Certaines caractéristiques des interactions défaillantes que les enfants observés ont connues semblent correspondre à la défaillance parentale dans les familles carencées constituant une situation de négligence, dont M. Lamour et M. Barraco279 proposent la définition suivante: elles établissent un rapport de corrélation entre d’une part les états de négligence, de carence, associés à l’incohérence, l’imprévisibilité et le chaos dans les interactions et d’autre part les troubles précoces et sévères dans tous les secteurs du développement de l’enfant. Selon leurs recherches, les troubles concernent le secteur physique : elles décrivent un retard staturo-pondéral, dont la manifestation extrême est le phénomène de « nanisme psycho-social », la fréquence de maladies psychosomatiques. Mais également les secteurs affectif, relationnel et cognitif. Elles écrivent :
‘«La négligence se définit comme une forme de mauvais traitement caractérisé par un manque de soins sur les plans de la santé, de l’hygiène corporelle, de l’alimentation, de la surveillance, de l’éducation ou des besoins affectifs mettant en péril le développement normal de l’enfant. Il s’agit d’un manque ou d’une absence de soins nécessaires pour répondre aux besoins de l’enfant selon son âge et son niveau de développement. La négligence ne peut donc être définie qu’en corrélation avec le degré de dépendance/autonomie de l’enfant. »’Elles précisent que, d’après leurs travaux, les risques et les effets de la négligence sont plus grands selon que l’enfant est plus jeune, plus dépendant et plus vulnérable et démuni sur le plan de la structuration psychique.
Elles caractérisent la défaillance parentale à partir de quatre critères :
Il semble que plusieurs auteurs, notamment les intervenants québécois en Protection de l’Enfance, ainsi que le chercheur chilien J. Barudy 280 et le chercheur italien S. Cirillo 281 , considèrent que ce facteur constitue une situation d’incapacité parentale chronique dans deux cas : d’une part, lorsqu’il affecte les deux parents, d’autre part, lorsqu’il affecte un seul parent, mais sans que l’autre puisse prendre, auprès de l’enfant, un rôle de substitution et de protection contre les effets délétères de la pathologie de l’autre parent, de façon active et permanente. Cette situation paraît correspondre à ce que Winnicott décrivait en 1961 282 (p.392-393) :
‘« Dans la pratique de ma profession, j’ai toujours reconnu qu’il y avait un type de cas où il est essentiel de séparer un enfant d’un parent, principalement si le parent est psychotique ou souffre d’une névrose grave. (…) Il arrive souvent que nous acceptions le fait que cet enfant-ci ou celui-là est pris sans espoir de rémission dans la maladie d’un parent et qu’on ne peut rien y faire. Il nous faut admettre ces cas pour sauvegarder notre propre santé mentale. C’est de diverses façons que ces caractéristiques psychotiques des parents, et surtout des mères, affectent le développement du nourrisson et de l’enfant. »’Cette situation semble devoir être distinguée de la situation d’incapacité parentale momentanée : celle-ci correspond à un état de désorganisation psychique extrême chez l’un ou chez les deux parents, consécutif à un événement traumatogène, et non décompensé auparavant.
Cet état est qualifié de momentané car le parent ne présente pas de structure psychopathologique et dispose d’une capacité de résilience suffisante pour retrouver la possibilité d’exercer une capacité parentale adéquate aux besoins de l’enfant lorsqu’il va mieux.
L’événement traumatogène peut être une séparation conjugale, un deuil, une expérience de déracinement, une perte d’emploi ou encore l’expérience de l’accouchement et les effets de l’intense remaniement identitaire qu’implique l’accès à la parentalité, la redistribution des places générationnelles… Cet état peut considérablement entraver l’exercice d’une position parentale adéquate, avoir des effets très pathogènes sur les interactions précoces et être à l’origine de la constitution de troubles sévères chez l’enfant qui y est confronté très tôt et pendant une durée importante. Toutefois, je ne traiterai pas de ce cas de figure, car la population sur laquelle porte ma recherche n’y correspond pas : elle appartient à la première catégorie.
BARRACO M., LAMOUR M., (1998), Souffrance autour du berceau, Gaëtan Morin, Europe
BARUDY J., DANTAGNON M., (2005), Los buenos tratos a la infancia, Gedisa, Barcelone (en cours de traduction française et de publication, Fabert, Paris)
CIRILLO S., (2007), Mauvais parents. Comment leur venir en aide ?, in Actes et dépendances, Dunod, Paris, Fabert, Paris
WINNICOTT D. W., (1961), L’effet des parents psychotiques sur le développement de l’enfant, in De la pédiatrie à la psychanalyse, 1969, Payot, Paris, pp. 385-397