2.1.1.1. Convergence/divergence des économies ?

Tout d’abord, l’hypothèse de la convergencepeut être analysée entre les pays. Elle repose sur l’idée selon laquelle les économies des pays pauvres doivent rattraper celles des pays riches à cause des rendements d’échelle décroissants. Les pays à faible revenu ont un potentiel de développement élevé alors que les pays à revenu élevé ont déjà atteint un niveau (par rapport au sentier d’équilibre de Solow) qui rend difficile d’augmenter encore la richesse. Bien qu’ilexiste une certaine convergence entre les pays à revenu élevé à travers le rattrapage, dans la deuxième moitié du 20e siècle, des États-Unis par les pays de l’Europe de l’Ouest, la tendance à long terme entre les pays riches et les pays pauvres est plutôt à la divergence et cela depuis 1820 (Madisson, 1997). La convergence entre pays de niveaux de richesse très éloignés au départ n’a rien d’automatique. En Europe, les chiffres du PNB par habitant du siècle dernier (1800-1913) que nous fournit Paul Bairoch (1997), montrent à la fois une croissance économique générale mais surtout une croissance inégalitaire entre pays notamment par rapport à la distance au Royaume-Uni : « les écarts internationaux se creusent progressivement et atteignant un rapport de 1 à 4 entre les nations les plus riches et les plus pauvres … au fur et à mesure que l’on s’éloigne du Royaume-Uni, le développement est moindre » (Combes et al. 2006, p.13-14).

Si la littérature sur la convergence/divergence macroéconomique est concordante sur la croissance des inégalités entre revenus moyens des pays, la pondération par la population de chaque pays montre une baisse des inégalités (Bourguignon et al. 2004). Cette pondération, tout à fait justifiée, signifie que les individus de chaque pays ont le même revenu. Ce qui pose des problèmes de mesure liés à la taille et à l’hétérogénéité des pays comme la Chine et l’Inde. La croissance spectaculaire de l’économie chinoise depuis le début des années 1980, à l’origine du rattrapage, est accompagnée par une croissance des inégalités entre populations et territoires du même pays.

L’hypothèse de la convergence peut concerner l’analyse des inégalités entre populations et territoires à l’intérieur du même pays. C'est surtout à partir des années 1970 que cet intérêt pour la convergence se renforce autour de la courbe empirique (U inversé) de Kuznets (1955) qui montre que la distribution des revenus devient plus inégalitaire avec la croissance du revenu des populations (divergence) avant de stagner puis baisser avec le revenu (convergence). Kuznets explique cela par le mouvement de la main d’œuvre de l’agriculture et des zones rurales vers les secteurs industriels des zones urbaines qui conduit, dans un premier temps, à une augmentation des revenus et à une croissance des inégalités puis à un resserrement des écarts au fur et à mesure qu’une grande partie de la population devient urbaine. Cette hypothèse est très critiquée car elle reste associée à un certain optimisme des Trente glorieuses marquées par les importants gains de productivité. Avec les mutations des économies, les changements des systèmes productifs et la mondialisation, les inégalités ne peuvent se réduire d’une manière endogène avec le seul développement économique. Ce qui nécessite la mise en place au niveau national de politiques redistributives notamment à travers l’impôt (Piketty, 1997).

A l’échelle spatiale, l’hypothèse de la convergence s’appuie sur la courbe en cloche de Williamson (1965). En analysant les disparités inter-régionales entre plusieurs pays en fonction de leur niveau de développement économique et des évolutions au sein du même pays, Williamson met en évidence une phase de croissance, une phase de stagnation puis une phase de décroissance à partir des années 1950. Il se trouve qu’à partir des années 1980, la reprise des inégalités a mis fin à la période de décroissance de cette courbe. Reste à savoir si cette quatrième phase représente une partie d’une courbe sinusoïdale comme le suggère Piketty (2006) à l’échelle individuelle. La croissance économique et le développement de l’emploi et des richesses se fait d'une manière inégalitaire et polarisée en privilégiant certains territoires de l’espace urbain en fonction des économies externes liées à la concentration d’activités (agglomération, accès au marché et aux services…). Cette situation nécessite des interventions successives des politiques publiques pour garantir des équilibres stables provisoires. Les politiques d’aménagement du territoire vont dans ce sens en compensant les espaces à l’écart du développement par des politiques d’équipement susceptibles d’accompagner la croissance. Enfin, la réponse à la question de la convergence des inégalités en l’absence d’une intervention est loin d’être achevée (Santi, 1995) notamment à l’échelle intra-métropolitaine où les travaux sont rares par rapport à l’échelle régionale ou nationale (Mignot et Aguiléra, 2004).

Il semble nécessaire d’associer l’échelle spatiale à l’échelle individuelle pour mieux comprendre les articulations entre les deux types d’inégalité, encore faut-il disposer de données qui soient adaptées (Cf. chapitre 2). L’analyse de la croissance des inégalités spatiales en fonction du revenu moyen communal (avant redistribution et avec pondération) à plusieurs échelles en France confirme la permanence de la divergence depuis les années 1980 (Cf. chapitre 3). Derrière cette divergence et polarisation, il y a des effets auto-entretenus de revenu et de demande, des effets d’entrainement et de compétitivité liés à la croissance des activités métropolitaines supérieures (Catin, 1997, p.587). La métropolisation exerce un effet polarisateur en permettant aux régions les plus riches des gains de productivité les plus élevés (Catin, 1997 ; Mignot, 2000). Avec la métropolisation et la concurrence entre les villes internationales, les inégalités mondiales sont perceptibles à l’échelle du même pays voire de la même métropole. La ségrégation spatiale, comme phénomène urbain multi-échelle, est naturellement abordée sous l’angle de la métropolisation à travers ses composantes économique et spatiale.