1.8.2 P.T.R.P. et dysharmonie psychotique

Peut-on confondre notre profil pathologique avec une dysharmonie psychotique ?

Ce diagnostic me semble présenter un risque élevé de confusion, compte tenu de la description d’une symptomatologie dont il est dit qu’elle varie d’un cas à l’autre et se modifie pour le même enfant en cours d’évolution. La CFTMEA-2000 décrit des manifestations somatiques ou comportementales non précisées, une instabilité, des inhibitions sévères, des manifestations hystériques, phobiques ou obsessionnelles, des dysharmonies cognitives dans l’émergence du langage et de la psychomotricité, sans que le déficit intellectuel global soit prépondérant, malgré le constat d’échecs récurrents dans les tentatives de scolarisation. Dès l’âge de 6 ans, ces enfants utilisent le langage de manière adéquate, sans trouble de la communication, et leur intelligence est préservée. Toutefois, il existe un écart important entre les capacités langagières, les capacités d’intégration des apprentissages et le rapport à la temporalité.

Derrière cette symptomatologie variable, les traits et mécanismes psychotiques constituent un élément commun : menace de rupture avec le réel, absence ou mauvaise organisation du sentiment de soi et des rapports avec la réalité ; tendance au débordement de la pensée par des affects et des représentations d’une extrême crudité ; angoisses de persécution, d’anéantissement, de séparation, attaques de panique ; fixation aux modes de relation de la dépendance infantile et, corrélativement, à la position de toute-puissance.

La dysharmonie dans le développement de l’intelligence associée aux traits et mécanismes psychotiques constituent des points de similitude avec le profil pathologique des enfants qui ont vécu des traumatismes relationnels précoces. Mais dans leur cas, les évaluations montrent une véritable atteinte du fonctionnement de l’intelligence : les capacités de penser et d’organiser des perceptions et des connaissances ne sont pas préservées ; les sujets ne peuvent pas s’y appuyer.

La « dysharmonie psychotique » ne serait décelable qu’à partir de 3 ou 4 ans, mais M. Berger370 affirme, à partir de ses observations, qu’on peut constater des troubles précoces évoquant une souffrance psychique dès la première année de vie : balancement avec cognement de la tête contre les barreaux du lit, insomnie pendant plusieurs années. Cependant, selon lui, la caractéristique la plus frappante est que ces sujets n’ont pas d’ « image interne d’eux-mêmes ». Ils doivent alors « calquer » leur posture sur celle de leur interlocuteur, ou sur une représentation de celle qu’ils croient être attendue. Leur gestualité est désordonnée, « disloquée », l’instabilité psychomotrice s’accompagne d’un aspect « pataud » inhabituel. Plusieurs observations confirment la présence de cet aspect dysharmonique chez les sujets de ma clinique. En voici quelques exemples :

Jacques se tient en permanence très raide. On a l’impression qu’il porte un corset, et que son cou ne joue pas son rôle d’articulation tête-corps. Il bouge d’un seul mouvement l’ensemble de son corps. Ses déplacements sont ainsi très brusques et maladroits, car son corps se meut toujours comme s’il était « d’une seule pièce ». Jacques n’aime pas les escaliers : il semble avoir des difficultés pour alterner correctement les pas sur chaque marche. Aussi cherche-t-il à éviter le problème en sautant par-dessus les marches. Il faut que l’environnement soit vigilant et prêt à lui prendre la main pour descendre les escaliers, car il peut sauter quelle que soit la hauteur de marche.

Lorsque Lucie court, elle se déplace « en crabe ». Son buste forme un angle particulier sur le côté droit avec ses jambes.

Emile est particulièrement désarticulé. Il se tient d’une façon généralement dégingandée, mais quand il se déplace, a fortiori lorsqu’il court, on a l’impression que ses membres partent dans tous les sens. Il agite les bras, ses jambes se tordent, son buste est incliné d’un côté, sa tête de l’autre. Au commencement de sa prise en charge, il était victime de terreur dès qu’il se trouvait confronté à une aspérité du terrain. Une petite racine en travers du chemin, une légère déclinaison, un petit talus le plongeait dans un état de panique tel qu’il se figeait et ne pouvait plus avancer.

