Éléments non-traités, pistes et projets de recherche ultérieurs

Au cours du développement, j’ai signalé différents aspects de la clinique étudiée que j’ai dû renoncer à traiter, afin que ce travail conserve des proportions raisonnables. Il en existe certainement bien d’autres que je n’ai pas citées ou qui ne se sont pas présentées à ma réflexion. D’autres chercheurs pourraient certainement, me semble-t-il, proposer de nouvelles pistes d’investigation et concevoir d’autres modèles pour saisir et rendre compte de cette pathologie des traumatismes relationnels précoces. Le champ est vaste, en effet, et la clinique complexe.

Quant à moi, j’ai l’intention de poursuivre leur exploration et le travail de réflexion que j’ai amorcé ici. Je souhaite que la poursuite de mon activité praticienne me permette de continuer la démarche d’observation, de modélisation et d’expérimentation thérapeutiques entreprises. D’autre part, je pense qu’il existe de nombreux travaux de recherche se rapportant aux phénomènes que j’ai tenté d’analyser, que je n’ai pas encore découverts. Je souhaite ainsi vivement pouvoir confronter, ajuster et enrichir mes travaux et mes idées au contact de la pensée créative de collègues chercheurs, particulièrement dans le cadre de débats interdisciplinaires.

Je suis convaincue que la mise en lien et en débat des résultats obtenus grâce aux approches et méthodes de recherche de disciplines différentes va se développer dans les années à venir, et ouvrir de nouvelles perspectives tout à fait passionnantes.

J’ai le projet de m’intéresser aux aspects non-traités dans ce travail dot je vais évoquer brièvement ici les principaux, de façon non-exhaustive.

