Forme urbaine et ségrégation ?

La métropolisation est un triple phénomène de concentration, d’étalement urbain et de ségrégation qui semblent inéluctables (Mignot et Aguiléra, 2004 ; Buisson et al. 2005). La permanence de l’étalement urbain et sa stigmatisation dans le cadre du développement durable relance la réflexion autour du rôle de la forme urbaine.

Il s’agit d’analyser l’influence de la ville dense ou compacte, de la ville polycentrique sur des phénomènes qui touchent à l’économie et principalement à l’environnement. Dans cette lignée, une importante littérature théorique et empirique analyse l’impact de la centralité et des différentes configurations urbaines sur les coûts de la mobilité (Camagni et al. 2002 ; Pouyanne, 2004). En effet, la centralité est un facteur principal dans la compréhension des mutations des formes urbaines car elle organise l’ensemble de l’espace urbain. Tout en faisant la distinction entre centre et centralité (Gaschet et Lacour, 2002), les questions doivent être posées non seulement sur l’émergence des centres secondaires mais aussi sur l’impact de l’évolution de la centralité sur la structure économique et sociale de la ville. Des efforts en matière de recherche doivent encore être poursuivis pour mesurer la centralité (Huriot et Perreur, 1994), ce qui permet de mieux distinguer les villes polycentriques des villes monocentriques et d’examiner leurs avantages comparatifs.

Cependant, très peu de travaux se sont intéressés à l’influence des formes de la croissance urbaine, de l’étalement urbain déconcentré et concentré, sur des phénomènes sociaux tels que la ségrégation alors que cette question est une des préoccupations de la ville durable. L’objectif de la thèse est justement d’analyser l’impact de la forme urbaine sur la ségrégation socio-spatiale. Face à l’étalement urbain et aux craintes de la dispersion de la ville, sa disparition ou au moins la disparition des interactions de proximité qui lui sont associées, il y a cette volonté de retrouver la densité de la ville conviviale (Beckmann, 1976) qui réduit les distances physiques entre les différents individus ou d’organiser une ville polycentrique moins ségréguée (Mignot et Aguiléra, 2004).

La forme urbaine est abordée principalement à travers la densité et le polycentrisme.L’examen de son influence sur la ségrégation spatiale nécessite un retour aux dynamiques de la croissance urbaine et métropolitaine pour construire un cadre d’analyse approprié. C’est en effet l’objectif du premier chapitre dans lequel nous abordons les conséquences et les causes de la ségrégation, en soulignant le rôle de la forme urbaine (Chapitre 1). Ensuite, la ségrégation spatiale, largement attachée à la ville américaine, mérite d’être clairement définie avant de faire l’objet de mesure dans le cadre des villes françaises (Chapitre 2). Cela permet de comprendre cette ségrégation spatiale à la française, avant de confirmer son existence et sa croissance durant les vingt dernières années, en mettant au centre de l’analyse la question des échelles spatiales (Chapitre 3).

En se focalisant sur l’échelle la plus pertinente, celle de l’espace urbain, nous nous concentrons sur les deux derniers chapitres (4 et 5) sur le cœur de la problématique concernant l’influence de la forme urbaine sur le niveau de ségrégation. Nous faisons référence au lien entre le double phénomène d’étalement urbain et de gentrification et la ségrégation spatiale des villes sous l’angle des dynamiques spatiales de la métropolisation, en admettant qu’il existe une marge de manœuvre pour les politiques et les macro-agents. La difficulté des politiques correctrices, indispensables dans leur principe, vient sûrement de la complexité des mécanismes ségrégatifs qui traversent l’ensemble de la population. La ségrégation spatiale est le résultat du fonctionnement du marché foncier et immobilier et des préférences des individus vis-à-vis des aménités spatiales et de l’environnement social. En modifiant l’usage du sol, les différentes formes de la croissance urbaine (étalement/polycentrisme) influencent la ségrégation spatiale à travers ces deux facteurs.

L’analyse du lien entre forme urbaine et ségrégation repose sur l’étalement urbain, dans sa forme déconcentrée en tant que faible densité et la gentrification comme reconcentration se traduisant par une forte densité centrale (Chapitre 4). À travers une analyse sur cent villes, ce chapitre vise à analyser l’effet des densités parmi les différentes variables abordées par la littérature empirique qui sont susceptibles d’expliquer la ségrégation spatiale en France. La densité n’est peut être pas synonyme de faible ségrégation, ce qui confirme l’ambiguïté constatée au niveau théorique. En revanche, l’étalement urbain dans sa forme concentrée renforce la densité de certains espaces périphériques faisant apparaître des centres secondaires diversifiés et spécialisés. La métropolisation et le développement des réseaux permettent également à la ville d’intégrer dans son aire de fonctionnement d’autres centres ou des villes satellites faisant apparaître un espace polycentrique. La ville polycentrique offre à travers ces centres secondaires une opportunité d’intégration des populations éloignées du centre historique et d’attirer une population diversifiée (Chapitre 5). L’objectif ici est de voir si les populations dans les villes polycentriques sont moins ségréguées. L’analyse de la ségrégation entre des villes polycentriques (Lille et Marseille) et une ville monocentrique (Lyon) comparables permet au moins de dégager des hypothèses quant au rôle supposé du (des) polycentrisme(s) dans la réduction de la ségrégation.