Sébastien, on l’a vu, est aussi particulièrement désarticulé.

Pour tous ces enfants, apprendre à faire du vélo, du ski, apprendre à nager a été très difficile. Ils y sont parvenus après des années d’efforts, car ils ont dû apprendre la coordination de base des mouvements et des membres. Ils ont ainsi fait tardivement la découverte de la capacité de commander leurs membres et d’articuler leurs mouvements.

Il me semble qu’on perçoit à travers ce phénomène comment l’activité spontanée du nourrisson 371 , qui inaugure et autorise cette découverte psychomotrice fondamentale, a été empêchée lors du vécu précoce de ces enfants.

Ainsi, on peut accéder à un autre élément anamnéstique que les carences du holding et du handling précoces 372  : l’entrave de l’activité spontanée et du fonctionnement mental préverbal associé.

Il est important de souligner que, dans un certain nombre de cas qui ne correspondent pas à ceux de ma clinique, les entretiens familiaux menés sur une longue durée font apparaître que les perturbations majeures des interactions corporelles et langagières, actuelles ou passées, entre parents et enfant, sont clairement imputables à l’effet de désorganisation que suscite une telle pathologie sur des capacités parentales normales. L’hypothèse de M. Berger est que l’étiologie de certaines formes de dysharmonies psychotiques semblerait plutôt relever de facteurs neurobiologique et génétique que d’une faillite des interactions précoces ou de transmissions inconscientes trans-familiales ou trans-générationnelles.

La CFTMEA-2000 recommande d’inclure d’autres troubles ou syndromes dans cette catégorie, tout en signalant que cela soulève des problèmes diagnostiques difficiles. Ainsi, il est noté que la « psychose symbiotique » telle que l’a décrite M. Mahler373 sur des critères psychanalytiques n’entre pas forcément dans ce cadre, de même que les « profils atypiques ou schizoïdes ». Il est recommandé de se référer aux catégories « psychose de type autistique ou schizophrénique » pour la première, et « pathologie de la personnalité », « troubles névrotiques » et même quelquefois aux « variations de la normale » pour les seconds…

Il est aussi établi que les modes d’expression de la pathologie peuvent être temporaires ou limités à certains domaines.

La description ainsi établie laisse une impression de flou… Aussi peut-on trouver des aspects communs entre la dysharmonie psychotique et le tableau clinique présenté par les enfants qui ont subi des traumatismes relationnels précoces.

Au-delà des troubles de la posture et de la motricité, on peut citer les stratégies défensives visant à éviter l’impact anxiogène de l’excitation issue de la communication avec autrui, par exemple374. Elles pourraient correspondre à la  conservation de capacités adaptatives et de contrôle qui assurent une protection contre les risques de désorganisation, au prix de modalités d’aménagement contraignantes et nocives pour les relations avec autrui, décrites dans la dysharmonie psychotique. Mais on constate que si le contrôle est bien l’enjeu des stratégies déployées, celles-ci sont peu efficaces. On ne peut guère parler d’adaptation, et la désorganisation est beaucoup plus rapide et massive.

D’autre part, il a été établi que les entretiens familiaux menés sur une longue durée ne font apparaître aucune perturbation majeure des interactions corporelles et langagières, actuelles ou passées, entre parents et enfant.

Ainsi le diagnostic de dysharmonie psychotique ne tient pas compte de l’impact traumatogène de la faillite et de la violence de l’environnement sur le développement de la personnalité et du fonctionnement psychique du sujet.

Notes
370.

BERGER M., (2006), Les troubles du développement cognitif, 3ème édition, Dunod, Paris

371.

DAVID M., (1997), op.cit.

372.

voir HOPKINS J., (1992), op.cit.

373.

MAHLER M., (1968), Psychose infantile, Symbiose humaine et Individuation, tr.fr. Payot, Paris, 1977

374.

Voir l’étude de ce phénomène in chapitre 2 § 2.2 « défauts d’enveloppe et la cunes dans le système pare-excitations du moi » et § 2.6 « Effets internes de la rencontre avec un objet potentiel »