2.2.3 Enveloppe visuelle du moi, écran interface et fond psychique. Étude du rapport aux excitations visuelles et au regard

Ayant perçu une intolérance particulière au regard chez les enfants de ma recherche, je propose de focaliser un moment l’analyse du rapport aux excitations sur le domaine des perceptions visuelles, sachant que celui-ci croise d’autres champs sensoriels, notamment ceux des perceptions auditives et tactiles. J’ai déjà indiqué que ces enfants semblent souvent ne pas « voir » ce qui se passe autour d’eux, ni les conséquences, sur eux-mêmes ou sur autrui, de leurs actes. Mais j’ai également observé que beaucoup parmi eux évitent activement d’être vus.

Je propose d’étudier dans un premier temps l’état de la fonction « réceptacle-miroir » du fond-écran psychique chez les enfants de ma recherche. Puis, je m’intéresserai aux vicissitudes des fonctions de barrière de contact et de pare-excitations de l’écran psychique.

Je fais l’hypothèse que, chez ces enfants, l’intolérance aux contacts regard relèverait d’une défaillance du fond psychique et de l’écran interface, qui participeraient du même principe d’enveloppe du moi que je viens d’aborder à partir du modèle du moi-peau de D. Anzieu ; et ce du fait qu’ils n’auraient pas pu se constituer de façon adéquate lors des interactions précoces qu’ils ont expérimentées.

Voici quelques exemples, dans deux registres différents : celui où l’enfant voit le monde, et celui où il est regardé par d’autres.

1 er registre :

Outre le fait de paraître « ne pas voir » ce qui se passe autour d’eux lorsqu’ils sont libres de leurs déplacements, certains enfants développent une stratégie pour continuer à éviter de voir le monde quand ils ne peuvent pas se mouvoir, lorsqu’ils sont contraints de rester à table avec le groupe des enfants lors des repas par exemple : certains se tordent sur leur siège et tournent le dos au groupe ; d’autres fixent un point sur le mur ou par la fenêtre. Idriss baisse la tête jusqu’à ce que son menton touche son buste ; Gregory accomplit une série de mouvements avec ses yeux : soit il plisse les yeux, soit il cligne très vite, soit il tire ses paupières vers le bas avec ses doigts tout en levant les orbites.

2 nd registre :

Il s’agit ici du regard extérieur « fixé » sur le sujet.

Kevin se cachait souvent derrière un fauteuil afin de se soustraire à mon regard. C’était le seul moyen de pouvoir maintenir un minimum de relation et de communication.

Noé fuit souvent le regard. Il peut exiger de ne pas être regardé, et chercher à attaquer les yeux si on ne les détourne pas de lui.

Il m’a été impossible d’entrer en contact regard avec Marie pendant très longtemps. Elle passait son temps à s’agiter dans la pièce afin de chercher à se cacher. Elle ne s’apaisait que lorsque j’énonçais que je ne la voyais plus. Un jour où j’avais dû changer de pièce, nous nous sommes trouvées dans une salle pourvue d’un miroir. Sans bien savoir pourquoi, je me suis placée devant le miroir, tournant le dos à la salle, donc à Marie. Je la voyais dans le miroir. Elle ne cherchait plus à se cacher. Progressivement, elle s’est approchée de moi. A un moment, nos regards se sont croisés par le truchement du reflet dans le miroir. Je lui ai souri, elle m’a souri en retour. Je garde un souvenir ému de cette séance car c’était la première fois que nous nous regardions, et que nous nous regardions nous regarder. J’ai le sentiment que c’est l’écran du miroir réel, remplissant les fonctions normalement dévolues au miroir psychique, qui a autorisé cette rencontre, car, dès que je me suis retournée vers elle pour la regarder directement, elle a eu l’air épouvantée et s’est enfuie pour se cacher à nouveau. Lors des séances suivantes, ayant admis le besoin de diffraction du contact 508 de cette petite fille, j’ai demandé à son assistante maternelle de l’amener dans cette salle où je l’attendais, dos à la porte, en face du miroir. Nous avons pu communiquer suffisamment pour qu’au fil du temps et de la thérapie, elle ne redoute plus mon regard et que nous puissions abandonner le miroir.

Afin de tenter de comprendre l’origine de cette intolérance, il convient de revenir un moment sur les processus engagés par la vision et les structures de traitement nécessaires, hors champs pathologiques.

