Introduction

L’émergence du paradigme de la durabilité dans les sciences sociales a permis d’intégrer dans un cadre normatif non seulement les questions environnementales mais aussi économiques et sociales. La dimension sociale de la durabilité est rarement abordée, pourtant le capital humain et le capital social sont des facteurs stratégiques de développement et s’inscrivent parfaitement dans le temps. Néanmoins, la question de l’inégalité de la transmission aux générations futures de ces deux capitaux reste secondaire et souvent occultée par les autres dimensions (Atkinson et al. 1997).

À l’échelle des villes, la ségrégation spatiale est évidemment au cœur de la question du développement socio-économique durable. Mais il est important de préciser pourquoi certaines conséquences de la ségrégation spatiale ne sont pas compatibles avec l’objectif de la ville durable. Au travers des mécanismes de séparation/agrégation de populations conduisant à des espaces relativement homogènes et inégalitaires entre eux, la ségrégation spatiale produit à son tour toutes les formes d’inégalité (Maurin, 2004). La séparation physique des territoires qui « s’enrichissent » et d’autres qui « s’appauvrissent » instaure une forme de dualité ou une ville à deux, voire à plusieurs vitesses (Sassen, 1996 ; Buisson et Mignot, 2005). Cela favorise l’entre-soi des groupes les plus aisés au sein des meilleurs territoires et renforce leur position sociale (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2004), tandis que les populations les plus modestes se retrouvent dans les territoires les moins pourvus. Tout en contribuant à plusieurs dysfonctionnements sociaux, ces inégalités socio-spatiales visibles renforcent le sentiment d’injustice et détériorent la qualité du lien social et du vivre ensemble au sein de la même ville. Ces éléments sont aussi déterminants pour la qualité de vie et devront être pris en compte dans une perspective de ville durable.

Au-delà de l’opposition de la localisation des « riches » et des « pauvres » dans la ville duale, l’analyse de la ségrégation doit prendre en compte l’ensemble de la population et des espaces urbains dans leurs interactions ou l’absence d’interactions (Preteceille, 2004). L’importance des interactions et des externalités entre ménages est de plus en plus reconnue et représente selon Glaeser (2000) le futur des recherches urbaines, même s’il est difficile de la réduire au seul intérêt économique individuel ou collectif. Ce que fait craindre la ségrégation poussée à l’extrême, c’est probablement l’absence d’interactions entre des groupes homogènes répartis d’une manière inégalitaire dans l’espace, alors que ces interactions sont limitées aux individus du même groupe. Toutefois, la ségrégation socio-spatiale est rarement complète. Il existe des espaces avec des niveaux de ségrégation intermédiaires et où les individus ne sont pas complètement séparés. À partir de là, les villes les moins ségréguées ne sont-elles pas celles qui favorisent les interactions entre des groupes sociaux différents, affirmant moins d’inégalités entre leurs différents espaces de vie ?

À coté des conséquences négatives de la ségrégation, la croissance des inégalités spatiales pose elle-même un problème. La ségrégation spatiale est-elle tout simplement un artefact d’une échelle particulière comme le supposent certains chercheurs (Genestier, 2005)? Il suffit de la mesurer à plusieurs échelles spatiales pour montrer qu’elle existe réellement, au moins depuis une vingtaine d’années, comme nous le montrerons. Malgré l’intérêt de ce résultat, il est important de dépasser ce seul constat pour essayer de comprendre les mécanismes qui conduisent à la formation d’une ville ségréguée. La ségrégation spatiale est-elle seulement la conséquence de la métropolisation et des tendances « naturelles » des forces du marché foncier et des préférences des individus ou le résultat des interventions des politiques publiques et des macro-agents ?