3.2 Naissance et développement des liens pathologiques

3.2.1 Étude des conditions de la constitution de l’attachement et de la dépendance a l’objet : la situation de réanimation psychique et relationnelle

Au fil de la première partie de la recherche, nous avons vu que les enfants qui ont vécu des traumatismes relationnels précoces n’ont pu développer leur appareil psychique et ne disposent pas d’un sentiment de continuité d’existence assuré. Le degré et la capacité d’intégration de leur moi sont faibles, ils sont sans cesse aux prises avec des expériences émotionnelles qui réactualisent, sur un mode hallucinatoire, les traces mnésiques des traumatismes précoces et sont victimes de débordement d’angoisse automatique. Ils se trouvent très facilement envahis par des angoisses de morcellement, de liquéfaction, de vidage, de chute, du registre des agonies subjectives primitives, ainsi que par une angoisse d’emballement dans une réaction cyclonique incontrôlable. L’ensemble de ces éléments activant un modèle interne de représentations et de réactions inscrit très précocement, nous avons vu qu’ils emploient différents procédés défensifs primitifs afin de pallier les effets de ces vécus terrifiants.

Nous avons vu également que certains procédés paraissent appartenir à une zone autistique de leur fonctionnement psychique, d’autres à une zone beaucoup plus psychotique. Nous avons noté qu’ils peuvent avoir recours aux procédés auto-calmants, ainsi qu’à l’agrippement adhésif aux sensations auto-procurées pour garantir un sentiment d’existence continue et obtenir une identité de sensations. J’ai postulé que cette zone de fonctionnement pouvait être le reliquat d’un système adaptatif de défense et de survie développé lors de la confrontation prolongée à des interactions précoces avec un environnement très inadéquat.

J’ai signalé qu’à leur arrivée dans leur famille d’accueil, la majorité des enfants présentaient des signes prononcés d’autisme secondaire. La plupart étaient malades, souffraient de retard staturo-pondéral, de troubles graves de l’alimentation et du sommeil, caractérisés par de l’hypersomnie ou de l’insomnie associée à des attitudes d’hypervigilance à l’égard de leur environnement. Ils présentaient des troubles de la relation et de l’attachement, caractérisés par un évitement du contact plus ou moins prononcé, le recours à des procédés auto-calmants et auto-contenants plutôt qu’à des conduites d’appel de l’objet, et l’incapacité à se laisser apaiser par le contact avec l’objet. Certains étaient inexpressifs, figés, n’exprimaient ni ne manifestaient aucun besoin, d’autres pleuraient pratiquement en permanence.

Leur assistante maternelle avait ainsi dû mettre en oeuvre une véritable « réanimation psychique », qui avait permis qu’ils sortent de cet état, mais également que se révèlent d’autres troubles, à l’expression beaucoup plus « bruyante » et perturbante. En effet, pour exprimer l’enjeu en termes kleiniens, la sortie du retrait autistique et de la forteresse de l’omnipotence narcissique, implique la confrontation aux enjeux de la position schizo-paranoïde et à ceux de la position dépressive.