Je voudrais aborder succinctement cette dimension, en m’appuyant sur les travaux croisés de G. Haag509 et de G. Lavallée510. Ces auteurs ont développé chacun des concepts qui me paraissent très proches : G. Haag a modélisé le principe de fond psychique et G. Lavallée celui d’écran psychique interface. Les points communs de ces deux notions me semblent consister en des qualités similaires de limitation, de réception contenante, d’impressivité, d’élasiticité, et de réflexivité. L’origine de leur constitution est également située dans la rencontre avec le premier objet.

J’ai exposé comment l’étude des interactions précoces montre que le rapport du regard de l’infans au visage de son premier objet, combiné à l’expérience de la peau, est primordial511.

D. Anzieu, nous venons de le voir, y inscrit la constitution de son moi-peau et de ses aléas. G. Haag512 s’y réfère lorsqu’elle insiste sur l’importance de la combinaison des sensations tactiles et visuelles dans l’élaboration du fond psychique. L’expérience prototypique qui l’autoriserait serait celle de la plongée « les yeux dans les yeux », qui mettrait en contact la réalité psychique du bébé avec celle de son premier objet, dans un désir d’incorporation mutuelle. Les éprouvés simultanés de tenue et d’enveloppement dans les bras, des « barrières » des peaux qui unissent tout en séparant, limiteraient heureusement les désirs et les craintes d’attraction et d’absorption mutuelles. Selon son modèle, le fond psychique serait fondé sur une identification primaire à cette expérience. Il serait donc une abstraction réalisée grâce aux rencontres répétées avec une disposition psychique particulière du premier objet.

P.-C. Racamier voyait dans le regard et le contact cutané les instruments indispensables à la « séduction narcissique normale »513.

Cependant, c’est D. W. Winnicott514 qui a d’abord indiqué que le premier écran réceptacle, pare-excitations et miroir, serait le visage de la mère. Puis, W. R. Bion515 a théorisé le principe de « boucle réflexive » des interactions précoces, ou comment la rêverie maternelle accueillerait les projections du bébé, les éprouverait, et les lui restituerait réflexivement, transformées, « détoxifiées », donc potentiellement assimilables. Ces projections, on l’a vu, concerneraient les perceptions sensorielles du bébé, visuelles et autres, ainsi que leurs échos émotionnels. Voici un extrait de la définition de son modèle que propose W.R. Bion, qui me paraît intéressant pour éclaircir ce point :

‘« La capacité de rêverie de la mère est ici tenue pour inséparable du contenu parce que, de toute évidence, celui-ci dépend de celle-là. (…) La qualité psychique sera transmise aux canaux de communication qui forment les liens avec l’enfant. Tout dépendra ensuite de la nature de ces qualités psychiques et de leur impact sur les qualités psychiques du nourrisson, car cet impact constitue une expérience émotionnelle susceptible, par rapport au développement du couple et des individus qui le composent, d’être transformée par la fonction . Le terme de  « rêverie » peut s’appliquer à n’importe quel contenu. J’entends limiter ici à un contenu empreint d’amour ou de haine 516 . Dans ce sens restreint, la rêverie est un état d’esprit réceptif à tout objet provenant de l’objet aimé, un état d’esprit capable, autrement dit, d’accueillir les identifications projectives du nourrisson, qu’elles soient ressenties comme bonnes ou mauvaises. Bref, la rêverie est un facteur de la fonction  de la mère. » 517

Autrement dit, en se référant au modèle proposé par G. Haag, le « fond » ne pourrait être éprouvé, de manières à la fois sensorielle et psychique indissolublement liées dans le moi-corporel, que si la rêverie maternelle fait rebondir le « projeté émotionnel  primitif du bébé» (p.225), et ceci, au mode près, avec une légère différence signifiante.518La permanence, la disponibilité continue de cette fonction chez un objet premier aimant permettrait la constitution d’une « présence d’arrière-plan d’identification primaire »519 sécurisante pour le bébé.

Ceci serait au fondement du principe de réflexivité psychique : si, lorsque le bébé voit le visage de son premier objet, il peut s’y voir lui-même, s’y contempler avec plaisir car il y reconnaît quelque chose de lui, de ses besoins, et de ses émissions dans la réponse que son premier objet leur donne, d’une façon qui ménage son narcissisme, il pourrait alors intérioriser progressivement ce miroir maternel, puis l’ « oublier » en le faisant sien.

