3.3.1 Etude des relations aux objets internes et leurs effets

J’ai dit que lorsque l’attachement à l’objet, l’assistante maternelle par exemple, est accompli et que l’amélioration de l’état de l’enfant ne justifie plus de soins intensifs, le décor était planté et les rôles « écrits » pour les différents personnages des scènes psychodramatiques qui vont se répéter indéfiniment.

Quels sont ces personnages ? Il me semble qu’ils correspondent aux différents objets internes qui habitent les enfants suite à leurs différentes expériences relationnelles.

Dans la première partie de la recherche, nous avons vu que leurs expériences précoces les ont amenés à intérioriser des représentations de base.

D. Stern783 a nommé ces abstractions « représentations d’interactions généralisées ». Dans le même esprit, O. Kernberg784 a proposé un modèle selon lequel les relations avec différents objets dans un contexte de plaisir ou de déplaisir seraient liées et intégrées dans des représentations d’objets primitives fantasmatiques, en corrélation avec les représentations du moi. Cela produirait des « unités fondamentales de relations d’objets internes » (incluant représentation de soi et représentation d’objet) qui intègreraient les composantes affectives constitutives des pulsions. Dans ce modèle, le ça est considéré comme le produit total des relations d’objet primitives refoulées, désirées et craintes. L’intégration progressive, « en couches », des relations d’objet internes persécutoires et idéalisées, interdictrices et incitatives, participerait à la formation du surmoi primitif785. Mais les relations d’objet internes « activées au service des défenses » se constitueraient en structure de soi intégrée, dans le moi.

D. Stern propose de nommer l’objet interne produit par une série d’abstractions réalisées à partir des expériences subjectives d’ « être avec » ou d’ « être en présence d’un autre régulateur de soi » : « le compagnon évoqué ». Mais lorsque les sujets ont été confrontés à des expériences précoces répétées de désaccordage avec leur objet premier, en lieu et place du « compagnon évoqué », s’installerait un objet interne en forme de dieu mythologique : un objet tyrannique, despotique, qu’il faudrait satisfaire en tout point ; un dieu tout-puissant et extrêmement exigeant, versatile et imprévisible, qui ne « comprend » pas mais punit tout manquement à ses désirs. Il me semble que cet objet interne participe à la vie psychique des enfants de ma recherche, mais qu’il en existe d’autres.

D’autre part, J. Bowlby786 avait observé que, lorsque les enfants vivent des situations de négligence ou de maltraitance, ils auraient tendance à développer un mode d’attachement désorganisé/désorienté, selon lequel leur représentation primaire d’eux-mêmes est une représentation dans laquelle ils se sentent non-désirables et non-aimables. La représentation dominante de la figure d’attachement qui reflète cela est celle d’un objet qui ne se préoccupe pas et qui rejette. J. Bowlby avait néanmoins trouvé que ce modèle peut être en conflit avec d’autres représentations plus positives, réelles ou imaginées, de soi et des autres, que les enfants développent dès la naissance. Ceci avait conduit Bowlby à décrire ce qu’il a nommé des « systèmes séparés » ou des « modes d’attachement fragmentés », qui seraient réprimés car trop douloureux pour être gardés à la conscience. Ces modes ne seraient pas « oubliés », mais relégués dans l’inconscient. Ils continueraient d’opérer, dès qu’ils seraient activés par des expériences interactives qui appellent des indices d’attachement normaux et dont les figures d’attachement ne parviennent pas à diminuer l’inconfort, la douleur ou l’anxiété. Leurs manifestations apparaîtraient irrationnelles, imprévisibles, hors contexte et hors contrôle. J’ai indiqué également comment ces enfants sont parfois pris dans un emballement cyclonique de réactions de violence et de persécution, qui correspond au « réveil » et à l’envahissement de leur espace psychique par des réminiscences hallucinatoires de leurs expériences traumatiques passées.

Notes
783.

STERN D., (1989), op.cit.

784.

KERNBERG O., (1998), op.cit.

785.

Je reviendrai un peu plus loin sur les particularités des instances de surmoi et d’idéal du moi chez les enfants de ma recherche. Voir chapitre 3 § 3.3.2.2 « Culpabilité primaire, deuil pathologique et traitement mélancolique »

786.

BOWLBY J., (1979), op.cit.