1.7.3.3 Études des effets de la violence intra-familiale

En étudiant l’impact de la confrontation à la violence familiale sur le développement de la tension et les problèmes de comportement chez les garçons et les filles, K. Barletto Becker et L.A. McCloskey 294 trouvent un lien significatif uniquement chez les filles de leur échantillon.

Mais L.S. Miller, G.A. Wasserman, R. Neugebauer, D. Gorman-Smith et D. Kamboukos 295 ayant étudié des garçons âgés de 6 à 10 ans, exposés au spectacle de scènes de violence, trouvent un lien significatif entre le fait d’avoir assisté à de telles scènes et des symptômes de troubles du comportement, même après que trois autres aspects des interactions parents/enfants eurent été contrôlés : le niveau de conflit entre les parents et les enfants, l’implication des parents et leur surveillance des enfants.

De plus, ils signalent que, dans les familles avec un bas niveau de conflit conjugal, le fait d’être témoin de violences serait lié à l’augmentation des troubles du comportement chez les enfants, alors que ce ne serait pas le cas chez les enfants issus de familles avec un niveau de conflit élevé. Il est important de considérer que ce résultat concerne le phénomène d’augmentation des troubles.

Par ailleurs, les chercheurs ne précisent pas s’il s’agit de violences intra-familiales uniquement, ou bien de violences extra-familiales, ni l’âge de l’enfant au moment où il a été témoin. Il n’est pas non plus indiqué si l’exposition a été fréquente, épisodique ou exceptionnelle.

A partir de la considération de ces études, il semble qu’on puisse penser qu’il existe bien un lien corrélatif entre la psychopathologie parentale et le développement de troubles du comportement chez l’enfant, bien qu’elle n’en soit pas la cause unique. En effet, il n’existe pas de facteurs étiologiques uniques, même si certains s’avèrent prévalants, car, bien que les bases semblent se fixer très précocement, les troubles du développement et du comportement se constituent tout au long de l’enfance. Ceci permet à d’autres facteurs que la défaillance parentale d’intervenir à différents moments.

Il semble qu’il n’existe pas d’études concernant, par exemple, l’influence d’autres aspects environnementaux, tels que les séjours en crêche précoces et à haute dose hebdomadaire, la résidence alternée, les longs placements en pouponnières, les ruptures d’accueil familial, les « allers et retours » entre famille et lieu de placement, les longs séjours en institution d’accueil à hauts effectifs, etc…

A. Guedeney et R. Dugravier 296 accordent néanmoins une importance majeure à la qualité des postions parentales pour le devenir des enfants. Ils écrivent (p.268-269) :

‘« Il existe bien un trajet développemental qui conduit, sans destin tout tracé et avec des voies de sorties, des aspects tempéramentaux au trouble oppositionnel et défiant, puis aux troubles du comportement et, de là, à la personnalité anti-sociale de l’adulte. Dans ces différents trajets, les influences parentales, à travers l’attention, la sensibilité, la surveillance, l’absence de violence ou de dureté, semblent bien jouer un rôle médiateur essentiel entre dispositions tempéramentales et devenir comportemental. (…) (les facteurs mis en évidence par les études contemporaines) soulignent l’importance de la continuité de la chaleur et de la sensibilité de l’attitude parentale et, a contrario, montrent le poids de la carence, des séparations précoces prolongées, de l’incohérence et de la violence dans les troubles du comportement des enfants. »’

L’équipe du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Bellevue de Saint-Etienne a construit des « jalons d’évaluation des défaillances parentales » 297 . La situation d‘incapacité parentale chronique y est établie à partir des critères suivants :

  1. La présence de troubles mentaux importants et chroniques avec des éléments délirants de type persécution, syndrome d’influence, hallucinations auditives et/ou visuelles, dépression de type mélancolique, surtout si l’enfant est impliqué dans le processus délirant et fait l’objet de projections massives, car cela constitue une situation d’empiètement sur l’espace psychique de l’enfant, aux effets traumatogènes.
  2. La présence de comportements psychopathiques, avec une errance qui peut prendre différentes formes : multiplication des partenaires amoureux soit errance affective, des déménagements soit errance géographique ; emplois tenus peu de temps ; interruption de la relation avec des professionnels pouvant fournir de l’aide ; incapacité à manifester une attention continue à l’égard de l’enfant ; utilisation répétée de drogues ou d’alcool ; implication de l’enfant dans des scènes violentes ou sexuelles entre adultes dont il est le témoin.
  3. Le parent ne contrôle pas ses impulsions. Il est incapable de contenir une tension interne. Il présente des passages à l’acte répétitifs, ainsi que des variations brusques de l’humeur, avec des manifestations explosives.
  4. L’impossibilité d’accepter la moindre part de responsabilité dans la situation de souffrance de l’enfant, associée à l’incapacité à tolérer de se remettre en question ou en cause.
  5. Un refus de l’aide proposée : ceci peut être un indice de paranoïa. L’acceptation passive de l’intervention socio-éducative sous la pression de la menace du retrait de l’enfant, suivie de conflit ou de fuite vis-à-vis des intervenants. Le détournement de l’aide proposée à des fins personnelles en « oubliant » l’enfant.
  6. Après un certain délai (de un mois pour un nourrisson à 6 mois pour un enfant de plus de 2 ans), l’aide apportée ne produit aucun changement significatif dans l’attitude affective et éducative du parent à l’égard de l’enfant.

M. Baracco et M. Lamour (1998) 298 présentent les « signaux d’alerte » suivants :

Notes
294.

BARLETTO BECKER K., Mc CLOSKEY L.A., (2002), Attention and conduct problems in children exposed to family violence, in American Journal of Orthopsychiatry, 72, pp. 83-91

295.

MILLER L.S., WASSERMAN G.A., NEUGEBAUER R., GORMAN-SMITH D., KAMBOUKOS D., (1999), Witnessed community violence and antisocial behavior in high-risk urban boys, in Journal of Clinical and Child Psychology, 28, pp. 2-11

296.

GUEDENEY A., DUGRAVIER R. A., (2006), op. cit.

297.

BERGER M., (2003), L’échec de la protection de l’enfance, Dunod, Paris

298.

BARRACO M., LAMOUR M., (1998), op.cit.