ne semble pas menacée à brève échéance, même si un retournement de conjoncture peut provoquer des disparitions d'agences, comme cela a été le cas au cours des années 1990. La généralisation des nouvelles technologies et des annonces en ligne, parfois décrites comme étant de nature à la faire disparaître a été concomitante de son extension, d'autant plus que les agences immobilières sont plus présentes que les particuliers sur ces supports et mieux armées pour en tirer profit. De la même façon, les nouveaux entrants issus de métiers plus ou moins proches de la négociation immobilière, qui sont pour l'instant en petit nombre et dont il est difficile d'anticiper la place future, semblent devoir être appréhendés comme les vecteurs des mutations de la profession plus que comme ses fossoyeurs.

Il est dès lors plus pertinent d'étudier ces acteurs du marché en tant que tels, d'observer les lignes de structuration et les diversités internes à la profession, ainsi que les pratiques de ses membres, que d'inférer le sens de ces pratiques ou de les évaluer à l'aune du rôle qu'on leur suppose a priori sur le marché, voire du besoin qu'ils sont censés satisfaire. C'est par ce biais qu'il sera possible, entre autres, de déterminer si les agents immobiliers peuvent être des prescripteurs d'autres prestataires de service, comme ils le sont parfois pour les diagnostiqueurs, les banques ou les notaires. De grandes entreprises de service à l'habitat et de fourniture d'énergie s'interrogent sur la façon de profiter de la position privilégiée que peut avoir l'agent immobilier auprès des particuliers, mais les partenariats de grande envergure sont pour l'instant passés par le relais des organisations professionnelles. La réussite et le développement de telles collaborations devront s'appuyer sur une connaissance plus fine des professionnels visés.

A cet égard, et sans revenir sur les caractérisations opérées dans le corps du texte, on peut rappeler brièvement les principaux critères de différenciation des agences. La différence entre membres de réseau et indépendants apparaît comme la plus flagrante, mais ne doit toutefois pas masquer l'importance d'autres facteurs tout aussi structurants. Le premier concerne la nature et le nombre des activités exercées qui déterminent à la fois un grand nombre de pratiques et l'intensité des relations avec les autres professionnels de l'immobilier. L'ancienneté de l'agence donne à la fois une indication sur le rapport avec les clientèles (renvoyant à ce que l'on pourrait appeler un "effet d'âge") et sur le contexte dans lequel l'agence a été créée (sorte "d'effet de génération") qui permet de nuancer la représentation, un peu schématique, d'agences "traditionnelles" et/ou "de quartier" bousculées par les formes récentes des groupements commerciaux. Cet "effet de génération" perdure lorsque la conjoncture dans laquelle l'agence a été fondée est passée. En effet, la localisation de l'agence, qui a également des effets importants sur le type de biens traités et sur la composition des clientèles, doit s'analyser en fonction des agences concurrentes déjà installées sur le même secteur et de celles venant s'implanter par la suite. D'autres facteurs, et notamment les caractéristiques des directeurs d'agence et de leurs collaborateurs, sont également à prendre en compte mais les quelques traits retenus (appartenance à un réseau, activités exercées, ancienneté et localisation) fournissent des fondements solides à l'explication des pratiques commerciales.

Notes
667.

Ce rapport , dont nous n'avons appris l'existence que par la presse, a fait l'objet d'une publication, comme une ultime dépêche venant rappeler la rapidité des évolutions de tout type affectant la profession. Nous ne l'avons pas intégré à notre étude, essentiellement pour une raison de calendrier, mais également parce que, derrière le chiffre spectaculaire du nombre d'infractions, il va dans le sens de nos observations au cours du texte. En effet, si une partie de ces fraudes sont de nature pénale, il semble que la majorité proviennent de défauts d'information sur les commissions (cf. chapitre 1 et 5) et sur la surface indiquée dans les annonces, qui ne correspond pas toujours au métrage Carrez : on rejoint là le problème, plusieurs fois évoqué dans ce mémoire, des démarches engagées par l'agent au début, au moment de la prise de mandat, alors qu'il peut se révéler contre-productif pour lui d'engager ces démarches à ce moment de la relation commerciale.