La théorie faisant le lien entre la ségrégation spatiale et le taux de criminalité ou de trafic est basée sur le principe d’effet de pairs. Il est plus probable qu’un individu commette un crime si le taux de criminels dans son entourage est élevé. C’est ce qu’affirment Glaeser et al. (1996) lorsqu’ils montrent que la corrélation positive entre les décisions de criminalité des individus est la seule explication des variations de crimes entre différentes zones. En effet, plus le nombre de criminels dans un quartier est élevé, plus la probabilité de devenir criminel est élevée. Les économistes emploient ainsi le terme de multiplicateur social. Si celui-ci est très élevé, alors les effets amplificateurs du crime sont très importants et donc il faut éviter la concentration des criminels au même endroit. Selon Freeman et al. (1996), la probabilité d’être mis en examen devient relativement faible (externalité positive) avec l’augmentation du nombre de criminels dans un endroit, mais le rendement du crime devient aussi faible (externalité négative). La décision de commettre un crime dans un endroit dépend donc de l’arbitrage du commanditaire entre les gains et la probabilité de se faire arrêter dans cet endroit. Ce modèle est valable aussi bien pour le crime que pour l’ensemble des activités de l’économie souterraine. La ségrégation spatiale, en constituant un frein au marché de l’emploi pour les noirs américains, encourage la criminalité et les activités souterraines qui deviennent plus rentables par rapport à ce que leur propose le marché de l’emploi (Verdier et Zenou, 2004).
La criminalité comme le développement de l’économie souterraine représente une des conséquences de la ségrégation spatiale les plus redoutées à cause de son caractère ostentatoire et spectaculaire. Cela contribue à la stigmatisation4 des quartiers concernés à travers cette image négative et renforce la situation socio-économique de leurs habitants et la ségrégation spatiale (le rôle de l’image du quartier dans le choix de localisation et la ségrégation est bien souligné dans la deuxième partie de ce chapitre à travers les préférences des ménages). Enfin, ce résultat négatif vient bien en aval par rapport aux autres effets cités précédemment et notamment l’échec scolaire et le chômage de masse.
Finalement, la croissance de la littérature théorique sur les effets de quartier, bien qu’issue de paradigmes différents, nous montre que la proximité physique est importante et que le quartier ségrégué influe sur les caractéristiques socio-économiques de ses habitants. Ce que tend à confirmer la littérature empirique.
Ces effets négatifs de la ségrégation devront être analysés en dehors de toute victimisation afin de trouver des solutions mais ne doivent pas rester la seule propriété du discours politique et médiatique. Aux États-Unis, le rapport Moynihan (1965) qui soulignait le taux important des naissances hors mariage chez les noirs américains habitant le centre a été vivement critiqué et accusé de « blâmer les victimes », ce qui a découragé la communauté scientifique à aborder ces questions pendant plusieurs années et surtout à expliquer ce phénomène. Le travail de Wilson (1987) a creusé une brèche dans ce domaine en démontrant le lien entre les multiples pathologies du ghetto et la ségrégation spatiale (Jargowsky, 2002).