Voici le compte-rendu d’une situation, que j’ai choisie parmi beaucoup d’autres, car la manifestation des processus pathologiques m’y semble particulièrement extrême, et correspondre à ce que j’ai observé chez plusieurs autres enfants qui ont eu un vécu précoce du même type. Je considère donc que cette situation a une valeur paradigmatique. J’ai déjà longuement décrit la pathologie grave dont souffre la mère de cet enfant687, mais je vais y revenir succinctement afin de préciser le contexte.
Noé a passé les premières années de sa vie avec une mère schizophrène, qui décompensait régulièrement. Lorsqu’elle était en état de délire, elle s’enfermait dans son appartement avec lui. Elle fermait les volets et se barricadait, en proie à des idées de persécution selon lesquelles « on » voulait la tuer. Elle était très impulsive, violente et imprévisible. Elle terrifiait même les adultes qui la rencontraient, car elle avait un visage grimaçant, un regard noir et perçant. Elle criait, gesticulait et avait des gestes agressifs envers les autres ou envers elle-même. La grand-mère et la tante de Noé racontent qu’elle pouvait aussi s’en prendre à lui. Elle le saisissait brutalement, portait son visage à hauteur du sien, et lui hurlait des propos incohérents en le secouant, avant de le reposer tout aussi brutalement à terre et repartir dans des déambulations à travers l’appartement, sans plus s’en préoccuper.
Parfois elle laissait Noé plusieurs jours à la grand-mère ou à la tante. Elles racontent que celui-ci avait fréquemment l’attitude suivante, sans qu’elles parviennent à comprendre ce qui l’avait déclenchée : alors qu’il paraissait tranquille, l’une d’entre elles s’approchait de lui pour lui parler ou l’embrasser. Mais Noé prenait soudain une expression terrifiée, et courait se cacher ou se blottir dans un angle de la pièce ou sous un meuble. Si elles essayaient de le rejoindre, de lui parler pour l’apaiser, il se mettait à hurler en donnant des coups de pieds et de poings. Si elles tentaient de le prendre dans leurs bras, il luttait et se débattait en criant. Plus elles essayaient de le rassurer, plus son agitation augmentait. Parfois, dans un état de panique, il cherchait à s’enfuir. Il pouvait alors se mettre en danger. Cela pouvait aussi se produire la nuit. Noé refusait de dormir seul : il ne parvenait à s’assoupir que blotti contre sa tante, en lui tenant la main. Mais si elle se réveillait au cours de la nuit, il n’était pas rare qu’elle ne le trouve plus auprès d’elle. Il était roulé en boule dans le coin de la pièce, les yeux grands ouverts, en état d’hypervigilance, entouré d’objets défensifs (ciseaux, couteaux de dînette, projectiles, cordes…). Là aussi, il lui était très difficile de s’approcher de lui sans déclencher l’attitude décrite précédemment.
Il est important de considérer que ce phénomène s’est reproduit dans chaque lieu où a vécu cet enfant après coup (pouponnière, service d’hospitalisation à temps complet, maisons d’enfants, centre de jour), et que toutes les personnes qui se sont occupées de lui ont apporté le même témoignage. J’ai moi-même observé ce comportement à plusieurs reprises au centre de jour. J’ai constaté qu’il se déclenchait sans motif objectif de persécution, mais souvent simplement parce qu’un adulte s’approchait de lui. Cette simple situation semble déclencher chez lui le signal d’angoisse, précurseur de la réaction en chaîne.
J’ai perçu l’état de terreur extrême dans lequel Noé était plongé, comment il semblait persuadé que nous allions lui faire du mal et paraissait « déconnecté » de ce qui se passait réellement autour de lui. Le seul moyen expérimenté qui l’apaisait était de le porter tant bien que mal dans une pièce fermée, où son éducatrice restait avec lui mais sans le toucher, en lui parlant doucement du fait qu’elle comprenait qu’il avait peur d’elle, qu’elle ne bougerait pas, mais qu’elle ne voulait pas le laisser tout seul avec sa détresse. Il pouvait alors se mettre dans un coin, s’auto-calmer tout en la surveillant.
La reproduction de ce comportement de blocage-lutte-fuite, selon des modalités correspondant à l’attitude que les expériences de confrontation avec sa mère violente et délirante pouvaenit originellement justifier, m’autoriseà suggérer qu’il s’est constitué en modèle interne opérant de réponse à l’envahissement par l’angoisse automatique.
