2.2.2.2 Application à l’analyse clinique

Dans cette perspective, l’observation des comportements des enfants de ma recherche, telle que je l’ai exposée,496 me semble révéler les signifiants formels suivants :

«Une surface tourbillonne » ; « une surface se colle / une surface se fragmente » ; « une bulle se clôt sur elle-même » ; « un appui s’effondre » ; « un axe vertical s’inverse » ; « un corps liquide est agité / un corps liquide s’écoule » ; « un corps gazeux s’envole et se disperse» 497  ; « un corps solide se morcelle et s’éparpille » ; … Lors des états d’excitation et d’agitation paroxystiques, j’ai indiqué que les personnes qui s’occupent d’eux au quotidien utilisent pour décrire cet état l’expression « il/elle explose », puis, pour parler de la phase suivante, « il/elle est vidé(e) ». En termes de signifiants formels, on pourrait traduire : « un corps gazeux explose » ; « un sac se vide ».

Les attitudes et postures corporelles de Sébastien me paraissent particulièrement intéressantes à aborder sous cet angle. J’ai décrit498 comment cet enfant se tient toujours « tordu », comment il enroule ses bras autour de son corps et crochète ses jambes autour des pieds des sièges. Malgré cela, il est en déséquilibre permanent, finit toujours par glisser et se trouver en position affaissée, voire par « couler » sur le sol. Dans le même registre, me semble-t-il, il triture ses vêtements et ses chaussures, en particulier les cordons de ses vestes et ses lacets. Il me semble que les signifiants formels saisissables par ces attitudes pourraient être : « un lien s’enroule et se tord», « une surface s’agrippe », « un axe se tord », mais aussi « un appui s’effondre », « une substance se répand ».

Cependant, Sébastien présentent d’autres attitudes singulières que je n’ai pas encore décrites : d’abord, toujours dans le registre de la posture corporelle, il n’a jamais la bouche « naturellement » close : soit il a la bouche ouverte, soit il la remplit, la « colmate » avec ses doigts, le dos de sa main, son avant-bras, qu’il tête activement, son autre main venant envelopper le coude et soutenir le bras. Il adopte souvent une posture qui implique une certaine souplesse : il fait passer un bras derrière sa tête penchée en avant, la paume de la main de ce bras enveloppe la joue, et les doigts sont tout entiers dans la bouche. La main de l’autre bras s’agrippe à l’épaule ou au coude opposé. Cela donne une posture d’auto-contention, auto-remplissage et auto-soutien où tous les membres, le buste, le cou, le dos sont dans une torsion extrême. Il suffit de tenter l’expérience pour se rendre compte que cette position procure rapidement un éprouvé de douleur, mais Sébastien ne paraît pas l’éprouver… En termes de signifiants formels, cela donnerait, outre ceux que j’ai déjà nommés, « un orifice s’ouvre / un orifice se ferme » ou « une cavité se vide / une cavité se remplie »

D’autre part, Sébastien produit du bruit en permanence, bruits qui suscitent des réactions de dégoût dans son entourage car ils sont issus de « manipulations » de ses matières internes : il fait des bruits de bouche « mouillés » en aspirant et soufflant sa salive, il avale ses mucosités puis se râcle la gorge pour les faire aller et venir dans son larynx. Il lâche des vents sonores, rote, tousse bruyamment, etc… La plupart des enfants de ma recherche sont coutumiers de ce genre de « manipulation » et de production sonore. Irène a en permanence le nez qui coule, elle renifle mais ne se mouche pas.

On pourrait ici formuler les signifiants : « une substance liquide s’écoule » ; « un trou aspire / un trou expulse » ; « une cavité se vide / une cavité se remplit »,organisés autour des opposés « dedans / dehors », mais aussi « présent / absent ». J’’ai eu l’impression que les sécrétions corporelles étaient utilisées comme la « bobine » du jeu décrit par Freud : les sécrétions pourraient ainsi être les représentants d’un objet (peut-être le sein) qui apparaît et disparaît, qui entre et sort, qui comble la bouche ou qui la laisse béante.

Mais il me semble qu’il existe une autre dimension signifiante dans ces productions, qui tient à leur qualité sonore. Bien que D. Anzieu ait indiqué que les signifiants formels ne se rapportent pas, dans son modèle, aux organes des sens à distance, tels que l’ouïe, mes observations cliniques m’ont amenée à penser qu’on peut pourtant trouver des signifiants particuliers, qui impliquent bien une déformation voire une destruction de forme, issus des effets induits par le bruit produit et perçu sur les sensations de surface et d’enveloppe.