En ce sens, G. Lavallée postule que l’écran psychique serait le fruit de l’introjection pulsionnelle du premier objet. Il se situerait psychiquement là où initialement le visage du premier objet était présent dans les expériences de tête à tête, « les yeux dans les yeux » avec le bébé. Pour que cette introjection suivie d’ « oubli » intervienne, il faudrait que se produise un processus qu’A. Green520 nomme « hallucination négative de la mère ». Grâce à un mouvement d’hallucination du désir négatif, le bébé « effacerait » le visage de la mère en sa présence, de façon à ne plus y percevoir que les reflets de lui-même521. Ce phénomène permettrait la constitution d’un écran psychique qui perdurerait en l’absence de la mère. Autrement dit, le bébé réaliserait en présence de la mère une abstraction de ses fonctions de réceptacle de projections et de miroir, qui n’aurait plus besoin pour fonctionner du support concret du visage de celle-ci. J’ajouterais que cet objet doit avoir pu être suffisamment « discret », c’est-à-dire pas trop projectif, intrusif ni empiétant, pour pouvoir être d’abord « psychiquement absenté » en sa présence par le bébé, puis « abstrait », de façon à ce que ses interventions puissent être supports d’un mouvement d’identification incorporative des fonctions essentielles au développement de la vie psychique.

Ainsi, pour G. Lavallée, l’écran psychique aurait une fonction de réceptacle, une fonction de miroir signifiant. Mais il aurait également des fonctions de barrière de contact et de pare-excitations, notamment pour l’œil. En effet, le fait de voir étant éminemment interactif, il me semble qu’il existe un double mouvement, centripète et centrifuge, qui paraît produire deux types d’excitation : des excitations exogènes, mais aussi des excitations endogènes. Ce double mouvement, de l’extérieur vers l’intérieur, et de l’intérieur vers l’extérieur, inhérent à la vision, me paraît d’ailleurs servir de support et de vecteur aux deux formes d’identification, incorporative et projective522.

Afin de comprendre l’origine de la capacité de gestion psychique des excitations engendrées par la vision, il semble intéressant de rappeler les travaux de M. Mahler523.

Celle-ci postulait que, lorsque le bébé voit sa mère à distance, c’est-à-dire hors du contact corporel, cela pose le problème de la séparation-individuation. Le bébé serait irrésistiblement attracté par la perception visuelle et ébloui par le choc esthétique que cela lui procure524. Il éprouverait alors le besoin de rétablir un contact physique, de « toucher son objet perdu des yeux ». Je dirais pour ma part que, dans ce contexte, le moi du bébé serait aux prises avec une pulsion d’agrippement dont l’exigence impérieuse de satisfaction induirait une rupture de la continuité psychique. Ainsi son moi fragile serait-il soumis à un très puissant flux psychique centrifuge désorganisateur, activé par son désir de rejoindre – à distance – son objet.

D’autre part, les théoriciens du bébé et de l’attachement ont montré qu’avant un an environ, la vision de la mère à distance après une absence ne rassurerait pas le bébé, mais raviverait après-coup la réalité de la séparation. Ainsi la vue de l’objet séparé produirait d’abord de l’angoisse pour deux raisons : la réminiscence des vécus d’arrachement déclenchés par la séparation, puis la désorganisation, l’éclatement de la trame psycho-coporelle du moi, générés par la poussée de la pulsion d’agrippement. « La vision jette le moi au-dehors du corps propre et risque à tout moment de faire éclater le moi-peau. » écrit G. Lavallée (p.8). Il me semble qu’on retrouve là l’idée proposée par D. Houzel525, selon laquelle l’attraction irrésistible exercée par l’objet pourrait être perçue comme un « trou noir » dans lequel toute matière psychique pourrait être engloutie. Seuls un contact peau à peau, cœur à cœur, le soutien et l’enveloppement par les bras et la prosodie maternelle, venant rétablir et nourrir le fantasme de peau commune, pourraient apaiser, limiter et contenir les excitations, les angoisses et l’éprouvé de tension extrême. Si l’on se réfère à ce que nous avons étudié des enjeux des interactions précoces, on peut dire que ce serait la répétition de plusieurs expériences de ce type qui permettrait l’identification incorporative à la fonction limitante et pare-excitante proposée par l’objet, et ainsi la constitution de cette fonction dans le moi du sujet.

