2.1.1.2 Nature des expériences émotionnelles

Il semble qu’on puisse ainsi dégager un premier niveau de compréhension de certains comportements à fonction auto-calmante : les cris, les rots, les vents se produisent lorsque les enfants se trouvent dans un contexte qui leur fait vivre la sensation de perte d’un contenant externe et la terreur fantasmatique de se vider de leur substance, de se dissoudre dans l’espace, ou de partir en morceaux. Les angoisses de chute et de liquéfaction qui induisent cet état de terreur renvoient au registre des agonies primitives. Cette expérience émotionnelle induit un excès de tension-excitation non régulable par l’activité de liaison, l’intervention porte alors sur la quantité d’énergie interne : pour répondre à l’impératif d’homéostasie, il s’agit de rétablir l’économie interne par la décharge et le recours aux conduites d’éconduction. Ces comportements seraient donc à la fois le reflet d’un système de défense organisé par des réactions biologiques d’éconduction et le recours aux procédés auto-calmants, « utilisés comme un moyen de lutte active pour tenter de s’arracher à la tendance auto-sensuelle » 426 - et donc éviter de se retrouver dans le vide, mais également la mise en scène de cette expérience. Expulser hors de soi la tension douloureuse tout en conservant l’expérience dans la forme de la défense appliquée. J’y reviendrai.

Une rapide revue du champ lexical utilisé par les intervenants à propos des comportements des enfants me paraît tout à fait éclairante. En effet, les intervenants ont la capacité de donner une forme à l’expérience émotionnelle en représentations de mots qui garantissent la pensée symbolique. Ainsi, lors des épisodes d’agitation extrême, ils peuvent dire qu’un tel «  vomit des injures », «  crache son venin », «  s’éclate ou s’explose en tout sens ». Après un épisode particulièrement intense où l’enfant cesse un instant de tourbillonner, épuisé, ils disent de lui qu’ « il est vidé  ».

Ainsi j’ai pu effectivement déceler les manifestations caractéristiques des types d’angoisse décrits dans les états autistiques. Il me semble qu’il s’agit d’angoisses éminemment narcissiques, qui concernent l’organisation du soi, l’être même, l’existence subjective propre, et qui peuvent saisir les sujets indépendamment de la rencontre avec un autre.

Toutefois, il me semble s’agir que d’une partie des angoisses à l’œuvre chez les sujets qui m’intéressent, dans la mesure où ils sont également aux prises avec d’autres types d’angoisse, beaucoup plus psychotiques, inhérents aux relations, notamment aux relations au regard, (angoisses persécutives d’intrusion, de pénétration, d’empiètement…) que j’explorerai un peu plus loin.

Notes
426.

BOUBLI M., (2002), op.cit., p.76