La constitution et la pérennité des troubles du développement et du fonctionnement psychique chez l’enfant relèvent selon moi du principe de la relation interactive. Il me semble que l’apparition et l’installation d’un trouble sont les produits, ou les manifestations, des effets d’une série d’interactions désaccordées. Ainsi un enfant qui présente un trouble est un enfant dont l’environnement n’a pas pu s’adapter à lui et, simultanément, qui n’a pas pu s’adapter à son environnement ; ou plutôt qui n’a pu s’y adapter qu’au prix du déploiement d’un système défensif très coûteux pour le développement de sa vie psychique.
Du côté des adultes, s’adapter à un bébé qui pleure sans arrêt, qui ne dort presque jamais, ou qui évite le contact, prendre soin d’un enfant toujours malade, souffrant ou blessé, d’un enfant violent ou autiste est très difficile, très dépressiogène331. Il me semble que la personne qui y est confrontée est tentée de se retirer en elle-même et/ou de se dérober à l’enfant, pour se protéger de la souffrance issue de l’angoisse, de la culpabilité etc… mais aussi parfois pour protéger l’enfant de la violence que ses comportements suscitent en elle, et d’éventuelles rétorsions. Le problème est qu’ainsi elle n’apporte pas à l’enfant ce dont il a besoin pour soulager sa détresse et se construire, se développer de manière adéquate et optimale.
Cela est particulièrement valable dans les relations enfant-famille, et singulièrement dramatique, mais c’est vrai également pour toute personne amenée à s’occuper de l’enfant. (soignant, éducateur de lieu de vie, assistants familiaux…)
Les troubles de l’enfant seraient donc à considérer comme le résultat d’une succession de rencontres manquées. Celles-ci placent l’enfant en situation de confrontation répétée et prolongée à des séquences relationnelles sources de stress extrême, dont il doit impérativement se protéger. Selon ce principe, un trouble serait ainsi la manifestation d’une adaptation défensive « de survie », destinée à pallier des éprouvés de souffrance extrême. Le problème est que, lorsque des sujets sont confrontés à la nécessité permanente de maintenir un fonctionnement défensif, l’ensemble de son énergie est mise au service, monopolisée, par les défenses, au détriment des autres secteurs d’activité psychique, en particulier les activités de liaison des expériences, d’élaboration et de reprise signifiante, mais également des activités de découverte, d’apprentissage et de création : ainsi la créativité est-elle inhibée au profit des défenses.
Je retiens pour ma recherche deux aspects essentiels : d’une part la vitesse de fixité spécifique des troubles observés, d’autre part leur haute teneur défensive.
Nombre des troubles précoces, présentés par les enfants de ma recherche lorsqu’ils étaient âgés de quelques mois, semblent correspondre à ceux que A. Guedeney 332 a repérés et décrits dans certaines formes de la dépression du nourrisson, en particulier ceux qui dénotent une position de retrait relationnel. Dans mes activités de praticienne et de formatrice pour les professionnels de l’enfance, en m’y référant, j’ai souvent été amenée à préconiser la formation à la passation de l’échelle d’évaluation de ces troubles chez le bébé, conçue par A.Guedeney et son équipe 333 : « L’échelle Alarme Détresse Bébé ». Cette échelle a pour vocation d’aider les professionnels à l’observation du bébé. Elle peut être utilisée, après formation, par les Services de Protection Maternelle et Infantile, en situation de test ou d’observation à domicile, en clinique ou en recherche.
CICCONE A., (1995), Le nourrisson et la douleurpsychique, in Dialogue, 128, pp. 6-15
GUEDENEY A., (1999), Dépression et retrait relationnel chez le jeune enfant : analyse critique de la littérature et propositions, op.cit.
Historique, description et téléchargement de l’échelle Alarme Détresse Bébé, ainsi que de son manuel d’instruction sur le site internet : http://www.adbb.net