1.7.3.2 Études des effets de la dépression maternelle

Des études récentes, fondées sur des approches longitudinales réalisées sur des échantillons de communauté, portent sur les effets de la dépression maternelle. Les résultats obtenus tendraient à montrer que la dépression maternelle constitue un facteur de risque important vis-à-vis du développement de troubles chez l’enfant 287 . Ils paraissent corroborer les hypothèses que j’ai présentées plus haut, issues des recherches réalisées en psychologie clinique sur les effets des expériences précoces de désaccordage émotionnel, ainsi que celles qui proviennent des recherches en neurosciences portant sur l’intersubjectivité primaire.

Selon M.K. Weinberg, E.Z. Tronick, J.F. Cohn et K.L. Olson 288 , les caractéristiques des interactions entre les mères déprimées et leur bébé engendreraient des conséquences à long terme sur les capacités de l’enfant à réguler son attention et ses émotions. Les mères déprimées auraient tendance à répondre de façon moins contingente aux besoins de leurs enfants, et l’expérience d’interactions non contingentes, marquées par la détresse de l’enfant et/ou de la mère, rendrait difficile l’autorégulation du bébé.

Selon J. Morell et L. Murray 289 , qui ont étudié les conditions de développement des capacités préfrontales chez le bébé, la dysrégulation émotionnelle à 9 mois serait corrélée aux symptômes de troubles du comportement à la fois à l’âge de 5 et 8 ans, tant chez les garçons que chez les filles, ce qui semble suggérer la possibilité d’une période sensible pour le développement de ces troubles. Néanmoins, ceux-ci pourraient être influencés, dans un sens positif ou négatif, par les attitudes parentales.

Selon L.S. Wakschlag et S.L. Hans 290 , le manque de capacités à répondre de façon contingente et sensible aux besoins de l’enfant, qui serait caractéristique des mères déprimées, induirait de façon spécifique les comportements agressifs pathologiques de la petite enfance et de l’enfance.

L’étude de D. F. Hay et coll.291 cible la spécificité de la dépression post-natale dans ses effets à long terme par rapport à la dépression maternelle survenant à une période plus tardive du développement de l’enfant. Elle vise à préciser l’impact d’un épisode dépressif en fonction de l’âge de l’enfant au moment de son apparition et de ses récidives éventuelles. Cette étude a porté sur 122 familles dites « à faible risque », dans une communauté urbaine anglaise. Le dispositif de recherche repose sur des entretiens d’évaluation réalisés auprès des mères pendant la grossesse, 3 mois post-partum, puis, avec leur enfant âgé de 1,4 ans, enfin lorsque l’enfant est âgé de 11 ans. Les résultats présentés tendent à montrer que la violence pathologique chez les enfants était directement corrélée à la dépression maternelle post-natale, même lorsque la dépression pendant la grossesse, les épisodes ultérieurs de dépression et les caractéristiques familiales de la mère étaient pris en compte. Les enfants étudiés étaient plus violents lorsque les mères avaient été déprimées après les 3 mois de l’enfant, et au moins une fois ensuite. Les résultats tendraient aussi à montrer que l’évolution de la violence pathologique chez les enfants jusqu’à 11 ans serait associée à des symptômes de troubles de l’attention et de la régulation de l’humeur, ceci même lorsque les capacités cognitives de l’enfant sont prises en compte. En effet, il semble que la dépression maternelle ait un effet significatif sur le développement des capacités intellectuelles de l’enfant. Celles-ci tendraient à augmenter nettement le risque d’évolution pathologique liée à des troubles du comportement violent. Cette étude conclut que les enfants confrontés à la dépression maternelle pendant les premiers mois de leur vie constituent un « groupe à risque », qui a besoin d’un suivi et d’un traitement thérapeutique spécifique afin d’éviter le développement de troubles de l’attention, de troubles cognitifs et de troubles du comportement.

Cette étude me semble intéressante, car elle correspond à l’une des très rares recherches menées en continu avec la même population, sur une durée aussi longue.

Toutefois, sur le plan de l’étiologie, il me semble important d’associer à ces considérations les facteurs propres à l’enfant. En effet, un tempérament difficile, une irritabilité et une sensibilité extrême, des difficultés somatiques, ainsi que l’expression des défenses précoces afférentes chez le bébé, peuvent participer à un effondrement dépressif chez la mère 292 . Je reviendrai sur ce point.

Enfin, il me semble opportun de signaler que les effets de la dépression post-natale sur le développement de l’enfant sont encore discutés. D’autres études produisent des résultats qui tendent à fournir des conclusions différentes. Ainsi, l’étude de S. Kurstjen et D. Wolk 293 qui a porté sur un échantillon de 1329 mères primipares en Allemagne conclut que la dépression maternelle aurait des effets négligeables sur le développement cognitif de l’enfant : les effets à long terme ne seraient observés que lorsque la dépression maternelle est chronique, lorsque l’enfant est un garçon et/ou porteur de risques néo-natals, ou encore lorsque la famille est exposée à d’autres facteurs de risque. Cependant, il est important de considérer que, contrairement aux études réalisées par D. F. Hay et S.L. Hans, ainsi que par L. Murray et P. Cooper, celle de S. Kurstjen et D. Wolk n’a évalué les effets de la confrontation à la dépression maternelle que de façon rétrospective, alors que les enfants étaient déjà âgés de 6 ans.

Notes
287.

COX J., HOLDEN J., (1994), Perinatal Psychiatry. Use and misuse of the Edinburgh Post-natal depression scale, (2003) Second Edition Gaskell, London.

288.

WEINBERG M.K., TRONICK E.Z., COHN J.F., OLSON K.L., (1999), Gender differencies in emotional expressivity and self regulation during infancy, in Development and psychopathology, 35, pp. 175-188

289.

MORELL J., MURRAY L., (2003), Parenting and the development of conduct disorder and hyperactive symptoms in childhood : a prospective longitudinal study from 2 months to 8 years, in Journal of Child Psychology and Psychiatry, 44, pp. 489-508

290.

WAKSCHLAG L.S., HANS S.L., (2002), Maternal smoking during pregnency and conduct problems in high-risk youth : a developmental framework, in Development and psychopathology, 14, pp. 351-369

291.

HAY D. F et coll., (2003), Pathways to violence in the children of mothers who were depressed postpartum, in Development and psychopathology, 39, pp. 1083-1094

292.

Voir aussi à ce sujet MURRAY L., COOPER P., (1997), Postpartum depression and child development, The Guilford Press, London

293.

KURSTJEN S., WOLK D., (2001), Effects of maternal depression on cognitive development of children over the first 7 years of life, in Journal of Psychology and Psychiatry, 42, pp. 623-636