J’ai indiqué que les enfants que j’ai observés font du bruit en permanence. J’ai le sentiment que le bruit continu qu’ils produisent avec leurs cordes vocales ou d’autres parties de leur corps constitue une sorte d’enveloppe sonore. Ce « bruit de fond » permanent, composé de propos loghorréïques qui donnent un « bruit de voix » la plupart du temps sans sens manifeste, ainsi que de « bruits de corps », m’a évoqué « la bande-son » de la vie intra-utérine, et le « bain sonore » que le nourrisson a besoin de retrouver à sa naissance : dans les bras de sa mère, contre son corps, il baigne dans les sons de la prosodie et de l’intérieur du corps maternels, qui lui procurent une sensation de continuité. Mais une écoute prolongée et attentive du bruit de fond produit par les enfants révèle qu’en réalité, il n’est pas continu : il est fréquemment interrompu par des cris ou des éclats de voix surprenants, en général suraigus. L’entourage sursaute et porte instinctivement les mains aux oreilles.

Les vocables utilisés pour décrire ces cris me paraissent traduire d’autres signifiants formels : ils évoquent la cassure (« il/elle nous casse les oreilles, la tête »). On pourrait formuler : « un corps solide se brise ». Ils évoquent le transpercement : « les cris sont perçants » ; « il/elle va nous percer les tympans ». Si l’on considère que le tympan est une peau qui possède nombre des qualités repérées dans la peau psychique (réceptacle, filtre protecteur, transmission, etc…), et que le fait d’avoir le tympan percé produit une douleur intense, on peut formuler : « une peau est transpercée » voire « une peau est arrachée ». Or, il faut se souvenir du mode d’expression des parents de ces enfants. Je l’ai décrit à partir de ce que j’ai moi-même observé avec les parents des enfants de ma recherche, ainsi qu’à partir d’observations réalisées en Centre Maternel avec des nourrissons et des parents qui présentent le même mode d’expression499.

En voici un bref rappel :

Ces parents contrôlent difficilement leurs impulsions. Eux-mêmes étant dépourvus de système pare-excitations efficace, ils sont incapables de contenir une tension interne. Ils présentent des passages à l’acte répétitifs, ainsi que des variations brusques de l’humeur, avec des manifestations explosives . Souvent, ces parents ont beaucoup de difficulté à être attentifs à leurs manifestations émotionnelles et à l’impact qu’elles peuvent avoir sur leur enfant. Ils peinent à les différencier et à y donner un sens. Ils expriment des affects très violents, dans une excitation intense et érotisée qui débordent les capacités de gestion du psychisme de l’enfant : ils parlent bruyamment, crient leur angoisse, leur désir ou leur frustration, sans capacité de modulation ni d’ajustement . La plupart avaient beaucoup de difficultés à différencier les besoins du bébé. J’ai notamment cité l’exemple de cette mère qui ne supportait pas que son enfant dorme alors qu’elle-même n’avait pas sommeil : elle mettait de la musique très fort juste à côté du berceau. Il a été observé que les bébés soumis à ces cris ou aux sons des chaînes HI-FI, de la télévision, sursautent, puis se rigidifient dans une position de fermeture (yeux, poings fermés serrés, bras et jambes repliés).

A partir de ces observations, je postule que les cris perçants qui interrompent la production du « bruit de fond continu » racontent quelque chose, en « langage sensoriel », des sensations d’enveloppe brusquement transpercée par la perception violente et imprévue d’un son, ou, plus globalement, de manifestations intempestives de l’objet-environnement premier, vécues dans la prime enfance.

D’autre part, il me semble qu’on retrouve les mêmes effets de rupture dans l’agitation de ces enfants : j’ai décrit comment ils peuvent déambuler ou courir de telle manière que leurs éducatrices leur demandent de « cesser de tourner en rond » et comment simultanément leurs déplacements sont interrompus par des sauts, des chutes, des coups. Le rythme de leurs mouvements ne donne pas l’impression d’une régularité, d’une circularité continue, mais plutôt d’une circularité brisée, interrompue. Je pense qu’on pourrait formuler les signifiants : « un rythme se perd » ; « un mouvement s’interrompt » ; « une boucle se défait » ; « un cercle se brise »… Ces signifiants me paraissent renvoyer au principe du holding précoce, c’est-à-dire la façon dont ces enfants ont été portés par leur environnement. Lors de la description des interactions précoces, j’ai indiqué comment ils ont été manipulés de façon brutale et imprévisible, sans ajustement tonico-postural, mais surtout comment ils étaient portés pour satisfaire le besoin de contact du parent plutôt que lorsqu’ils éprouvaient un besoin de réassurance.

