iii. Retrouver la maîtrise en initiant la persécution et jouir de l’expérience d’y survivre 

L’objectif de cette attitude paraît être de faire vivre la terreur et la culpabilité à l’autre, tandis que ne subsiste sur la scène interne du sujet que la jouissance de triompher de l’objet, à l’origine perçu comme un persécuteur et réduit là à l’état de « petite chose impuissante ».

Jonathan peut développer le même type d’attitudes que j’ai décrites chez Kevin 861 , et qui amène son assistante maternelle à céder à ses exigences, en se plaignant de l’air triomphant qu’il arbore alors, mais en reconnaissant, non sans exprimer également de la culpabilité, que l’enjeu est de faire cesser sa « crise ».

Lorsque Jonathan est contrarié, craint et enrage à la fois de perdre la « bonne » relation à ses objets, il s’identifie à l’objet interne persécuteur, haineux, et meurtrier, qui correspond à l’incorporation de son père en état de crise de violence, et projette ses parties terrifiées clivées. Il se met à annoncer que l’on va voir de quoi il est capable, qu’il va tuer tout le monde, les personnes impliquées dans l’interaction et d’autres qui sont absentes. Il peut aussi annoncer qu’il va se tuer et se maltraite de façon à ce que les autres comprennent qu’ils sont la cause de cette maltraitance. Il fait ainsi une grande scène qui ameute tout l’entourage.

On peut aussi observer ce genre d’attitude sans qu’elle soit initiée par une réelle contrariété imposée par l’objet. Elle paraît se déclencher de façon spontanée, et l’enjeu du scenario peut se dérouler de soi à soi, sans intervention de l’objet.

Jacques par exemple provoque des adultes ou d’autres enfants qu’il redoute et admire à la fois, ou bien il se met seul en danger. Par ces attitudes, il risque d’être blessé, de souffrir, mais il induit aussi délibérément une réaction de la part de son environnement.

Idriss, Irène, Noé, Richard ou Mickaël présentent les mêmes attitudes. Ils semblent adopter délibérément des comportements désagréables et provocateurs. Ils sont insolents, prennent le contre-pied de ce qu’on leur demande ou interdit, accumulent les bêtises. Nous avons remarqué une augmentation de ces attitudes après qu’on les eut félicités ou gratifiés.

Il semble que, dans cette configuration, l’enfant provoque activement le retour d’une expérience traumatique pour tenter de la maîtriser. Il paraît chercher à mettre l’objet en colère comme pour devancer un changement imprévisible chez lui. Le postulat de base semble être : « si l’objet est adapté et bon avec moi, c’est pour me séduire, mais cela ne va pas durer : il va changer et me rejeter. Si je me suis laissé séduire, je vais souffrir. Mieux vaut donc le pousser à révéler son « vrai visage » d’emblée : au moins je ne serai ni surpris, ni déçu, et je ne souffrirai pas à l’idée que je n’ai pas pu conserver cette bonne relation malgré mes efforts». Tout se passe comme si toute « bonne » attitude de l’objet n’était pas crédible, pas fiable, ou cachait une menace. Et comme si l’enfant pensait : mieux vaut détruire activement que perdre passivement.

On a observé que cette configuration est particulièrement présente chez les enfants qui ont été soumis à un objet premier imprévisible, dont l’état, l’humeur, et par conséquent l’investissement, pouvaient basculer brutalement. Il semble ainsi que ce soit un des modes d’évolution possibles de l’attachement désorganisé : cela fournit en effet une certaine stratégie de la gestion de la relation à l’objet, bien qu’elle soit inadéquate puisqu’elle demeure référée aux représentations des expériences passées plutôt qu’aux perceptions du réel actuel.

Parfois le sujet initie lui-même la situation traumatique, de manière addictive, recréant avec une grande excitation la situation angoissante passée (être violenté, être délaissé, rejeté, etc…) pour éprouver la jouissance d’y survivre 862 , de mettre en échec les intentions persécutrices et meurtrières qu’il prête à l’objet, et ainsi démentir sa puissance.

Un autre enjeu simultané est en lien direct avec le sentiment de culpabilité : lorsque l’enfant parvient à faire sortir son objet de ses gonds, à le transformer en enfant stupide, déchaîné, fou de rage, blessé et blessant, il se procure la sensation d’être meilleur parce que l’autre est devenu mauvais.La jouissance narcissique qui en découle semble alors venir écraser les vécus d’angoisse, de détresse et de souffrance, et cette seule considération paraît recouvrir la conscience de perdre ainsi la relation avec l’objet.

Dans cette configuration, il semble qu’on retrouve le fantasme organisateur du meurtre de bébé, avec une inversion dans la distribution des rôles par rapport à la configuration précédente. C’est l’objet externe qui est identifié au bébé menacé de meurtre.

On perçoit combien cet aspect de cette configuration permet de la relier à celle que j’ai décrite précédemment, ce versant sadique étant le pendant du versant masochiste. Il semble qu’on y trouve les mêmes enjeux de recherche de démentis de sa propre annihilation et de la puissance de sa destructivité.

Mais la dimension de triomphe de l’objet et surtout de l’expérience émotionnelle par son intermédiaire paraît trouver sa pleine expression dans la configuration suivante :

Notes
861.

Voir supra « chapitre 3 », § 3.1.2 « Etude clinique de séquences interactives »

862.

ANDRE P., BERGER M., BONNEVILLE E., C.RIGAUD, (2007), L’enfant très violent : origine, devenir, prise en charge, in Revue de Neuropsychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, vol.55, n°7, pp. 353-361