1.8.5 P.T.R.P. et pathologies du lien

M. Berger a modélisé, pour la première fois en 1996377, les « pathologies du lien ». Cette appellation a souvent été reprise depuis 1996, mais pour recouvrir un champ beaucoup plus large que celui que M. Berger avait initialement décrit.

Selon lui378, l’appellation Pathologie du lien « est devenue un fourre-tout, de tous les types de dysfonctionnements dans le champ de la relation intersubjective », alors que sa définition se voulait très précise.

A partir de l’étude des signes cliniques présentés par des enfants séparés et exprimant une détresse psychique importante, dans trois situations différentes (placement judiciaire, abandon suivi d’adoption, divorce des parents), il a mis en évidence plusieurs points communs et a proposé une première modélisation pour « qualifier la manière défectueuse dont leur vie psychique s’est organisée » (p.3), sous l’appellation « pathologies du lien ». Il se réfère dès ce moment au concept de pathologie de l’attachement, ou « mal de placement » créé par M. David (1989)379 à propos des enfants qui sont gravement perturbés en présence de leurs parents très inadaptés sur le plan éducatif, tout en résistant à l’idée d’en être séparés. Cependant, le concept de pathologie du lien propose un élargissement du champ d’application à tous les enfants qui souffrent intensément des situations de séparation.

Voici certaines des caractéristiques de la pathologie du lien, proposées par les auteurs M. Berger et M. David :

Dans ce registre, on observe très fréquemment, bien que pas systématiquement, un phénomène psychopathologique particulièrement grave que M. Berger appelle « violence pathologique extrême » 380 et dont il a mis en évidence les caractéristiques suivantes :

A propos de la pathologie des liens, la CFTMEA-2000 stipule simplement qu’« on envisage ici les cas où une modalité particulière du lien devient prévalente ou imprègne la relation adulte-enfant, sous une forme qui tend à se figer sous des aspects inquiétants ».

A. Guedeney et R. Dugravier382 rapprochent, sur le plan sémiologique, l’attachement désorganisé et le tableau décrit par R. Misès et coll. sous le terme « dysharmonie évolutive ». Nous avons vu que A. Ciccone considère que ce diagnostic recouvre souvent certaines formes de « pathologies limites ».

A.Guedeney et R. Dugravier notent que le devenir principal de ces dysharmonies est le trouble des conduites. Reprenant l’étude de M.T. Greenberg, M. de Klein et M. C. Endriga383, ils rappellent que l’association de certains facteurs participe à la constitution de ce type de pathologie. Les facteurs mis en exergue dans cette étude sont :

L’étude montre qu’un sujet confronté à un risque dans moins de deux de ces domaines a peu de chance de développer un trouble des conduites. Mais un sujet confronté à un risque dans les quatre domaines simultanément, de façon précoce et durable, a 34 fois plus de probabilité de présenter un trouble des conduites.

On ne retrouve pas la catégorie « pathologie du lien » dans la C.I.M (Classification Internationale des Maladies)384. Cependant, il existe une catégorie « Troubles du fonctionnement social apparaissant spécifiquement durant l’enfance et l’adolescence. ». Plusieurs sous-catégories sont distinguées. On trouve notamment deux descriptions de troubles qui font référence à la théorie de l’attachement :

L’approfondissement de la recherche, à partir des observations réalisées par les équipes soignantes du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Bellevue de Saint-Etienne, ont conduit M. Berger et moi-même à revisiter une nouvelle fois ce profil psychopathologique particulier, et à proposer une nouvelle appellation : Pathologie des traumatismes relationnels précoces . Si nous avons utilisé cette notion dans les développements qui précèdent, il convient d’en préciser les spécificités dans l’acception que nous lui donnons.

En effet, il nous est apparu essentiel de distinguer les quatre points qui permettraient de différencier ce profil pathologique des catégories précédemment exposées.

Au fil de la démarche de diagnostic différentiel, j’ai tenté de mettre en évidence la complexité de l’objet de ma recherche, imputable notamment à l’hétérogénéité des troubles présentés par rapport à des structures répertoriées et décrites jusqu’ici dans les classifications existantes et reconnues. Bien qu’il existe des traits communs avec plusieurs catégories, la pathologie des traumatismes relationnels précoces ne correspond complètement à aucune structure de personnalité décrite.

Ce constat m’a amenée à considérer à nouveau le point de vue de W.R. Bion, M. Klein et A. Ciccone quant à l’origine des états mentaux, que j’avais évoqué en introduction : plutôt que de penser les états mentaux comme l’expression d’une structure de personnalité, il me semble en effet que le profil que j’étudie renvoie à une lecture fondée sur le principe d’oscillations, de mouvements entre différentes positions ou zones. Selon la nature de l’expérience du sujet, ce serait telle ou telle zone de sa personnalité qui s’activerait et produirait le mode de fonctionnement qui lui correspond. Ainsi son moi se trouverait sous l’influence tantôt d’une partie ou d’une zone autistique, tantôt d’une zone psychotique, tantôt d’une zone état-limite…

Je vais à présent tenter d’utiliser ce paradigme au cours du développement : on le considèrera comme étant l’esquisse d’une hypothèse non encore construite et validée.

A ce stade de la recherche, il semble que ce paradigme provisoire soit suffisamment opératoire pour permettre une définition précise du champ de mise à l’épreuve de mes hypothèses et être utilisé comme un outil pertinent, destiné à construire un modèle d’explication des troubles de la relation étudiés.

Cependant, il reste à déterminer si ce paradigme peut être validé comme une thèse heuristique. Ceci constituera l’objet de la recherche au fil du développement qui suit.

Notes
377.

BERGER M., (1996), L’enfant et la souffrance de la séparation, Paris, Dunod

378.

Entretien personnel du 30/01/08

379.

DAVID M., (1989), Le placement familial. De la pratique à la théorie. Paris, Dunod, 5ème édition 2004

380.

BERGER M., (2005), L’apparition de la violence pathologique extrême chez l’enfant de moins de trois ans, peut-on la prévenir ? Audition en tant qu’expert par la Haute Autorité de Santé

BERGER M., (2003), La violence chez l’enfant, Conférence à l’hôpital universitaire d’enfants Reine Fabiola, Bruxelles (Belgique)

BERGER M., (2002), La prise en charge des enfants et préadolescents violents, exposé auprès des professionnels néerlandophones impliqués dans le dispositif de protection de l’enfance, Bruxelles

BERGER M., (2001), La perversion du discours sur la violence des jeunes, Congrès National de Thérapie Psychanalytique Familiale, Paris

381.

BERGER M., (1997), L’enfant et la souffrance de la séparation, Dunod

382.

GUEDENEY A., DUGRAVIER R., (2006), op.cit., p. 243

383.

GREENBERG M.T., KLEIN M., ENDRIGA M. C. , (1997), The role of attachment processus in externalizing psychopathology in young children, in L. Atkinson, ZUCKER K.J. (eds), Attachment an Psychopathology, New york, Guidford Press, pp. 196-222

384.

C.I.M. 10, Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10ème révision, vol.1, O.M.S. Genève 1993

385.

Classification Statistique Internationale des Maladies et problèmes de santé connexes, 10ème révision (1993) vol.1, O.M.S, Genève