La théorisation de R. Roussillon a ouvert des perspectives qui ont guidé l’analyse de la clinique singulière à laquelle j’ai été confrontée dans ma pratique.
Toutefois, il m’a semblé pertinent de prolonger cette approche en interrogeant les implications de ces phénomènes dans le champ même des relations de ces sujets à leur environnement.
R. Roussillon montre comment l’absence de réflexivité adéquate de la part de l’environnement amène l’échec de la reprise signifiante et la perte du pouvoir génératif de sens des comportements. Mais comment comprendre la reproduction de la faillite de l’environnement, la reproduction des expériences de désaccordage, les attitudes singulières de l’environnement appliquées à ces sujets, de même que l’incapacité apparente de ceux-ci à tirer profit d’une réflexivité adéquate ? Que se passe-t-il chez le sujet confronté à un objet, c’est-à-dire à la possibilité d’une relation, soit à une nouvelle expérience du locus originaire des premières expériences traumatiques ? Que se passe-t-il aussi chez l’objet-partenaire/auditoire qui reçoit et a à traiter les projections et productions du sujet ? Quels sont les produits typiques de leur rencontre ?
Pour que le sens advienne et que cesse la répétition d’agirs et de comportements pathologiques, d’autres conditions semblent nécessaires que la rencontre avec un environnement adéquat, capable et disposé à entendre les messages adressés au-delà du comportement manifeste et à les restituer sous une forme opportune au sujet.
Il me semble ainsi intéressant de considérer les effets de cette problématique dans les différentes dimensions de la relation.
En partant des positions théoriques que je viens d’exposer, c’est-à-dire en considérant les comportements des enfants qui ont vécu des traumatismes relationnels précoces dans le champ de la relation comme autant d’expressions agies manifestes 100 , et en suivant une démarche d’interprétation dans l’objectif d’en saisir le contenu latent, j’ai cherché à élaborer une compréhension tridimensionnelle :
J’ai postulé que tout comportement, tout ce qui est manifeste, c’est-à-dire saisissable par l’observation, est toujours le produit et le résultat de l’expression de modalités particulières de liens dans trois dimensions. Autrement dit, j’ai cherché à discriminer trois niveaux de lecture des comportements stéréotypés, correspondant à leurs fonctions respectives dans les registres intra-subjectif, trans-subjectif et inter-subjectif , le fil directeur de cette démarche demeurant la considération des places et rôles attribués à l’objet dans chacune des séquences interactives observées.
Ainsi ma recherche conceptuelle concerne-t-elle le registre des liens : liens intrapsychiques, liens trans-subjectifs et liens inter-subjectifs, appréhendés à partir de l’hypothèse selon laquelle ceux-ci seraient organisés par le retour des expériences subjectives primitives traumatiques de l’enfant, et des modes d’expression et de traitements pathologiques associés.
Avant de s’engager plus loin dans la présentation de mon étude, il me semble qu’il convient de définir au préalable avec précision quelles acceptions de ces termes vont organiser ma réflexion.
Je propose dans un premier temps de revenir sur les notions d’expérience subjective primitive, de moi précoce, ainsi que sur les conditions d’avènement de la subjectivité et de l’intrapsychique chez le sujet. Dans un second temps, je tenterai de donner un aperçu des recherches sur les notions relatives au principe de lien, dans les différentes dimensions que j’ai évoquées. Au terme de cette présentation, je proposerai des définitions synthétiques des notions de liaison, de liens intrapsychiques, transsubjectifs et interssubjectifs, telles qu’elles seront à entendre dans l’utilisation que j’en ferai au cours du développement.
GODFRIND-HABER J., HABER M., (2002), De la communication par identification projective, in Revue Française de Psychanalyse , tome LXVI
STERN D., (1989), Le monde interpersonnel du bébé, coll. Le Fil Rouge, PUF, Paris