A partir de ces observations, on pourrait postuler que, chez les enfants qui ont subi des traumatismes relationnels précoces, la constitution des mécanismes de l’angoisse n’a pas pu suivre le déroulement qu’a décrit Freud. En effet, les interactions précoces expérimentées par ces sujets semblent caractérisées par l’imprévisibilité de l’objet. Ils ont rencontré une alternance de vécus de satisfaction des besoins et de soulagement grâce à l’intervention de l’objet, des vécus de maintien de la situation de désaide (détresse+solitude+impuissance) et des vécus d’empiètement de la part de l’objet. Ainsi dans ce dernier cas, le phénomène d’augmentation de la grandeur des stimuli est causé par la rencontre avec l’objet. Ainsi on pourrait supposer qu’au-delà du premier traumatisme de la naissance, les sujets ont vécu en présence de l’objet des séries d’expériences traumatiques de débordement et de désorganisation par l’excitation et d’agonie subjective, qui les ont ramenés aux éprouvés de la naissance.
Si l’on raisonne selon la logique proposée par Freud, on postulerait que, chez ces sujets, le principe d’« angoisse originelle » ne correspond pas uniquement à l’expérience vécue lors de la naissance, mais s’étend à toutes les expériences de rencontre avec l’objet pendant les premiers temps de vie. En effet, celui-ci se serait conduit de manière si inadéquate qu’en plus de l’avoir soumis à des excitations exogènes extrêmes, effractives et désorganisatrices, celle-ci n’aurait fait qu’accroître la conscience du nourrisson de sa séparabilité, de sa solitude et, par là, de la précarité de son existence.
Ainsi, si l’on peut reconnaître que l’angoisse originelle des sujets de ma clinique proviendrait bien de la prise de conscience prématurée de perte d’objet, ce seraient donc les interventions de l’objet réel lui-même qui en seraient responsables. Ainsi se refermerait le piège du paradoxe qui génèrerait le déclenchement d’angoisse dès que la question de l’objet s’imposerait à la psyché, par son absence et par sa présence, hors fantasmes de contrôle tout-puissant. La relation à l’objet, qu’il soit présent ou qu’il soit absent, serait de toute façon anxiogène.
Dans ce contexte, il semble se produire une distorsion de la transformation exposée par Freud,du passage de la néo-apparition automatique de l’angoisse, involontaire, à sa reproduction intentionnelle comme un signal de danger:
A l’origine de cette distorsion, se trouverait le fait qu’il n’y a pas d’intégration d’une représentation d’un objet « fiable », qui garantit que l’objet est « à tous les coups saisi par la perception » et met fin « à tous les coups » à la situation de danger. Dans ce cas de figure, il semble que le déploiement de conduites d’éconduction, ainsi que la production et l’agrippement à des sensations-formes autistiques, jusqu’à, on l’a vu, l’encapsulation autistique, demeurent les seuls recours « fiables » que ces sujets auraient à leur disposition pour survivre à des expériences d’agonie primitive688.
Un autre élément d’explication serait le fait que la rencontre avec l’objet a été l’occasion d’expériences d’envahissement par des stimuli internes et externes qui ont effracté et débordé les capacités de régulation et de transformation du moi immature du nourrisson. Il s’agit d’expériences répétées de désaccordage massif, de sur-stimulation excitante ou d’exposition à des séquences violentes (cris, coups, secousses, volume sonore d’appareils Hi-Fi trop élevé, etc…), suivies d’expériences de délaissement. Elles suscitent chez l’infans des états affectifs paroxystiques de terreur et/ou de rage, sources d’expériences émotionnelles traumatiques, qui dissolvent la différenciation soi/objet.
Ces stimuli déclenchent des processus qui, selon Freud, trouvent leur origine dans le ça. Ces processus donneraient au moi l’occasion du développement de l’angoisse. Freud a tenté d’établir une topique de l’angoisse. Il affirme ainsi : (p.54)
‘« Le moi est le lieu de l’angoisse proprement dit ; (…) l’angoisse est un état d’affect qui ne peut être éprouvé que par le moi. Le ça ne peut pas avoir de l’angoisse comme le moi, il n’est pas une organisation, ne peut juger de situations de danger. » ’A ce stade, il émet l’hypothèse que le mécanisme de refoulement appliqué par le moi serait motivé par un état d’angoisse dans le moi, vis-à-vis de l’activation de tel ou tel processus dans le ça. Il postule donc deux cas de figure d’expression de l’angoisse, différents par leur origine. Soit « il se produit quelque chose dans le ça » (il me semble que Freud fait allusion à l’activité pulsionnelle) qui déclenche l’état d’angoisse dans le moi et signale la nécessité de mettre en œuvre des processus d’inhibition. Soit il se produit quelque chose à l’extérieur, qui plonge le ça dans un état analogue à celui de la naissance et qui déclenche une réaction d’angoisse automatique.