Je postule donc que les signifiants formels révélés par les caractéristiques de leur agitation représentent les sensations de discontinuité, de rupture induits par les moments où ils étaient saisis, manipulés, puis brutalement posés et délaissés par leur premier objet.

Comme pour les cris perçants, ces comportements d’agitation systématisés me semblent avoir une véritable valeur signifiante, au-delà de la simple production et décharge d’excitation. Il me semble qu’on pourrait ainsi leur prêter une valeur « pré-symbolique », dans le sens où ils passent par le corps réel, non encore symbolisé. Ils formeraient ainsi un « récit sensoriel et gestuel » des expériences précoces traumatiques de séparation et d’objectivation prématurée de l’objet-environnement premier, générées par ses manifestations inadéquates, discontinues et intempestives. Ce « récit » pourrait également parler du non-établissement d’une « structure rythmique de base », selon l’expression de G. Haag500.

Au cours de cette analyse, j’ai été frappée par la récurrence des signifiants autour des thèmes de cassure, de coupe, d’arrachement et de transpercement que j’ai retrouvés dans d’autres comportements que ceux qui visent une production sonore. J’ai décrit des activités à visée quasi-exclusive de manipulation dispersante et destructrice, et également indiqué que les personnes qui s’occupent quotidiennement de ces enfants se plaignent régulièrement de leurs actes destructeurs envers leurs vêtements, leurs affaires, le mobilier : ils arrachent la tapisserie en lambeaux, déchirent les rideaux, coupent les fils électriques… On pourrait là encore traduire en termes de signifiants formels : « une peau se déchire, une peau est arrachée » ; « un lien est coupé »…

Voici encore quelques indices relatifs à la perception des excitations :

Nombre d’entre eux éprouvent apparemment une véritable fascination pour certains objets tels que les ciseaux, les couteaux, les scies, etc…

Noé, notamment, est particulièrement attiré par les outils pointus qui font des trous : les perceuses, les marteaux avec des clous, par les outils qui coupent : les ciseaux, les scies, ainsi que par les clés, parce qu’elles pénètrent dans les trous (de serrure). En observant la façon dont il investit ces objets, et en me rappelant combien Noé évite les contacts par le regard, par la parole ou par le toucher, j’ai eu le sentiment qu’ils étaient pour lui dotés d’une signification émotionnelle particulière. Il me semble que ces objets pourraient être porteurs de représentations constituées de façon très précoce, au stade originaire de la relation avec l’objet premier organisée par le fantasme originaire « un corps et une psyché pour deux ». Ces objets et leur utilisation pourraient être à la fois les représentants de certains aspects du corps-esprit maternel, qui l’attirait irrésistiblement, et les représentants de ses propres expériences subjectives terrifiantes soit de vide, soit d’intrusion. A partir de ce qu’il a vécu avec sa mère pendant ses premiers temps de vie, il semble que Noé ait conçu des représentations selon lesquelles le regard, le toucher, la parole de l’autre et leurs effets seraient comme des perceuses, des scies et des ciseaux pour son enveloppe et son identité : pointus, tranchants, effractifs et blessants…

De fait, G. Rosolato avait déjà indiqué que les signifiants se constitueraient au cours des interactions précoces, dans la petite enfance, et pourraient être antérieurs à l’acquisition du langage. Il en donne la définition suivante (p.44) :

‘« Souvenir d’expériences de type analogique vécues dans l’enfance, images restées à l’abri du langage, relations entre les différents stimuli sensoriels, (…) incarnant des relations avec autrui, avec la mère de la petite enfance, dans un contact corporel, ou une position spatiale, une manière de porter, une proxémique. » Et un peu plus loin (p.69) : « Il y a donc bien là un terrain d’identification réciproque, proprement somatique et tactile. »’

Ils permettraient la mise en forme et en mémoire d’impressions, de sensations et d’épreuves trop précoces pour être mises en mots. Selon D. Anzieu, « leur poids d’imprégnation est considérable sur le fonctionnement psychique. (…) Ce sont eux qui donnent sens à la communication non-verbale. Ils s’imposent à la psyché comme ineffables. » (p.28)

Ce concept me paraît tout à fait intéressant, dans la mesure où il semble correspondre au référentiel que j’ai choisi et présenté en exergue au développement de ma recherche 501 . En effet, ce concept de signifiant formel me paraît être comparable et susceptible d’être associé avec ceux qui ont été mis en évidence et proposés par les théoriciens de la vie psychique du bébé, en particulier D. Stern. Pour mémoire, je rappelle que D. Stern 502 a notamment mis en évidence les abstractions que le bébé réalise dès le 10 ème mois, à partir de la répétition d’expériences subjectives. Il a nommé ces abstractions « représentations d’interactions généralisées ». Celles-ci seraient enregistrées dans une forme de mémoire précoce dite « procédurale », antérieure à l’apparition des formes de mémoire déclarative. Elles participeraient à la constitution de schèmes mémoriels qui permettent le traitement et l’organisation des expériences subjectives ultérieures.