  1. Un point important qui me semble constituer une « zone aveugle » des plus regrettables dans ma recherche est la question des implications de la pathologie des traumatismes relationnels précoces sur l’avènement, la construction psychique et l’organisation des enjeux de la sexualité infantile. J’ai très peu abordé ce point, je me suis limitée à l’évocation des mouvements pulsionnels du registre oral et du registre anal qui traversent et « colorent » l’investissement et la relation à l’objet externe. Bien que mes observations m’aient confrontée à plusieurs reprises aux manifestations des fantasmes qui s’y rattachent, j’ai pris le parti de ne pas développer cet aspect. J’espère pouvoir le faire dans des travaux futurs.
  2. Je n’ai pas traité non plus l’étude des caractéristiques de genre : le lecteur sera sans doute interpellé par le fait que la majorité des cas que j’ai présentés concernaient des garçons. J’ai en effet constaté qu’à l’hôpital de jour ou en consultation, j’ai été amenée à rencontrer principalement des garçons. Parmi l’ensemble de la population à partir de laquelle j’ai effectué ma recherche, la proportion est d’environ 1 fille pour 5 garçons. Est-ce à dire que les garçons sont plus sujets que les filles au développement d’une pathologie des traumatismes relationnels précoces ? L’identité de genre, les projections ou les qualités de l’éducation qu’ils reçoivent de la part de leur environnement joueraient-ils un rôle dans la constitution ou le développement de leurs troubles, ou encore dans la précocité de l’adresse thérapeutique ? Le travail que j’ai présenté n’amène pas d’éléments de réponse à ce questionnement. Il conviendrait donc d’y consacrer une recherche future.
  3. Dans le même ordre d’idées, tous les enfants qui ont vécu des expériences de traumatismes relationnels précoces ne développent pas de pathologie des traumatismes relationnels précoces telle que je l’ai décrite, ou bien ils en présentent certains aspects, de façon moins massive. Pourquoi ? Ou, d’un point de vue plus clinique, « comment » ? Il me semble que, pour que le modèle de la pathologie des traumatismes relationnels précoces soit définitivement validé, il conviendrait d’établir une étude comparative à partir d’un échantillon beaucoup plus large que celui que j’ai pu constituer à partir de ma pratique. Il n’existe que très peu d’études à propos, par exemple, des enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Or, il serait intéressant d’évaluer, sur l’ensemble de cette population, quel pourcentage de sujets présente cette pathologie, quel pourcentage semble y avoir échappé…Quel a été le devenir de ces sujets, dans l’une et l’autre catégorie, à l’adolescence, à l’âge adulte ? Comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, je suis convaincue qu’on ne peut pas prédire avec certitude qu’un enfant va développer une pathologie des traumatismes relationnels précoces en se fondant uniquement sur la considération de la qualité de l’environnement dans lequel il évolue, bien qu’il paraisse raisonnable de considérer la confrontation précoce à un environnement chaotique et inadéquat comme un facteur de risque important. De même, on ne peut pas prédire que tel enfant qui présente ce type de pathologie, et donc notamment des difficultés d’identification et d’empathie à l’égard des autres, une certaine tendance à l’égocentrisme et à la position d’exception, des traitements pathologiques de la culpabilité, et des tendances psychopathiques, agressives et violentes, va inévitablement devenir un tueur en sérieVoir ZAGURY D., (2008), op.cit., bien qu’on puisse être inquiet pour son devenir. Une évaluation à visée diagnostique et pronostique d’une pathologie des traumatismes relationnels précoces ne peut se faire, selon moi, que sur la base d’observations croisées concernant les parents ou autres objets premiers, l’état et la dynamique de développement de l’enfant, et enfin, l’état et la dynamique de développement des relations objets-premiers/enfant…On ne peut réduire l’origine et les motivations du développement d’une « P.T.R.P. » à une vision causale simpliste, incitant au jugement et à l’accusation, organisée autour de quelques idées « chocs » : c’est la faute de la mère, du père, du manque d’éducation, de la maltraitance, des abus, des pulsions, des gènes, de la Justice, de l’A.S.E, des éducateurs, des médecins, des « psys »…Le point de vue clinique ne relève pas, selon moi, d’une démarche normative d’accusation ni de culpabilisation. On a vu les dangers de cette dérive, dans le champ des pathologies autistiques…Or, j’ai le sentiment que le développement d’une « P.T.R.P. » est un phénomène psychopathologique très complexe, qui mobilise des processus croisés des registres psychique, somatique, neurologique et social. Il y aurait encore beaucoup de questions sans réponse et de domaines à explorer. On pourrait s’interroger entre autres sur les sujets suivants : • quels seraient les facteurs spécifiques qui participent à la constitution et au développement de cette pathologie et quels seraient ceux qui pourraient contribuer à les éviter ? Il conviendrait alors de tenter de discriminer ceux qui « appartiennent » à l’enfant (par exemple, existerait-il une sensibilité particulière chez certains ? une prédisposition psychique, génétique ou neurologique ?) et ceux qui « appartiennent » à l’environnement premier ou à l’environnement secondaire. • dans le cas de non-développement de cette pathologie, quels facteurs « externes » y auraient contribué ? Ce point me paraît fondamental, car il pourrait être utile pour la prévention et le soin.
  4. Un autre point concerne le rapport au rôle, à la place et à la fonction du tiers chez les enfants qui présentent une pathologie des traumatismes relationnels précoces. J’ai dit qu’il m’aurait beaucoup intéressé de travailler sur la relation que ces enfants développent avec « l’autre de leur objet » ; en étudiant, par exemple, les relations des enfants vivant dans les familles d’accueil ou les familles adoptives, avec le mari et les enfants de leur assistante maternelle ou mère adoptive. Mais, lors de la présentation des propositions thérapeutiques, j’ai également indiqué mon souhait de travailler sur la fonction tiercéïsante (différenciatrice et reliante). Je voudrais étudier la façon dont elle pourrait être promue dans les dispositifs de soins et par la position des thérapeutes. J’ai en effet constaté que l’usage de certains dispositifs donnait des résultats probants et il me paraît intéressant de voir s’il serait possible d’en dégager une modélisationsusceptible de permettre de définir précisément les caractéristiques particulières de ce principe de tiercéisation ainsi que les conditions nécessaires à son opérativité. Lorsque j’évoque la tiercéisation, je ne me réfère pas au registre du tiers symbolique, qui implique un niveau de maturation psychique dont les enfants présentant des pathologies de début de contact sont très éloignés, mais plutôt à une notion qu’on pourrait éventuellement relier à celle de tiercéité, définie par A. Green et C.S. PiercePIERCE C.S., (1904), Première lettre à Lady Welby  in Ecrits sur le signe, tr.fr. (1978), Le Seuil, Paris, pp.20-57, ainsi qu’à celle de triangulation linéaire, développée par S. ResnikRESNIK S., (1994), Espace mental, Erès, Toulouse, 128p..
  5. Enfin, j’ai indiqué que je n’ai pas fait le choix de l’approche groupale pour l’étude et l’analyse des processus et phénomènes observés. Pourtant, j’ai le sentiment qu’elle serait pertinente et apporterait des éléments enrichissants. Je pense qu’elle serait particulièrement intéressante pour comprendre l’organisation des répétitions des expériences relationnelles précoces traumatiques et des fantasmes organisateurs des relationsVoir supra § 3.3.1.3 Objets internes, groupes internes et fantasmes, et KAËS R., (1994), op.cit., au sein des institutions et des familles d’accueil où évoluent ces enfants. Ces autres pistes à explorer sont pour moi autant d’appels à poursuivre la recherche, comme autant d’invitations au questionnement et à l’imagination créative. Elles dessinent des perspectives à parcourir sur les voies de la pratique, de la pensée et de l’écriture, pour tenter de toujours mieux comprendre et accueillir les liens en souffrance chez ces enfants énigmatiques.