2.2.2. La répartition des groupes de revenu dans l’espace résidentiel

Le modèle monocentrique offre une bonne explication économique à la formation de la ville polarisée sans toutefois préciser sa forme spatiale20, mais contrairement à d’autres phénomènes tels que l’étalement urbain (expliqué principalement par l’augmentation du revenu et la baisse du coût de transport) il ne peut pas expliquer à lui seul l’origine de la ségrégation spatiale. Certains travaux, dans la lignée des thèses sociologiques, supposent par exemple que le marché foncier est plutôt une conséquence de la ségrégation selon qu’il s’agit d’une valorisation ou d’une dévalorisation de l’usage du sol (Grannelle, 2004). L’environnement social et la qualité du voisinage sont des facteurs de valorisation/dévalorisation. Le test de cette hypothèse à partir de l’équipement de transport à Lyon montre un impact positif sur les prix immobiliers (Beckerich, 2001 ; Deymier, 2006). Le marché foncier est donc à la fois cause et conséquence de la ségrégation résidentielle. L’avantage des thèses sociologiques est de montrer que la ségrégation spatiale dépasse largement les phénomènes de marché qui prévoient mal le long terme, et que l’urbanisation des terrains neufs ou le renouvellement des terrains urbanisés sont souvent attribués aux macro-agents. En revanche, les thèses économiques illustrent bien le fonctionnement habituel du marché, une fois une certaine structure de l’usage du sol établie. Il y a donc d’une certaine manière une séquence dialectique usage- prix- usage (Grannelle, 2004, p.94). En modifiant l’usage du sol de l’habitat et de l’emploi, les formes de croissance urbaine de l’étalement urbain et du polycentrisme influencent la ségrégation spatiale (Cf. chapitre 4 et 5, respectivement). La forme urbaine joue sur la ségrégation spatiale à travers l’usage du sol (Galster et Cutsinger, 2007).

Finalement, la ségrégation spatiale n’est pas uniquement le résultat de l’ensemble des choix individuels guidés par la contrainte du marché mais aussi la conséquence de comportements individuels et collectifs extérieurs au modèle : « an  urban model does not determine where a household lives; instead, it determines what the price of housing would have to be for the people who live at each location to be content to stay there. Something outside the model, such as idiosyncratic preferences for housing or location, must control which households end up at each location» (Yinger, 2005, p.11). Des modèles plus récents remplacent la plaine homogène et isotope par un espace hétérogène avec des externalités positives et négatives liées à l’interaction des individus entre eux ou avec l’espace pour expliquer les phénomènes d’étalement urbain (Anas et al. 1998 ; Brueckner, 2000) et/ou de la ségrégation spatiale (Brueckner et al. 1999 ; Brueckner et Rosenthal, 2009 ; Glaeser et al. 2008).

Notes
20.

« Il arrive souvent qu’un problème de localisation ait bien une solution dans l’espace économique sans avoir de correspondance dans l’espace physique et concret de la ville… » (Derycke, 1992, p.170).