R. Roussillon 503 précise que les expériences subjectives sont corrélées aux états du corps et aux sensations issues de celui-ci. Elles seraient vécues «hors du temps» : quelle que soit leur durée objective, elles ne sont pas appréhendées comme ayant un début et une fin, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent de déplaisir. Enfin, elles auraient tendance à s’inscrire dans des figures rythmiques élémentaires, qui les organiseraient dans des formes de temporalité rudimentaires. 504

D. Anzieu insiste lui sur la dimension spatiale du signifiant formel, vecteur d’une opération psychique qui est d’ordre topique. Le signifiant formel principal dans sa théorisation est la peau, dans toutes ses dimensions. Nous avons vu qu’elles donnent lieu à de nombreuses variantes dans le registre pathologique : de la peau-coque, la peau-carapace étanche, la peau-musculaire à la peau trouée, la peau qui brûle, la peau arrachée… Pour D. Anzieu (p.23) 505  :

‘« Ce signifiant spatial traduit métaphoriquement une configuration particulière de l’espace psychique, source d’une affreuse douleur ; perdre la cohésion des morceaux qui le constituent, perdre le sentiment d’identité. (…) Le principe de Nirvana ici à l’œuvre concerne la tendance à réduire vers le zéro non pas la tension quantitative interne au soi, mais l’enveloppe du soi, (…) ce qui permet au sujet de déplacer de la psyché dans le corps certains affects archaïques violents tels que la détresse de l’abandon et de la rage destructrice. » ’

Plusieurs enfants observés, tels Emile, Sébastien ou Jacques évitent activement d’être touchés. Ils ne se laissent pas câliner, si quelqu’un les embrasse, ils se contorsionnent pour ne laisser qu’un infime espace de joue au baiser et échapper à l’enveloppement dans les bras. Ils évitent également de serrer la main pour dire bonjour, ou bien du bout des doigts. Sébastien a exprimé à sa psychomotricienne, qui observait de grandes résistances à ses propositions de massage, qu’il a peur que sa main le transperce. Tout se passe comme si pour eux, être touché, c’est être obligatoirement pénétré et contrôlé de l’intérieur.

Les propos de D. Anzieu me paraissent aussi éclairer considérablement toutes les observations réalisées à propos des atteintes de la peau et des réactions qu’elles suscitent chez les enfants concernés par la recherche, mais à partir de celles-ci, on pourrait trouver quelques extensions, en particulier dans le rapport pathologique aux excitations que j’ai déjà évoqué :

Il est dit de Gérald, qui souffre régulièrement d’eczéma, qu’il a une peau extrêmement fragile, sensible et irritable. Bien que ses allergologues aient proscrit le contact avec une liste impressionnante de substances, et recommandé de l’enduire d’épaisses couches de crème, rien n’y fait : il est couvert de plaques. Il se gratte alors jusqu’au sang, arrachant des lambeaux de cette peau irritée, « qui brûle », jusqu’à être à vif et souffrir le martyr. Gérald est un cas extrême, puisque sa peau présente de l’eczéma pratiquement en permanence, mais j’ai noté que la plupart des enfants concernés par la recherche ont souffert de la même affection lors de leurs premiers mois de vie, et que plusieurs d’entre eux présentent encore sporadiquement des épisodes eczémateux .

Dans un autre registre, j’ai souvent été interpellée par la façon dont plusieurs enfants grattaient furieusement leurs petites plaies ou leurs boutons. Ils arrachent les croûtes, empêchent la cicatrisation, provoquent des infections.