G. Lavallée voit dans le produit de l’incorporation de l’ensemble de ces fonctions exercées l’objet premier, un phénomène similaire à celui relatif à la constitution de la peau psychique proposée par D. Anzieu. Ce produit serait là aussi un contenant décorporé assimilable à une enveloppe, une enveloppe visuelle du moi. Comme lors de l’élaboration des fantasmes de peau commune, puis lors de la psychisation des fonctions de la peau corporelle personnelle, qui serviraient de modèle à l’enveloppe psychique du moi-peau, l’hallucination négative du premier objet produirait ainsi une série de fonctions qui constituerait une structure d’enveloppe. Voyons plus en détail quelles en seraient les propriétés.

Que se passe-t-il dans les expériences visuelles ?

G. Lavallée distingue 5 étapes fondamentales :

  1. Lorsqu’un stimulus vient frapper l’œil, il génèrerait un « scanning inconscient ». Dans le premier temps, le stimulus ne serait qu’une image optique, formée d’une multitude de taches lumineuses, qui n’aurait encore aucune signification. Ce serait l’impact sur l’inconscient qui commencerait à lui en conférer une. En effet, selon le point de vue psychanalytique, le stimulus serait d’abord investi et qualifié par l’inconscient avant d’être perçu dans le champ de la conscience comme existant dans le réelFREUD S., (1925), La négation, in Résultats, idées, problèmes Tome 2 (1921-1938), (1985) PUF, Paris, pp. 135-139. La signification serait constituée de représentations de choses et de mots, activées par analogie formelle, chargées d’un certain quantum hallucinatoire, puis « triées » et enfin projetées. Ceci organiserait une certaine « grille de lecture « de l’expérience perceptive. Nous avons vu que ces représentations seraient les produits d’expériences de perception antérieures. FreudFREUD S., (1925), op.cit. a indiqué qu’il ne s’agirait pas de simples reproductions à l’identique, car, lors de « leur inscription primaire de choses » dans l’inconscient, ces expériences perceptives seraient transformées par des omissions, et altérées par des fusions avec d’autres éléments. La psyché disposerait ensuite d’un système de reconnaissance des formes par comparaison des perceptions avec les représentations déjà « enregistrées ». En cela, la perception serait loin d’être un processus purement passif. Grâce à la mise en œuvre de la fonction d’attention, le moi opèrerait un retournement pulsionnel passif/actif, qui privilégierait la composante « emprise » sur le stimulus. On pourrait dire que le moi se saisit du stimulus afin de voir ce qu’il en est… D’où, me semble-t-il, l’expression familière quelque peu paradoxale que l’on a tendance à employer lorsqu’on accorde une attention particulière à quelque chose : « Voyons voir… ce qu’il en est de cette chose-là.» Par ailleurs, ce serait le rôle de l’épreuve de réalité que de vérifier si « quelque chose de présent dans le moi comme représentation peut aussi être retrouvé dans la perception. » Freud indiquait ainsi une activité de comparaison, à double sens de circulation, entre représentations et perceptions, qui viserait deux objectifs : d’une part établir une discrimination des perceptions entre celles qui seraient « connues » et celles qui seraient « inconnues » ; d’autre part, entre les représentations très éloignées et les représentations très proches des perceptions. A ce stade interviendrait la fonction de jugement du moi, qui évaluerait si les représentations qui seraient trop déformées devraient subir un réajustement.
  2. La seconde étape distinguée par G. Lavallée correspondrait à un « mouvement projectif-actif ». Selon ce principe, on ne pourrait identifier qu’à partir de ce que l’on se serait déjà représenté. L’identification, l’articulation perception-signification, serait ainsi le produit d’une construction à partir de représentations déjà établies, projetées en direction du stimulus, sur un écran interface. Autrement dit, toute identification, en tant que lecture psychique restrictive, serait toujours une interprétation du réel. Nous sommes ici dans un raisonnement proche de la position constructiviste, prônée notamment, on l’a vuVoir chapitre 1§ 1.2.2 « Hypothèses méthodologique et référentiel d’auteurs », par G. Bachelard et R. Thom. Or Freud avait montré que, selon ce principe, les perceptions pouvaient fréquemment être déformées lors de leur arrivée à la conscience, et ceci sous l’influence de deux phénomènes qu’il qualifiait d’ « hallucinatoires »: Soit que les représentations de désirs les aient balayées : dans ce cas, on pourrait dire que le moi « prend ses désirs pour des réalités ». Soit, dans des états plus psychotiques, et ce point m’intéresse particulièrement, que les perceptions aient activé par analogie formelle des traces mnésiques de choses trop « chargées », ou bien du fait d’une défaillance de la fonction de jugement, ou encore de la combinaison des deux. Si je souhaite attirer dès à présent l’attention du lecteur sur ce phénomène repéré chez les enfants de ma recherche, j’en présenterai l’étude et l’analyse plus en détail un peu plus loinVoir particulièrement chapitre 2 § 2.6 « Effets internes de la rencontre avec un objet potentiel ».