Nous avons vu tout au long du développement de la recherche conduit jusqu’ici comment les répétitions d’expériences traumatiques précoces altèrent considérablement le développement du moi. Reprenant l’expression de S. Ferenczi, j’ai parlé de « mutilation ». J’ai montré comment, du fait de ces altérations, les enfants de ma recherche étaient facilement en proie à de terribles sensations concernant leur substance psychique (aspiration, écoulement, explosion, etc). J’ai indiqué comment ces sensations semblent réactualiser des vécus précoces d’agonie subjective, et le cercle infernal que ceci paraît déclencher.
Les éléments présentés précédemment à propos des mécanismes de l’angoisse, me paraissent permettre d’avancer une autre idée : le moi traumatisé et « mutilé » de ces enfants ne serait pas en capacité de distinguer l’angoisse automatique, vécue dans une situation réelle de danger, de l’angoisse signal, vécue dans une situation de menace « simple » de danger. Dans toute situation qui paraît ressembler, ne serait-ce que par un aspect minime, à la situation de danger réellement subi autrefois, il se comporte comme s’il était débordé par l’angoisse automatique. Afin de décrire ce processus quasi-hallucinatoire, on pourrait dire que le moi prendrait, non ses désirs, mais ses terreurs, pour la réalité.
A ce propos, G. Lavallée689 me semble proposer quelques précisions intéressantes. Selon lui, l’angoisse signal est mieux décrite par la notion d’anxiété dynamique : elle suppose un appareil psychique intact, capable de délimiter et de penser le danger ; elle nécessite des contenants dynamiques, tels que les enveloppes psychiques, continuant de lier et de séparer le dedans et le dehors. Il oppose l’angoisse signal à l’angoisse psychotisante, et à l’angoisse latente décrite par M. Klein690, en se référant au principe de contenant : la première sorte d’angoisse serait contenue, tandis que l’angoisse psychotisante romprait les contenants et que l’angoisse latente ne serait pas contenue. Il cite ainsi M. Klein :
‘« …dans les états psychotiques, l’angoisse n’est plus vécue comme telle mais elle est présente, en permanence, à l’état latent : tout semble mort, de toujours et pour toujours. La reliaison fera surgir cette « angoisse latente », qui prendra dès lors la forme d’une peur persécutrice. » ’Selon M. Klein, la caractéristique principale et constitutive de l’angoisse latente serait l’envahissement par la sensation de néantisation psychique, qui n’est pas sans rappeler les notions d’agonie subjective primitive et, finalement, de désaide proposées par Freud.
G. Lavallée attire ainsi l’attention sur les défauts de maturation-structuration du moi dans certains états psychiques. Il écrit ainsi : (p.106) :
‘« Dans les états charnières entre psychose et névrose, il arrive fréquemment que le moi soit suffisamment présent pour vivre l’angoisse, mais trop dépourvu d’enveloppes psychiques pour pouvoir la contenir. »’Par ailleurs, Freud évoque une évolution des situations de danger en fonction des progrès du développement. Ces progrès susciteraient une « dévalorisation de la situation de danger précédente ». Une fois dévalorisée, elle serait mise à l’écart, ainsi que la condition d’angoisse qui lui était associée. Freud commence par évoquer le fait que (p.55) « le danger du désaide correspond dans la vie à l’époque de l’immaturité du moi, comme le danger de la perte d’objet à l’absence d’autonomie des premières années. ». On pourrait alors penser que lorsque le sujet a la sensation d’avoir acquis un degré d’autonomie (donc d’indépendance à l’égard de l’objet) suffisant, il n’est plus aux prises avec l’angoisse correspondant à la situation de désaide. Ceci paraît être en contradiction avec la clinique étudiée, mais Freud amène un peu plus loin une nuance à son propos qui paraît concerner les états pathologiques. Il précise : (p.55) :
‘« Mais toutes ces situations de danger et conditions d’angoisse peuvent cependant persister côte à côte et induire le moi à la réaction d’angoisse, même à des époques postérieures aux époques adéquates, ou bien plusieurs d’entre elles peuvent prendre efficience simultanément 691 . »’Nous avons vu tout au long de cette première partie de la recherche que les enfants de ma recherche présentent des caractéristiques singulières. L’étude de leurs comportements m’a semblé mettre en évidence leur vulnérabilité extrême aux excitations, la façon dont ils tentent de se protéger de leurs effractions, ainsi que les effets que celles-ci paraissent produire lorsque leur système de défense est court-circuité. J’ai montré comment, placés en situation de stress intense, ces enfants semblent avoir tendance à utiliser un mode de traitement de l’expérience émotionnelle pénible des plus primitifs, qui favorise les conduites de décharge, d’éconduction motrice et verbale, d’excorporation et de projection. J’ai étudié le phénomène de liaison pathologique des perceptions actuelles avec les traces mnésiques traumatiques précoces, associé à l’interpénétration des émotions corrélées à chaque catégorie. Enfin, j’ai exposé comment, du fait de la combinaison de ce principe avec des défaillances des fonctions pare-excitations, contenant, écran interface et fond de l’enveloppe de leur appareil psychique, la connexion perception-signification pouvait être chez eux facilement chargée d’hallucinatoire positif.
