2.4.2.1 Synthèse

Il me semble que commence à se dégager une lecture plus précise du « cercle infernal » dans lequel ces enfants semblent pris depuis leurs premiers jours.

  • Le point de départ serait peut-être bien une série d’événements, issus de la confrontation avec l’inadéquation et l’intrusion de l’environnement, dont l’impact sur la psyché immature et vulnérable de l’infans aurait déclenché des expériences émotionnelles aux effets traumatiques. C’est-à-dire que le vécu aurait suscité une charge émotionnelle, une quantité et une qualité d’excitation et de déplaisir telles qu’elles auraient débordé les capacités d’intégration du moi. Le système pare-excitations embryonnaire du bébé aurait ainsi été doublement effracté, on pourrait dire « de part en part », sur chacune de ses faces. D’un côté, par les excitations externes, de l’autre par les excitations issues de l’expérience émotionnelle d’une intensité paroxystique, que la première aurait suscitée, et qu’il n’aurait pas été « psychiquement outillé » pour lier et traiter. Ce phénomène de non-intégration aurait suscité un traitement particulier selon des modes de défense primaires, à la fois de mise à l’écart et de conservation602. On pourrait postuler que ces phénomènes seraient les traumatismes premiers. Je les nomme « traumatismes relationnels précoces ».
  • Cette série d’événements psychiques auraient alors déjà mobilisé l’ensemble de l’énergie psychique d’investissement au service de mécanismes de défenses précoces. On a vu603 que les capacités de défenses précoces du bébé sont essentiellement organisées autour de deux points : l’évitement du contact avec la perception d’une réalité source d’excitations effractives, et la liaison ainsi que l’évacuation des tensions internes, à partir des oscillations du tonus et de l’activité musculaire. Le problème viendrait du fait que l’enfant ait été trop fréquemment et sur une longue durée soumis à des expériences de ce type, et qu’ainsi toute son énergie ait été mobilisée au service de l’évitement et de la décharge.
  • En conséquence, les fonctions et capacités de protection, de liaison et de traitement vis-à-vis des expériences d’excitation n’auraient pu se développer : le sujet grandissant, il demeurerait dans le même état de vulnérabilité aux excitations, et au déclenchement des processus primaires corrélés. Ainsi chaque nouvelle expérience émotionnelle provoquerait une perturbation analogue à un nouveau traumatisme.
  • Lors de la « remise en jeu » des traces mnésiques et de la charge émotionnelle associée à l’occasion d’une nouvelle expérience, qui ne serait pas forcément objectivement traumatique, mais qui présenterait des analogies, même superficielles, avec une des situations traumatogènes anciennes, le moi se trouverait confronté à une « double charge émotionnelle ».
  • Je postule donc qu’il serait confronté à la fois au retour du traumatisme et au nouveau traumatisme suscité par ce vécu. En effet, les réminiscences du passé archaïque, sous la forme désignifiée de masse d’affects bruts, de déplaisir et de tension qu’elles auraient conservée, demeureraient « incompréhensibles » pour le sujet, qui se vivrait alors, selon l’expression de R. Roussillon604, comme « habité par des mouvements insensés ». On pourrait dire aussi « habité par des objets étrangers ». J’avance ici le paradigme suivant : ce phénomène pourrait alors être à l’origine de « l’effet rebond du traumatisme » dans le processus de l’après-coup. Autrement dit, il pourrait y avoir un redoublement du traumatisme passé dans l’expérience présente.
  • L’autre conséquence pathogène de cette circonstance, qui peut constituer un second paradigme dans la tentative de construire un système d’expication, serait alors que le sujet n’aurait pas d’alternative de traitement à leur opposer que ceux qu’il a expérimentés précocement. Il ne pourrait donc que continuer à se défendre par l’évitement et les tentatives de liaison et d’évacuation musculaire. En ce sens, il semble que les mécanismes de défense du moi demeureraient eux aussi sous l’emprise de la compulsion de répétition, sans qu’il y ait résolution de la tension interne.

Notes
602.

Je reviendrai plus loin plus en détail sur ce mode de traitement particulier et ses déterminants

603.

Voir notamment chapitre 2 § 2.1.1 « Expérience émotionnelle d’agonie subjective: des mécanismes de défense précoces au fonctionnement autistique »

604.

ROUSSILLON R, (2006), op.cit., p.5