1.1.3.3 …affecte le capital social…

Les travaux empiriques sur les interactions sociales confirment ce qui est une évidence pour les économistes urbains, à savoir que les individus échangent de l’information par la proximité physique et notamment en résidant dans le même quartier (Ioannides et Loury, 2004). A travers une analyse fine sur des actifs de 25 à 59 ans de l’aire métropolitaine de Boston répartis par paires, Bayer et al. (2008) montrent que ces interactions de proximité sont encore plus fortes en fonction du niveau d’éducation, de l’âge et du nombre d’enfants dans le ménage. De plus, si deux individus habitent le même quartier (Census block), il est presque deux fois plus probable qu’ils travaillent dans le même quartier qu’au sein d’un territoire plus large englobant dix quartiers contigus. Après contrôle des effets potentiels (de sélection notamment), ils montrent un effet propre du réseau social sur l’accès à l’emploi à travers l’échange d’information par la proximité résidentielle. Cette étude est celle qui offre les résultats les plus robustes dans ce domaine : « The study that makes the strongest and most compelling case to date for the effects of geographical proximity on job market outcomes » (Ioannides et Loury, 2004, p.1080). La ségrégation spatiale, en structurant l’environnement social des uns et des autres renforce l’inégalité de capital social privé.

A un niveau global, Briggs (2005) teste l’effet de la ségrégation résidentielle sur l’existence de lien social entre différents groupes « raciaux » aux États-Unis. Il constate que des niveaux élevés de ségrégation résidentielle sont étroitement associés à de faibles liens d’amitiés « inter-raciales ». Il met ainsi en évidence un effet direct ou indirect de la ségrégation qui empêche l’établissement d’un lien avec un individu appartenant à un groupe racial différent, au moins à travers un effet de sélection lors du choix résidentiel. Alesina et La Ferrara (2000) montrent que la croissance de l’inégalité entre les résidents diminue le capital social en réduisant la participation et les relations entre les différents groupes. La ségrégation spatiale dégrade le capital social public.

En France, le rapport de l’Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles (2004) a tenté d’analyser la vie sociale de leur population à travers un certain nombre d’indicateurs utilisés dans l’enquête « Identité-Histoire de vie » et les enquêtes « Vie de Quartier » de l’INSEE (2003 et 2001). Les résultats convergent vers une moindre participation des populations des ZUS dans la vie politique et électorale par rapport au reste de la population. Ces populations sont moins nombreuses à pratiquer une activité de loisir et sont plus attachées aux loisirs casaniers tels que la télévision, même si cela peut être associé au niveau de revenu. Connaissant l’importance de la langue du pays d’accueil dans le processus d’intégration, la part des personnes ayant des difficultés et de la gêne à parler français n’est pas négligeable : « 15 % des habitants des ZUS entre 18 et 65 ans n’ayant pas le français comme langue d’origine disent ressentir de la gêne à le parler (soit environ 4 % des populations des ZUS entre 18 ans et 65 ans) » (ONZUS, 2004, p.120). Le regroupement des populations parlant la même langue du pays d’origine retarde la maîtrise de la langue du pays d’accueil et l’intégration. À travers une étude empirique sur les données de recensements américains de 1900 à 1990, Lazear (1999) montre que les immigrants ont plus de probabilité de parler couramment l’anglais quand ils habitent dans des communautés avec de faibles proportions d’individus du même pays d’origine.

Par ailleurs, la création d’un ministère de la « cohésion sociale » et la nécessité de l’intervention de l’État pour recréer le lien social renforce selon Paquot (2004) l’idée qu’il y a fragmentation de la société française et qu’elle est associée à la détérioration du lien social. Cela montre effectivement que le problème est bien perçu.