  3. G. Lavallée présente ce phénomène à partir de la qualité de « l’écran psychique interface hallucinatoire négatif ». Cet écran serait issu, on l’a vu, de l’hallucination négative suivie d’introjection pulsionnelle du premier objet. « La personne de la mère, sa « capacité de rêverie », son « talent » pour illusionner et désillusionner l’enfant à son rythme, et surtout les modalités de son intériorisation, définiront qualitativement l’écran. »LAVALEE G., (1999), op.cit., p.93 Il serait un filtre semi-transparent, à polarité hallucinatoire négative de densité variable. Dans son fonctionnement normal, son opacité – ou sa transparence – devrait pouvoir varier, globalement et ponctuellement, afin de réguler les circulations à double sens dedans/dehors, ainsi que les rapports représentations – perceptions. Il devrait permettre le maintien d’un fond figuratif, ainsi que la création de défenses par « négation hallucinatoire ». L’opacification de l’écran serait obtenue par la projection d’un « effacement hallucinatoire » du stimulus, qui de ce fait ne serait plus perçu… Là aussi, ne dit-on pas que l’on ne voit que ce que l’on « veut » bien voir ?
  4. « L’opération de symbolisation imageante » On a vu que, grâce à la mise en œuvre d’un travail psychique intense, principalement inconscient, l’image prendrait une signification singulière, façonnée par le moi. L’objectif psychique visé par l’ensemble des processus mobilisés serait de réduire l’effet d’inconnu, fortement anxiogène, d’un stimulus impensable, c’est-à-dire de le recréer en y superposant des représentations projetées, afin de lui donner une forme reconnaissable ; quitte à ce qu’à terme celle-ci ne corresponde plus vraiment (ou plus du tout) à la réalité. L’important serait que le moi puisse y reconnaître quelque chose de lui, pour pouvoir la « faire sienne » à son tour. Afin de décrire l’ensemble du mécanisme, G. LavalléeLAVALEE G.,( (1999), op.cit., p.37 évoque la « fonction objectalisante » proposée par A. Green, c’est-à-dire « un processus de construction de symbole « objectalisant » l’infini formel perceptif.» Pour lui, celui-ci « doit être compris comme une opération de « symbolisation imageante » de la perception visuelle. ». Il indique que cette opération impliquerait un certain quantum d’hallucinatoire positif, mais dans des proportions qui permettraient seulement de lui donner de la vivacité, sans susciter de confusion ni d’envahissement de l’accrochage à la réalité.
  5. « Le retour introjectif et la position réceptive-passive » La dernière étape serait consécutive à la transformation du stimulus en forme familière. Il me semble que cette transformation relève d’un principe de liaison : il s’agirait d’établir un lien entre moi et non-moi, afin de rendre ce dernier assimilable. Le moi pourrait ainsi « prendre au-dedans » ce qu’il aurait déjà rendu semblable à lui-même au-dehors. G. Lavallée parle à ce propos (p. 18) d’une « indispensable cosubstantialité ». Selon lui, ceci permettrait que le moi puisse tolérer la position réceptive-passive de l’introjection et qu’advienne le plaisir de voir et d’être vu. Mais en-deçà de l’introjection, il me semble que cette cosubstantialité serait d’abord la condition sine qua none de l’accès de la perception, plus ou moins déformée, à la conscience. Ensuite s’y associeraient les affects de plaisir et de déplaisir, qui décideraient du sort de la dite perception. Ainsi, l’existence d’un lien de cosubstantialité entre le moi et le non-moi me paraît certes nécessaire mais pas suffisante pour que celui-ci soit introjecté et que les expériences actives et passives organisées par la vision soient sources de plaisir. Une autre condition me semble essentielle : que le lien soit établi avec des éléments du moi déjà associés à des affects de plaisir. J’y reviendrai.

Pour G. Lavallée, ces cinq étapes permettraient de mettre en évidence des propriétés et des fonctions inhérentes à une structure d’enveloppe psychique. Cette « enveloppe visuelle du moi » remplirait en effet les fonctions de :

Notes
508.

Je reviendrai sur ce besoin de diffraction du contact au cours de la troisième partie de l’exposé de ma recherche. Voir chapitre 3 § 3.4 « Perspectives thérapeutiques »

509.

