1.5 Interactions et types d’attachement

1.5.1 Interactions et processus d’attachement

J. Bowlby232 propose de considérer l’attachement comme un besoin primaire, un comportement instinctif biologiquement déterminé, qui dériverait de la pulsion d’agrippement. La survie du petit d’homme immature et vulnérable dépendrait de la possibilité de « s’agripper psychiquement » à son premier objet, comme jadis le petit primate devait s’agripper physiquement à la fourrure de sa mère pour survivre.

Selon A. Guedeney233, ce serait une alternative à la théorie freudienne des pulsions, mais aussi aux perspectives purement comportementales sur le développement humain.

J. Bowlby définit l’attachement comme le lien émotif s’établissant entre une mère et son enfant, favorisant ainsi la proximité physique entre eux afin d’assurer à ce dernier soins et protection. Ce lien, constitué à un niveau primitif, bien avant la maturation des capacités verbales ou de raisonnement, résisterait au temps et à l’espace. Il semble que l’on puisse l’associer à ce que D. Stern nomme le « lien interpersonnel noyau », qui ne peut être modifié par les expériences ultérieures de liens interpersonnels-intersubjectifs.

A. Burnell234 se fondant sur l’expérience issue d’une longue pratique auprès des enfants ayant subi des maltraitances et négligences précoces graves, soutient que les liens d’attachement qui unissent un enfant à ses premiers objets, non seulement persistent à travers le temps et l’espace, mais aussi que leur ténacité, apparemment irrationnelle, est plus souvent renforcée qu’éteinte par la séparation et l’absence.

L’attachement à la figure maternelle servirait également de base de sécurité à l’enfant pour explorer l’environnement.

La disponibilité de l’adulte, la qualité des soins dispensés, le caractère approprié et ajusté des réponses aux signaux de l’enfant concourent à créer chez le nourrisson, au fur et à mesure qu’il voit ses besoins comblés, l’émergence progressive d’un sentiment de sécurité, de confiance en sa valeur personnelle. Selon Bowlby, l’enfant développe et intériorise dès la petite enfance un modèle d’attachement particulier en fonction de l’attitude de la figure maternelle à son égard. Ceci participe à l’établissement des représentations de lui-même en relation à ses figures d’attachement primaires en modèles internes opérants (M.I.O) inconscients, manifestement assez similaires avec ce que D. Stern a décrit sous l’appellation « soi avec l’autre ».

S. Rainville, F. et D. Paquette et L. De Rancourt235, reprenant les travaux de P.D. Steinhauer (1996)236, soutiennent que la capacité d’établir un lien sélectif avec une figure d’attachement stable dans la 1ère enfance (0 à 2 ans) constitue un facteur décisif du développement normal, puisque l’échec à former un tel lien dans la petite enfance est associé à des troubles permanents, et en dépit des traitements, difficilement réversibles de la socialisation. En effet, les M.I.O. se fixent très rapidement et sont très résistants au changement. Selon A. Burnell, ils tendent à assimiler le changement, car les sujets seraient « programmés » pour attendre et percevoir « plus du même », plutôt que pour identifier le changement et s’y adapter. Les M.I.O  organisent les sensations, les perceptions, les pensées et traces mnésiques des sujets. Ils servent d’indices et de guides pour les comportements ultérieurs des sujets dans le registre des relations inter-personnelles. Leur rôle est de constituer un « sytème immunitaire psychologique » contre les facteurs de stress. J’ai évoqué plus haut le fait que les neurobiologistes considèrent les modèles internes opérants comme des constructions structurelles, gravées dans le système nerveux central. Ainsi la perception et l’interprétation du monde se feraient toujours au travers du filtre des modèles internes opérants.

Selon ces auteurs, l’enfant qui n’a pu bénéficier dans les premières années de sa vie d’une figure apte à favoriser l’apparition de liens d’attachement, se détourne peu à peu de la relation pour devenir complètement détaché. L’enfant se montre peu disposé à aimer, se liant de façon superficielle aux adultes qui deviennent alors facilement interchangeables à ses yeux. De plus, l’enfant développe souvent parallèlement toute une série de comportements sociaux inadéquats237.

L’étude de la carence de soins maternels adéquats dans les premiers temps de vie a servi de base à l’élaboration de la théorie de l’attachement chez J. Bowlby.

Dès 1944238, à partir de l’étude de situations de jeunes déliquants, il identifie un groupe singulier, dont il décrit les caractéristiques suivantes : ces jeunes âgés de 8 à 16 ans, intelligents et sans psychopathologie repérée, semblent dépourvus de capacité affective, se méfient profondément des relations affectives proches et ne s’attachent qu’aux possessions matérielles. J. Bowlby montre que l’exposition à des violences intra-familiales et la confrontation récurrente à des expériences de séparation ont été significativement plus fréquentes que dans le groupes de jeunes sans caractéristique d’indifférence affective.

Toutefois, A. Guedeney239 rappelle que la position de J. Bowlby est plus probabiliste que déterministe. Sa théorie de l’attachement postule que les distorsions de celui-ci ne produisent pas un trouble, mais initie plutôt un « type de trajectoire » ( « pathway »), influencé par les événements intercurrents et par l’histoire antérieure.

Selon P.D. Steinhauer, plus longue est la période passée sans un lien d’attachement stable et adéquat, plus les possibilités de rattrapage sont limitées. En effet, les modèles internes opérants peuvent se figer, ou rester fragmentés et non intégrés. Le résultat risque alors d’être l’exclusion des liens interpersonnels de la conscience, ainsi que l’a montré D. Stern.

Notes
232.

BOWLBY J., (1969-1980), Attachement et perte, (1998-2002) vol. I, II, III, PUF, Paris

233.

GUEDENEY A., DUGRAVIER R., (2006), Les facteurs de risques familiaux et environnementaux, in Psychiatrie de l’enfant, 49, 1, pp. 227-278

234.

BURNELL A., in ARCHER C., BURNELL A., (2008), op. cit

235.

RAINVILLE S., DE RANCOURT L., PAQUETTE F. et D., (2006), Guide d’évaluation des capacités parentales (enfants de 0 à 5 ans), Adaptation de P.D. STEINHAUSER, (1993) Assessing Parenting Capacity Manual Guidelines, Institute of the Prevention of Child Abuse, Centre Jeunesse de Montréal, http://www.centrejeunessedemontreal.qc.ca/evaluation/pdf/guide_competences_parentales.pdf

236.

STEINHAUER P.D., (1996), Le moindre mal, Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal

237.

BERGER M., BONNEVILLE E., (2007), Théorie de l’attachement et protection de l’enfance au Québec, in Dialogue, 175, pp.49-62

238.

BOWLBY J., (1944), 44 jeunes voleurs : leur personnalité et leur vie familiale, in Psychiatrie de l’enfant, (2006), 49, 1, pp. 5-122

239.

GUEDENEY A., DUGRAVIER R., (2006), op.cit.