1.1.2.1. Spatial mismatch et accès à l’emploi : distance, hystérèse et stigmatisation

Le lien théorique entre la ségrégation spatiale et le chômage vient de l’hypothèse du spatial mismatch ou du Mauvais Appariement Spatial (MAS) proposée pour la première fois par Kain (1968) pour expliquer le fort taux de chômage des populations noires dans les quartiers centraux de la ville constaté par la commission Kerner suite aux émeutes qui ont touchées les ghettos de certaines villes américaines en 1967 à l’image de Los Angeles. Cette hypothèse distingue deux effets de la ségrégation spatiale sur le taux de chômage : la distance physique et les effets de quartiers liés aux externalités et à l’hystérésis spatiale (Cutler et Glaeser, 1997 ; Fitoussi et al. 2004). L’impact négatif de la ségrégation spatiale se traduit par une distance physique, qui sera maintenue par la suite à travers les pratiques de discrimination au marché résidentiel, entre ces populations et les pôles d’emplois périphériques. Cette distance physique représente en réalité le coût généralisé de transport entre le lieu de domicile et le lieu de travail de chaque individu. Même si la cause initiale du chômage disparaît (déqualification par exemple), la longue durée passée à la recherche d’emploi alimente la probabilité de rester encore au chômage pour ces personnes. L’hystérésis spatiale signifie que la concentration des populations fragiles dans les mêmes zones favorise les effets d’externalités négatives et augmente leur probabilité future d’être au chômage indépendamment de leur accessibilité physique aux emplois (Cutler et Glaeser, 1997). Cette hypothèse (MAS) fondée sur l’observation empirique a rencontré des difficultés de théorisation même si certains auteurs proposent des modélisations à cheval entre l’économie urbaine et l’économie du travail basées sur les principes de la discrimination dans la localisation résidentielle et le chômage involontaire issu du salaire d’efficience3 (Brueckner et Zenou, 2003).

La ségrégation spatiale joue sur le chômage des habitants des quartiers ségrégués à travers les autres effets propres aux quartiers indépendamment de l’effet de composition et d’accessibilité physique. Le regroupement résidentiel des chômeurs dans un quartier donne une mauvaise image aux employeurs et renforce la discrimination lors de la recherche d’emploi par un candidat habitant ce même quartier. Il s’agit là d’un effet de stigmatisation qui va dans le sens de ce que Zenou et Boccard (2000) qualifient de redlining, pratique discriminatoire visant à l’origine à écarter les noirs américains du marché du logement.

Notes
3.

Le concept du salaire d’efficience est développé par les économistes néo-keynésiens pour expliquer le chômage de masse dans les sociétés capitalistes. Selon eux, la diminution de la demande sur le marché de travail et l’augmentation du taux de chômage est le résultat de l’augmentation du coût de travail liée à l’augmentation des salaires des employés pratiquée par les entreprises pour maintenir leur niveau de productivité. Cette explication théorique a bien évidemment ses limites, surtout que l’augmentation de salaires ne touche qu’une fine partie des actifs.