Des éléments que j’ai étudiés précédemment, il me semble qu’on pourrait y voir la transposition sur la peau concrète, l’enveloppe biologique, de certaines caractéristiques des conflits et des affects non-élaborés, issus des défaillances de la peau psychique : au-delà des manifestations de la rage destructrice retournée contre soi, l’attaque de l’enveloppe de soi paraît figurer les attaques dont a toujours fait l’objet la peau psychique. La peau psychique, à la fonction pare-excitations défaillante, qui ne peut éviter au sujet de subir les « coups d’aiguilles » permanents des excitations exogènes et endogènes, est attaquée par le biais de son représentant biologique, car celle-ci est confondue avec les souffrances issues de ses défauts. G. Haag506 écrivait, à propos des défauts d’enveloppe (p. 105) : « Un défaut d’enveloppe ne suscite pas chez l’enfant le sentiment d’un manque d’enveloppe, mais la sensation d’une peau qui brûle. » Dans ce cas, chez les enfants qui ont vécu très précocement des excès d’excitation érotiques et catastrophiques, ainsi que des interactions précoces qui ne leur ont pas permis de se constituer un système pare-excitations opérant, on pourrait comprendre le rapport à leur peau comme un drame similaire à celui, mythique, qui causa la mort d’Héraclès : le défaut d’enveloppe leur ferait éprouver ce que la tunique imprégnée du sang toxique du centaure Nessus fit vivre au demi-dieu507. Dès qu’il l’endossa, celle-ci adhéra comme une seconde peau à son corps, y instillant le poison corrosif qui le tua. Malgré ses efforts, Héraclès ne put s’en délivrer, car il ne pouvait ôter la tunique sans arracher sa peau en même temps : sa peau et le poison brûlant ne faisaient plus qu’un.

A la lumière de ces éléments, il apparaît que les comportements de ces enfants pourraient refléter une figuration complexe de leur moi, organisée par des perceptions de l’enveloppe qui oscilleraient entre deux positions :

A ce stade, il semble que l’on peut établir un nouveau palier de synthèse :

Appliqué aux comportements observés chez les enfants de ma recherche, le croisement du principe de signifiant formel de D. Anzieu, avec celui des « modèles d’interactions généralisés » de D. Stern, enfin avec celui des figures rythmiques élémentaires de R. Roussillon, m’autorise à formuler les représentations élémentaires principales conçues à partir des expériences subjectives précoces. Celles-ci semblent fonder l’organisation de leur moi, dans les registres de la forme spatiale ou de la configuration, des procédures de traitement de l’expérience et des rythmes. Ces représentations correspondraient à deux niveaux :

  • un niveau premier, antérieur à la mise en place du système de défense : on y trouverait« une enveloppe se déchire », « une membrane se perce », « une peau est arrachée », « un sac troué fuit » / « un rythme se brise », « un lien se casse », « un appui s’effondre » / « une substance liquide se répand », « un corps solide se disloque » / « un objet pointu perce », « un objet disparaît »
  • un niveau second, postérieur à la mise en place du système de défense : on y trouverait« une surface se colle », « une surface tourbillonne », « une bulle se clôt sur elle-même », « une coque se rigidifie », « une carapace isole », « un trou se bouche », « une cavité se remplit » / « un rythme se répète indéfiniment», « un son tourne en boucle », « un lien ligote » / « un corps liquide se fige » / « un objet est contrôlé ».

On pourrait repérer d’autres formulations de signifiants, notamment lors de l’analyse des comportements qui impliquent l’autre-objet, que j’explorerai ultérieurement. Je me contenterai alors de les signaler, en renvoyant à ce qui précède.

Notes
496.

Voir supra chapitre 2 § 2.1.1 « Expérience émotionnelle d’agonie subjective »

497.

Voir cas présentés in chapitre 2 § 2.1 « Des états et des modes de fonctionnement différents »

498.

Voir chapitre 1 § 1.7.6 « Troubles observés »

499.

Voir la description détaillée dans chapitre 1 § 1.7.5 « Caractéristiques des interactions défaillantes »

500.

HAAG G., (1986), Adhésivité, identité adhésive, identification adhésive, op.cit.

501.

Voir chapitre 1 § 1.4 « Liens, liaisons et moi précoce »

502.

STERN D., (1989),Le monde interpersonnel du nourrisson, op.cit.

503.

ROUSSILLON R., (2006), op. cit.

504.

Voir aussi les travaux de MARCELLI D., (1992), Le rôle des microrythmes et des macrorythmes dans l’émergence de la pensée chez le nourrisson, in Psychiatrie de l’enfant, vol. XXXV, fasc.1, pp. 57-82

505.

ANZIEU D., (1987), op.cit.

506.

HAAG G., (1999), Violences préagressives et agressivité : leurs manifestations et leurs différenciations dans les traitements groupaux d’enfants autistes et psychotiques , in CHAPELIER J.-B , PRIVAT P. Violence, agressivité et groupe, Erès , Ramonville-Saint-Agne, pp.41-54

507.

SOPHOCLE, (439), Les Trachiniennes, (1964) tr.fr. Sophocle - Théâtre complet, Garnier-Flammarion, Paris