HAAG G., (1997), Ressemblances et différences entre les psychoses symbiotiques et les psychoses post-autistiques chez l’enfant, in RUSTIN M. , RHODE M., DUBINSKY A., DUBINSKY H. , Les états psychotiques chez l’enfant, op.cit., pp. 211-232

510.

LAVALLEE G., (1999), L’enveloppe visuelle du moi, Dunod, Paris

511.

Voir chapitre 1 § 1.4 « Liens, liaisons et moi précoce »

512.

Voir chapitre 1 § 1.4.1 « Moi précoce et premières interactions »

513.

Voir chapitre 1 § 1.4.5 « La séduction narcissique »

514.

WINNICOTT D.W., (1975), Le rôle de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant, Jeu et réalité : l’espace potentiel, Gallimard, Paris, pp.153-162

515.

BION W.R., (1962), Aux sources de l’expérience, (1979) tr.fr. F. Robert, PUF, Paris.

Voir aussi du même auteur : (1963) Eléments de psychanalyse, (1979) PUF, Paris 

516.

C’est moi qui souligne.

517.

BION W.R., (1962), op.cit., p. 53

518.

On aura remarqué que lorsque je fais allusion aux travaux de Winnicott, Bion et Haag, j’utilise les termes « mère », « maternel » et non « premier objet ». J’ai fait ce choix car ces auteurs ont développé leurs concepts à partir de la relation à la mère en tant que premier objet, ce que j’ai tenu à respecter. Toutefois, comme je l’ai indiqué lors de l’étude des enjeux des interactions précoces lors de la présentation du champ de la recherche, je pense qu’il s’agit là de processus qui ne se déploient pas exclusivement avec la mère de l’enfant, mais avec toute personne qui investit le nourrisson et s’offre à lui en tant que figure d’attachement et d’investissement privilégiée, stable, continue et permanente dans la durée. Autrement dit, il s’agit de la personne qui s’occupe de l’enfant au quotidien et répond à ces caractéristiques. La plupart du temps il s’agit de la mère biologique de l’enfant, mais dans de nombreuses situations, il s’agit d’une autre personne. C’est pourquoi je préfère employer l’appellation générique « premier objet » ou « objet premier ».

519.

GROSTEIN J., (1981) , Primal splitting : the background object of primary identification and other self-object, in Splitting and projective identification, Aronson Eds., New-York, pp. 77-89, article présenté par HAAG G.sous le titre « Néant, non-sens, chaos et le trou noir » à la Société Psychanalytique de Paris, et cité dans HAAG G., Ressemblances et différences entre les psychoses symbiotiques et les psychoses post-autistiques chez l’enfant, in RUSTIN M., RHODE M.., DUBINSKY A. et H.,(1997), Les états psychotiques chez les enfants, Ed. du Hublot, Larmor-Plage

520.

GREEN A., (1993), Le travail du négatif, Editions de Minuit, Paris

521.

Il me semble qu’on trouve ici des enjeux associables à ceux qu’a décrits Winnicott dans « la capacité à être seul en présence de l’autre », (voir WINNICOTT D.W.,(1975), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Gallimard, Paris, et qu’a développé Roussillon à propos des relations au couple parental (voir ROUSSILLON R., (2002), La capacité à être seul en présence du couple, in Revue Française de Psychanalyse, vol. 66, n° 1, pp. 9-20). J’ai développé ces enjeux dans chapitre 1 § 1.4.3 « L’expérience de solitude en présence de l’autre »

522.

Voir chapitre 1 § 1.3 « Liaisons, liens intrapsychiques, transsubjectifs et intersubjectifs », ainsi que les développements ultérieurs dans les parties consacrées : voir notamment chapitre 3 § 3.2.4.3 « L’identification projective pathologique et ses effets »

523.

MAHLER M., (1968), Psychose infantile, (1977) tr.fr. Payot, Paris

524.

Voir aussi à ce sujet : MELTZER D., HARRIS WILLIAMS M., (1988), Le conflit esthétique dans le processus de développement, in L’appréhension de la beauté, (2000) tr.fr. Editions du Hublot, Larmor-Plage, pp.29-53

HOUZEL D., (1999), Séduction et conflit esthétique, in Journal de la psychanalyse de l’enfant n°25, Bayard, Paris

525.

HOUZEL D., (1988), Les angoisses de précipitation, in Autisme et conflit esthétique, in Journal de la Psychanalyse de l’enfant, n°5, pp. 98-115