1.1.3.4. …et encourage le développement d’une économie souterraine

Les corrélations observées dans les villes américaines entre la polarisation des noirs américains dans les ghettos et le taux de criminalité ont conduit les études empiriques à analyser l’impact de la ségrégation spatiale sur le comportement de violence et de criminalité. Bon nombre de travaux confirment cette évidence, à l’image de Case et Katz (1991) qui trouvent un large effet de pairs sur le comportement de criminalité des jeunes habitants des quartiers pauvres et l’utilisation des drogues, après avoir contrôlé la potentielle endogénéité de la localisation. Par ailleurs, Kelly (2000) montre l'impact positif de l’inégalité de revenu sur les crimes avec violences (violent crime), tandis que la pauvreté a un effet significatif sur les atteintes aux biens sans usage de violence sur les victimes (property crimes).

En France, et d’après l’Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles, le taux de délinquance semble un peu plus élevé dans les zones les plus défavorisées.« Le total des faits constatés dans les ZUS situées en zone de police s’élève en 2004 à 68 faits pour 1 000 habitants en moyenne. Ce taux de délinquance constatée est de 65,6 dans l’ensemble des circonscriptions de sécurité publique d’appartenance de ces ZUS et de 47,3 pour la France métropolitaine » (ONZUS, 2005). En réalité, ces chiffres montrent des écarts relativement faibles entre les ZUS et leurs circonscriptions de sécurité publique d’appartenance. La comparaison avec la moyenne nationale reste délicate puisque la délinquance est un phénomène urbain fortement lié à la taille des villes (Glaeser et Sacerdote, 1999). Etablir un lien clair entre la ségrégation et la criminalité reste un défi en France vu le faible nombre d’analyses se penchant sur la criminalité et ses mécanismes (Fougère et al. 2006) et les controverses qu’elles peuvent susciter.

Dans leur étude sur le crime en France, Fougère et al. (2006) montrent que la croissance du chômage augmente la criminalité et la délinquance chez les jeunes puisque la formation et le travail des jeunes sortis du système scolaire ou à faible expérience ne paient pas assez. Ils précisent qu’il ne s’agit pas du même effet selon le type de crime : “youth unemployment has a positive and robust causal effect on most property crimes – robberies, burglaries, car thefts,… – and on drug offences when other types of violent crimes, such as rapes or homicides, appear to be unrelated to labor market conditions (Fougère et al. 2006, p.18). Les auteurs proposent alors de concentrer les efforts sur les populations pour lesquelles la précarité est susceptible d’entraîner facilement la délinquance.

D’autres explications d’ordre sociologique renforcent le lien entre les effets précédents de la ségrégation spatiale (échec scolaire, chômage) et la probabilité d’appartenir à des réseaux souterrains et de trafiquants. Le chômage et la précarité des personnes ayant des diplômes supérieurs dévalorisent les études aux yeux des enfants et contribuent au décrochage et à l’échec scolaire. Les trafiquants deviennent alors le seul modèle de réussite pour ces jeunes (Tafferant, 2005). « L’intégration républicaine et l’ascension sociale , objectifs et modalités de l’efficacité et de l’équité des sociétés n’existent plus ou peu ; elles seraient devenues davantage régressives au point que "ce n’est pas seulement l’ascenseur social qui est en panne, mais le modèle de socialisation. Du coup, les modèles qui fonctionnent sont les figures négatives, celle du caïd, du business, parce que leur posture a plus de cohérence que celle des animateurs sociaux au chômage" » (Lacour, 2008, p.22).