1.1.2. Vers une théorie des effets de quartier

Dans la théorie économique, les questions des inégalités ont toujours été attachées au principe des effets cumulatifs et cela depuis Von Thünen (1780-1850) et son principe de cercle vicieux de la pauvreté. Il faut attendre 1944 pour voir émerger le concept de la causalité circulaire expliquant la difficulté des noirs américains en lien avec la question de la ségrégation (Myrdal, 1944). Selon Myrdal, l’origine du problème est liée à une combinaison de facteurs économiques, de préjugés et des politiques ségrégatives raciales qui s’auto-entretiennent constituant ainsi un effet boule de neige (Santi, 1995). Conscient des difficultés des noirs américains, John Kain (1968) est un des premiers à avoir démontré les conséquences négatives de la ségrégation sur l’accès à l’emploi de cette population à travers ce qu’il a appelé spatial mismatch. Les travaux des économistes et des sociologues comme Wilson (1987) ont enrichi cette théorie mettant en avant le rôle de l’espace et les effets de quartier, à travers les interactions entre l’isolement, la concentration de la pauvreté et l’inégalité d’opportunités (Jargowsky, 2002). Le départ des classes moyennes des centres vers les périphéries a conduit à l’appauvrissement socio-économique et culturel des populations et des espaces centraux accélérant l’apparition de différentes pathologies du ghetto.

Le concept des effets de quartier consiste à dire que le quartier pauvre contribue à l’appauvrissement de ses habitants ou, d’une manière générale, le comportement des individus et leur performance sont influencés par le quartier dans lequel ils vivent. Jenks et Mayer (1990) expliquent les effets de quartier à travers les théorie de contagion et de pairs sur les comportements individuels et notamment des jeunes (Wilson, 1987, Crane, 1991) ; les théories de la socialisation collective et le rôle des adultes comme modèles et les théories des institutions et leur rôle dans le contrôle social (écoles, associations, entreprises, services sociaux) (Marpsat, 1999 ; Mayer, 2001). Ellen et Turner (1997) quant à elles identifient six mécanismes distincts mais complémentaires à travers lesquels le quartier est susceptible d’influencer les comportements et les caractéristiques des individus : la qualité des services locaux, la socialisation par les adultes, les effets de pairs, les réseaux sociaux, l’exposition au crime et à la violence, et enfin, la distance physique et l’isolement. Enfin, Friedrichs et al (2003) résument l’ensemble des facteurs intervenant dans les effets de quartier et qui font plus consensus dans la littérature en sciences sociales en quatre catégories qui touchent à la fois le capital économique, humain et social. Ils mettent en avant l’effet des ressources du quartier et notamment la réputation du quartier (effet de stigmatisation) et l’accessibilité à l’emploi (spatial mismatch) ainsi que les services publics locaux tels que les écoles ou les services de santé (capital humain). Ensuite, ils distinguent le modèle d’apprentissage via les interrelations individuelles et le lien social, basé sur les réseaux personnels et les groupes de pairs (capital social privé) et la socialisation et l’efficacité collective qui reposent sur les normes communes et le sens de contrôle de l’espace public local à travers les interactions verbales ou visuelles (capital social public). Enfin, ils soulignent l’importance de la perception des résidents envers leur quartier et notamment par rapport au crime, le trafic de stupéfiants ou les violences.

Même si les fondements théoriques du lien entre les effets de quartier et les comportements sociaux sont considérés comme l’œuvre des sociologues urbains et des psychologues (Mayer, 2000), les économistes urbains, depuis les travaux de John Kain, se sont intéressés aux effets négatifs de la ségrégation dans le quartier, à l’emploi et à l’école, qui touchent les populations défavorisées et notamment les noirs américains (Glaeser et al. 2004). Il ne s’agit pas de présenter l’ensemble des conséquences négatives de la ségrégation spatiale à travers les effets de quartier mais d’insister sur les seules conséquences mesurées dans la littérature en sciences économiques et sociales.