La combinaison de l’adaptation neurobiologique et du fonctionnement psychique semble produire une disposition générale à voir ce que nous nous attendons à voir, mais chez le commun de sujets, c’est-à-dire, hors champ psychopathologique, nous disposons de fonctions spécifiques qui concourent à adapter l’interprétation aux perceptions des stimuli du réel. Il existe un principe de co-régulation(s), l’une s’adaptant et se modifiant en fonction des autres tout en les transformant suffisamment pour pouvoir les intégrer.
Nous avons vu qu’il ne peut en être ainsi pour les enfants de ma recherche du fait de la nature traumatique répétée de leurs expériences précoces, ainsi que des lacunes et des faiblesses du développement de leurs fonctions psychiques. Ainsi, pour eux, le principe de co-régulation(s) perceptions/interprétations est très précaire. Ils auraient donc nettement plus tendance à voir ce qu’ils s’attendent à voir. Or, les enfants qui ont encodé comme représentations de base des expériences selon lesquelles l’environnement est menaçant et l’objet non-fiable, non-contenant, non-aidant, imprévisible et potentiellement intrusif et dangereux, risquent de continuer à percevoir ce type de menace, y compris lorsqu’il n’existe pas réellement.
J’ai indiqué la réaction en chaîne pathologique qui a tendance à se déclencher alors, et comment ils se trouvent débordés par l’angoisse.
Il me semble qu’on pourrait percevoir ici une autre qualité d’angoisse : ces enfants pourraient connaître ce que D. Houzel692 a nommé des « angoisses d’emballement » . Elles correspondraient au sentiment d’être pris dans un mouvement qu’ils seraient incapables de maîtriser.
Le contact avec l’objet, éminemment attracteur, qui déclencherait des excitations incontenables, l’envahissement par les réminiscences hallucinatoires des expériences précoces traumatiques et l’activation des modèles internes opérants, leur donneraient l’impression d’être emportés par un mouvement tourbillonnaire, d’être « pris dans l’œil du cyclone », jusqu’à un gouffre où leur substance psychique serait anéantie. Dans l’image du mouvement tourbillonnaire, on retrouve l’idée d’aspiration vers un gouffre et le principe d’un mouvement qui s’accélère à proximité du trou. Il me semble que la terreur exprimée par plusieurs enfants à l’égard de la chasse d’eau des toilettes ou de la bonde d’écoulement des eaux de la baignoire reflète, « métaphorise » cette angoisse. L’eau et les éléments qu’elle contient tourbillonnent avant d’être aspirés de plus en plus vite vers le trou où ils disparaissent, sans que les parois lisses des contenants offrent de prise.
Il semble qu’Irène commence à acquérir un minimum de capacité à se représenter ce qui lui arrive dans ces moments-là, et à nous livrer la représentation qu’elle s’est créée. Elle annonce : « Attention, il faut que je me calme, car sinon je vais me dégénérer . » J’ai déjà indiqué comment il m’a semblé qu’elle s’était emparée de l’expression qu’emploient les adultes pour évoquer les moments où les enfants risquent de se faire mal ou d’endommager du matériel dans la frénésie de l’agitation ou du chahut : « Calmez-vous, ça va dégénérer ! ». L’appropriation de cette expression et sa mise en forme semblent indiquer un mouvement psychique de spécularisation, dans une tentative d’auto-représentation de son état et de son besoin m’ont paru de bon augure. Sa mise en mots à visée de partage et d’interpellation de l’environnement, « aidez-moi à me calmer », semble aussi aller dans ce sens. Elle n’est pas toujours capable de cette opération mentale, et souvent le processus s’emballe et l’emporte dans l’ « œil du cyclone ».
