1.1.2.2. École, capital humain et ségrégation: effet de pairs et de contagion

L’ensemble des études portant sur l’école et l’éducation font référence à la notion de « capital humain » (Becker, 1964). Chaque individu est capable d’augmenter son capital humain en répartissant son temps disponible entre activités de production et activités de formation. Il arbitre entre le coût présent de la formation et la valeur future des salaires supplémentaires que lui rapportera sa formation. Si cette valeur est supérieure au coût, l’individu décide d’augmenter son investissement en capital humain en consacrant des unités de temps supplémentaires à l’éducation. Cette théorie jugée « ultra-libérale » a rencontré pendant longtemps une grande hostilité notamment parce qu’elle était soupçonnée de vouloir justifier les importantes inégalités de salaire et de condition de vie par une inégalité irrémédiable et irremplaçable de capital humain, rejetant toute forme d’intervention publique corrective ambitieuse (Piketty, 1997). Même si l’on réduit le rôle de l’école à la seule facilité de sélection des individus les plus performants par les employeurs potentiels lors du recrutement, le niveau d’éducation reste indispensable pour obtenir un salaire élevé et augmenter le capital économique. « Un fait statistique robuste et universel relie les salaires individuels au nombre d’années de formation initiale suivie par les salariés : selon les pays et les périodes, une année supplémentaire augmente de 5 à 10% les salaires en moyenne » (Gurgant, 2004, p.9).

Cependant, les écoles n’offrent pas toutes le même niveau de formation ou du moins la réussite scolaire des élèves est largement inégale d’une école à une autre. C’est ce qu’a tenté d’expliquer le rapport Coleman (1966) suite aux exigences de l’Acte des Droits Civiques des noirs américains en 1964. L’objectif de ce sociologue, théoricien du capital social, et de son équipe était d’examiner l’effet de la discrimination raciale et de l’inégalité des chances (d’opportunités) dans le système des écoles publiques américaines très marquées par la ségrégation. Le premier résultat très controversé de ce rapport consiste à dire que la différence de financement entre les écoles n’explique pas la différence des résultats entre les élèves blancs et noirs qui reste déterminée par le milieu familial. Ce résultat était largement interprété dans le sens : « les écoles ne sont pas importantes ». John Kain a vivement critiqué certains points méthodologiques de ce rapport et notamment les biais liés à la procédure de l’analyse de variance utilisée qui a avantagé les caractéristiques de la famille au détriment de l’importance des dotations financières des écoles et la non prise en compte de l’expérience des enseignants (Glaeser et al. 2004). Sensible à ce type de difficultés, il a contribué à la fin de sa carrière à la construction de la plus grande base de données (Kain’s Texas Schools Project) contenant quatre millions d’élèves des écoles publiques de l’état de Texas. Cette base permet de suivre l’ensemble des élèves dans le temps, au collège, au travail ou en prison (Glaeser et al. 2004, p.9) et d’identifier les vrais déterminants de réussite ou d’échec scolaire. Au-delà de ces difficultés méthodologiques, le rapport Coleman a soulevé une question importante, celle de l’influence de la composition des populations à l’école sur leurs résultats. Plus le pourcentage des élèves blancs (favorisés) est élevé, plus leurs résultats scolaires et ceux des autres groupes (noirs) sont bons. Les exigences des élèves blancs stimulent les autres écoliers et tirent le niveau vers le haut. La ségrégation scolaire favorise la réussite dans les écoles fréquentées majoritairement par les enfants riches et l’échec scolaire dans les écoles à dominante pauvre à travers un effet de stimulation ou un effet de contagion. Le faible effet des dépenses d’éducation sur la réussite scolaire n’est pas lié au déterminisme du milieu familial d’origine mais à l’existence de l’effet de composition sociale des élèves de l’école et du quartier : « Il est plausible que les chances de succès scolaire dépendent plus de la ‘qualité’ de ses camarades de classe que de celle de son enseignant, notamment au niveau primaire et secondaire » (Piketty, 1997, p.78). Les effets de pairs sont des externalités locales pour les élèves d’un même établissement ou d’une même classe à travers lesquelles les attributs et les comportements des uns influent sur les performances des autres (Benabou, 1993). La concentration des élèves des quartiers pauvres favorise des comportements négatifs, par effet de contagion (Wilson, 1987 ; Crane, 1991) et influe sur leurs résultats scolaires.