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Dans la dernière partie de l’exposé de la recherche, j’ai présenté le « modèle interne opérant de la rencontre d’objet» et de « l’appareil à relationner » chez les enfants qui ont vécu des traumatismes relationnels précoces. Pour cela, j’ai engagé une analyse des phénomènes transsubjectifs qui paraissent les organiser, ainsi que des réactions intersubjectives et interpersonnelles qui semblent révéler une reproduction de patterns interactifs inadéquats.Cette analyse concerne particulièrement le mode d’investissement de l’objet externe.

Lors de la présentation initiale de mes hypothèses, j’avais formulé l’idée selon laquelle la répétition des comportements pathologiques engagés pour répondre à un impératif de dégagement, ou d’évitement de l’envahissement par l’angoisse, pourrait se déployer en expression indirecte par un processus de projection en l’autre, objet d’emprise, utilisé alors en « double narcissique de soi ». La recherche a montré que l’implication des objets de l’environnement dans les comportements et les interactions pathologiques semble indiquer qu’une « spore d’objet » serait toujours présente, même dans les attitudes apparemment les plus auto-centrées, contrôlantes et projectives. J’ai exposé comment une intrication pulsionnelle minimale était perceptible chez les enfants de ma recherche, en particulier dans le fait que leur déconnexion du réel, leurs attitudes de négligence ou de mise en danger, ou encore les moments de « crise », d’explosion violente de rage induisent une prise en charge quasi-totale de la part de leur environnement.

Il m’a ainsi semblé pouvoir déceler un premier niveau de relation à un objet, utilisé en « moi auxiliaire », auquel serait délégué une partie des pulsions d’auto-conservation. L’étude de la constitution de l’attachement, du mode de relation à l’objet externe et de leur évolution a montré le développement d’une sorte d’aliénation à la consommation de « bon objet », dont la perception directe de la disponibilité permanente serait seule garante du sentiment de continuité d’existence. L’origine de cet investissement se situerait lors des premiers temps de rencontre avec l’objet externe. Celui-ci se sentirait poussé à se comporter en « super-objet » maternant, totalement disponible et en symbiose avec l’enfant, qu’il perçoit comme en danger de mort psychique, voire physique. Il serait identifié à une figure de mère s’occupant d’un nourrisson. Ici se développerait la première phase et configuration du fantasme organisateur de la relation « on tue-sauve une mère-bébé ». Ce fantasme demeurerait l’organisateur des relations futures entre l’enfant et son objet externe, mais en suivant des distributions de rôles et des formulations différentes. La « distribution » correspondrait aux identifications et aux projections des différents objets internes de l’enfant.

Puisque les lacunes du développement de leur appareil psychique, issues d’expériences d’interactions précoces catastrophiques, ne permettraient pas à ces enfants de percevoir et d’investir l’objet autrement qu’en faisceau de projections, ils entretiendraient activement ce phénomène. Grâce à l’activation de la pulsion d’emprise, ces sujets vont développer des attitudes de contrôle sadique à l’égard de leur objet et tenter d’en faire des « moi auxiliaires », censés être à disposition permanente pour pallier sans cesse leurs fonctions internes défaillantes. L’objet est alors investi en « esclave soumis », non terrifiant, non démesurément excitant, puisqu’il serait sous le contrôle permanent du sujet hypervigilant.

Le vecteur de cet investissement serait une identification projective massive et pathologique, associée au déni de la position subjective de l’objet externe, qui devient pour l’enfant une « annexe »-dépotoir de soi. L’espace psychique de cet objet serait alors colonisé par les projections de l’enfant, qui tente d’y déposer les parties non-désirées de sa personnalité ou de son vécu émotionnel.