En synthèse de cette étude à propos du statut de l’angoisse chez les sujets de ma clinique et pour faire le lien avec les conclusions temporaires précédentes, on dira :
Du fait de la nature de leur vécu précoce et des défaillances de leur appareil psychique que je viens d’analyser longuement, ces enfants seraient sans cesse et, d’une certaine manière, depuis toujours, aux prises avec des expériences traumatiques, dès qu’ils seraient en contact avec les expériences émotionnelles issues de « la question de la rencontre de l’objet », de la perception de la réalité de l’objet, et de leurs effets sur leur réalité interne. Ils n’auraient ainsi jamais pu se constituer de confiance de base envers le monde et les bons objets internes et externes, ils seraient perpétuellement confrontés aux résurgences des terreurs primitives à l’égard des mauvais objets. Simultanément, ils n’auraient jamais pu acquérir de confiance de base vis-à-vis de leurs propres capacités et compétences, de même que de leur propre valeur et faculté d’être aimés; aussi seraient-ils toujours sujets aux angoisses primitives liées à la continuité d’existence. La conjoncture de ces deux points ne permettrait pas de « dévalorisation » des situations de danger précoces, en particulier celle de « désaide », d’agonie subjective primitive. Ils seraient ainsi sans cesse aux prises avec des vécus d’Hiflosigkeit, des déclenchements de réactions d’angoisse automatique, débordantes, disruptives et disloquantes. Les signaux d’angoisse ne pourraient donc chez eux être opérants : en l’absence de contenants fiables, de persistance de la différenciation dedans-dehors, leur moi précaire ne pourrait déclencher de processus de défense et de traitement. il serait court-circuité, sidéré. Rien ne viendrait endiguer la propagation de l’excitation aux traces mnésiques anciennes, rien ne pourrait empêcher l’envahissement par les réminiscences hallucinatoires terrifiantes. Ceci déclencherait la précipitation de réactions en chaîne, sur le mode « blocage-lutte-fuite », et le déclenchement du signal neurobiologique qui enjoint d’interrompre l’activité de pensée et de lancer le processus de décharge, caractéristique du fonctionnement psychique originaire ;
Il me faut à présent étudier les effets et leurs manifestations de ces éléments dans le cadre des relations d’attachement établies entre Ces enfants et leurs objets d’élection : leur assistante maternelle, leur parent, leur éducatrice… En effet, ces enfants ne paraissent pas être incapables d’attachement, malgré les souffrances que la relation à un objet leur procure. Mais les modalités d’attachement, d’investissement et de traitement de l’objet sont toutefois très particulières. D’autre part, comme je l’avais annoncé en préambule, pour saisir la réalité du fonctionnement d’un sujet, il convient de ne pas prendre en seule considération la seule singularité de l’organisation de son espace intrapsychique, mais également les processus motivés par la mise en situation inter-individuelle.
Je vais donc à présent chercher à saisir l’expression de la pathologie de ces sujets pris, tenus et constitués par l’intersubjectivité, dans deux dimensions : d’une part dans la constitution et la structuration précoces de l’inconscient et de l’appareil psychique interne (il s’agit de l’étude de la qualité des objets internes et des relations avec eux que j’avais annoncée), d’autre part dans les effets produits sur ceux-ci par les rencontres ultérieures avec les autres.
Je vais ainsi proposer une étude, chez les enfants qui ont vécu des traumatismes relationnels précoces, du « modèle interne opérant de la rencontre d’objet» et de « l’appareil à relationner », des phénomènes transubjectifs qui en découlent, ainsi que des réactions intersubjectives et interpersonnelles qui génèrent la reproduction des patterns interactifs inadéquats.
Voir supra chapitre 1 § 1.7.1 « Les différentes sortes de traumatismes relationnels précoces », cas n°2
Voir aussi à ce sujet : ROUSSILLON R., (1990), Angoisse signal et agonie primitive, in Cahiers du Centre de Psychanalyse et de Psychothérapie n°20, pp. 3-17
LAVALLEE G., (1999), L’enveloppe visuelle du moi, Dunod, Paris
KLEIN M., (1946) Notes sur quelques mécanismes schizoïdes, in KLEIN M., HEIMANN P., ISAACS S.,, J. RIVIERE, op. cit.
Il semble qu’on retrouve ici le point de sa théorie de l’après-coup que j’ai évoqué. Voir chapitre 2 § 2.4.1.1 « Evolution des conceptions freudiennes du traumatisme »
HOUZEL D., (1988), Les angoisses de précipitation, in Autisme et conflit esthétique, op.cit.