Éléments de méthode
Une des spécificités de l’analyse en psychologie clinique et psychopathologie est de procéder par la mobilisation et l’utilisation de cas pour valider le raisonnement. Pour autant, il convient de préciser le statut que je souhaite donner aux cas dans mon travail : l’analyse s’appuiera précisément sur des études cliniques, pour construire progressivement une généralisation/validation des hypothèses. Pour expliciter ce que sera ma démarche, je propose de l’organiser autour de quatre notions opératoires : celles du cas, du type, du paradigme et de l’hypothèse. Les trois premières notions relèvent du même principe : si, dans un travail d’observation et d’analyse, la présentation des faits et des connaissances n’est pas exhaustive, si elle ne peut faire autrement qu’en sélectionner un nombre réduit, ceux-ci n’en ont pas moins une valeur illustrative que l’on considère comme décisive. Cette valeur est cependant différente pour chacune de ces notions :
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Les cas : la démarche du travail engagé étant très largement appuyée sur des études de cas, il me paraît indispensable d’indiquer comment ces cas peuvent être mobilisés dans une démarche scientifique. En effet, pour ce qui est des situations concernant les enfants que j’ai pu observer dans ma pratique
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, mes observations portent sur des cas que je choisirai de développer pour leur représentativité. Dire qu’ils sont représentatifs signifie qu’ils évoquent un lien entre une situation particulière et une notion générale et éventuellement une ou des théories dont il constitue une illustration. C’est ce lien que je m’efforcerai d’établir en conduisant un raisonnement fait d’allers et retours entre un schéma général d’explication et chaque cas présenté, en explicitant les écarts.
- Si le cas devient particulièrement révélateur et représentatif de situations et de processus particuliers, il peut être présenté comme un type et classé dans une typologie. Cette démarche s’apparente à celle de Max Weber quand il définit des « idéaux-types » qui représentent des esquisses de modélisation à partir de cas différents
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. Dans cette acception, à partir des cas cliniques étudiés, si le type est encore référé à des réalités concrètes, il sera déjà considéré comme représentant déjà un ensemble générique opératoire.
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Le paradigme
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propose un corpus de questions et de concepts dont la construction est déjà suffisamment élaborée pour donner une interprétation des faits étudiés
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. Il constitue ainsi une étape de la démarche scientifique, « un moment donné de son histoire, pour délimiter et problématiser les « faits » qu'elle juge dignes d'étude »
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.
Toutefois ce « système » d’explication demeure encore une construction provisoire qui requiert une validation pour passer au stade d’une hypothèse théorique. Dans une démarche scientifique, on peut ainsi considérer qu’il correspond à une grille de lecture opératoire qui permet l'interprétation de données par la mobilisation d'outils théoriques spécifiques. C’est dans ce sens que j’utiliserai cette notion, comme un outil heuristique. Il me permettra d’avancer des questionnements et des interprétations au fil de mes analyses, afin de construire des positions de recherche -
L’hypothèse :répondant aux questions posées, elle permet ainsi d’avancer une interprétation. J’utiliserai cette notion comme un système d’explication proposé après validation à la fois par la confrontation aux faits et aux théories consacrées au sujet.
C’est cette démarche que j’adopterai dans ce travail. Après avoir exposé les différentes approches théoriques consacrées au sujet étudié, puis procédé à l’étude psychodynamique de cas cliniques, je chercherai à établir si les profils spécifiques et singuliers qui seront repérés peuvent constituer des types représentatifs au regard des lectures et des théories des différents courants théoriques que je mobiliserai.
J’examinerai dans quelle mesure il est possible d’élaborer des paradigmes suffisamment opératoires pour construire un modèle d’explication des troubles de la relation étudiés et mettre à l’épreuve mes hypothèses.
Notes
62.
voir Chapitre 1 § 1.2.1 « Méthode d’approche »
63.
WEBER M., (1904-1917), Essais sur la théorie de la science, (1965) tr.fr., Paris, Plon
64.
Ce mot tient son origine du mot grec ancien paradeigma qui signifie « modèle » ou « exemple ». Il vient lui-même de paradeiknunaï qui signifie "montrer", "comparer".
65.
L’épistémologue des sciences T. Kuhn (KUHN T., (1962), La structure des révolutions scientifiques, tr. fr. (1972), Flammarion, Paris) définit un paradigme scientifique comme suit : un ensemble de questions en relation avec le sujet qui se posent et doivent être résolues, des indications méthodologiques (comment ces questions doivent être posées), comment les résultats de la recherche scientifique doivent être interprétés.
66.
Selon LAKATOS I., (1986), Histoire et méthodologie des sciences, tr. fr. (1994), PUF, Paris