La ville : métropolisation, intégration et ségrégation

La ville est d’abord le lieu de concentration des populations, des activités et des interactions sociales au sein d’espaces réduits pour profiter des externalités positives. Depuis qu’elle a franchi ses murailles, la ville contemporaine connaît des dynamiques permanentes d’urbanisation, de suburbanisation, de désurbanisation et de rurbanisation générées par des forces de concentration et de dispersion selon le principe d’agglomération et le cycle de vie urbain (Van der Berg, 1987 ; Camagni, 1996). La baisse du coût de la mobilité pendant le siècle dernier a permis d’étendre la « zone dense centrale » et d’intégrer par contiguïté des unités périphériques de plus en plus lointaines dans l’aire de fonctionnement de la ville. La croissance des externalités négatives dans les espaces centraux a également accéléré la suburbanisation des ménages aisés et des activités vers l’extérieur contribuant dans les pires situations au déclin du centre, à la ghettoïsation et la ségrégation spatiale (Mieskowski et Mills, 1993). Cela dit, les valeurs intrinsèques du centre favorisent le retour des populations et des activités et la gentrification, donnant ainsi l’image d’une métropolisation qui accepte les retournements (Lacour, 2005). Après le déclin, c’est la thèse de la résurgence qui est avancée, en insistant sur le rôle des aménités dans des villes, lieux de production et de compétitivité mais aussi de consommation et d’attractivité (Glaeser et al. 2001 ; Cheshire, 2006 ; Davezies, 2008).

La ville est le lieu d’intégration économique et sociale par excellence grâce à la concentration des opportunités d’investissement dans le capital humain et des interactions nécessaires pour la formation du capital social. Mais elle est aussi le lieu de compétition, d’exclusion et de distanciation sociale que le processus de métropolisation tend à rendre plus visibles. La ville regroupe les deux facettes et l’accent est souvent mis sur l’un ou l’autre selon leurs importances respectives ainsi que les sensibilités qui accompagnent les cycles économiques mais aussi les cycles de vie des idées (Lacour, 2005).

Mais dans son fonctionnement, la ville est aussi un engrenage de trois sous-systèmes (Bonnafous et Puel, 1983) : un système de localisation, un système de déplacement et un système de pratiques et de relations sociales étroitement associés. La ségrégation est logiquement abordée sous l’angle de la localisation car elle est associée à l’espace, mais elle est également attachée aux pratiques et aux relations sociales de proximité ou celles permises par le système des déplacements. Ces deux types de relations sont complémentaires et la connexité ne peut se substituer à la proximité pour tous les types d’interactions et pour toutes les catégories sociales. Comment explique-t-on la préférence pour l’entre-soi et la concentration spatiale des ménages les plus aisés alors qu’ils sont « branchés » à tous les réseaux, si ce n’est pour bénéficier des effets positifs de la proximité. Les changements dans le système de localisation peuvent modifier le système des relations sociales mais aussi celui des déplacements. La proximité résidentielle des groupes différents, recherchée à travers l’objectif de mixité sociale, facilite l’interaction sociale bien qu’elle ne se traduise pas toujours en relation sociale (Chambordon et Lemaire, 1970). Un système de localisation marqué par la spécialisation fonctionnelle des espaces conduit à la valorisation de la mobilité spatiale et pénalise les populations les plus défavorisées. L’espace n’est pas homogène et l’équilibre sur le marché de localisation peut conduire ces populations à s’installer plus loin des emplois et des aménités de la ville. Les inégalités d’accès à la mobilité et aux réseaux deviennent des facteurs de renforcement des inégalités économiques et de l’exclusion (Orfeuil, 1999). L’analyse de la ségrégation spatiale est attachée à la proximité physique mais peut également cibler la question de l’accès à la ville (Grafmeyer, 1996).

La ségrégation est aussi liée à l’histoire de la ville, à l’urbanisme et aux politiques publiques (Hamnett, 1994) qui ont largement contribué à la répartition des populations et des activités et au façonnement de la forme urbaine actuelle. Ce qui suppose que les politiques urbaines peuvent encore jouer un rôle pour lutter contre la ségrégation spatiale à travers les modifications de l’usage du sol et du marché foncier et immobilier. Néanmoins, il est indispensable de prendre en compte les préférences individuelles qui, par agrégation de comportements de type Schelling, peuvent produire des effets inverses (Crozet, 1987). Mais il est évident qu’aujourd’hui la métropolisation renforce le poids du pouvoir économique face au pouvoir politique entre la métropole et les autres villes (Sassen, 1996) et à l’intérieur même de la métropole. La cohésion devient dans ce cas un des défis majeurs de la métropole (Camagni et Gibelli, 1997) notamment dans la recherche d’une gouvernance urbaine susceptible de rattraper certains effets pervers des forces de marché de plus en plus puissantes et de mieux gérer efficacité économique et équité sociale. Malgré quelques retournements, nous attendons toujours un déclenchement d’une reconquête urbaine, une revanche de la centralité ou une nouvelle urbanité comme stabilisateur économique capable de recréer le lien social au sein de la ville (Lacour et Puissant, 1999).