Les politiques urbaines se sont attaquées pendant plusieurs années aux conséquences négatives de la ségrégation socio-spatiale à travers les quartiers les plus défavorisés. Certaines actions ont tenté d’associer les individus aux opérations de rénovation pour créer un lien avec leurs quartiers. D’autres mesures ont ciblé les personnes relativement modestes en leur offrant des aides directes au logement39 ou en leur donnant une chance de se localiser dans un environnement social plus favorable. Derrière la croissance de la ségrégation spatiale, que nous confirmons dans le prochain chapitre, émerge un consensus autour d’un échec des politiques de lutte contre la ségrégation. Face à l’absence d’une évaluation rigoureuse de ces politiques, comme c’est le cas des politiques des ZEP (Benabou et al. 2004), il est plus facile de remettre en cause la pertinence de l’espace ou de l’opposer à la personne et vice versa (People versus Place).
La comparaison des démarches de lutte contre la ségrégation en France et aux Etats-Unis, au-delà de la différence racial/social, donne deux processus opposés (Donzelot et al. 2003). Si aux États-Unis les politiques ont commencé par l’espace (place) avant de s’orienter vers les individus (people), en France, la démarche est inverse. Il s’agit d’abord de d’aider les gens dans les lieux où ils vivent à travers les opérations de développement social des quartiers, avant d’aider les lieux où vivent les gens par des politiques volontaristes. Ces deux expériences relativisent la stricte opposition espace/personne en insistant plutôt sur l’ordre chronologique. Ce faux débat n’est pas propre à la France car il divise également aux États-unis : « Another unfortunate debate is that between proponents of so-called pro-place policies and those who advocate pro-people policies. Once again, there is a need for both. And it is also the case that the distinction between policies that focus on improving neighbourhoods and those emphasising individual development is not as great as is often suggested” (Squires et Kubrin, 2005, p.60).
Derrière cette dichotomie se pose la question de savoir si la ségrégation spatiale est exclusivement la traduction spatiale des inégalités individuelles ou si l’espace est lui même au moins en partie responsable de cette ségrégation à travers les effets de quartier. La réponse apportée dans le premier chapitre, confirmant à la fois les effets des facteurs socio-économiques et les effets propres au quartier, tend à montrer qu’il s’agit bien d’une fausse dichotomie.
L’importance de l’espace est confirmée par le succès des politiques du Moving to Opportunity (MTO), visant à relocaliser les ménages des minorités pauvres des quartiers centraux à faible revenu vers les quartiers périphériques à revenu moyen, sur les résultats des élèves et la qualité de vie de leurs familles (Squires et Kubrin, 2005). La recherche de mixité sociale par la mobilité spatiale des populations défavorisées vers des quartiers moyens ou aisés repose sur l’hypothèse d’un rôle positif du quartier. Pour cela, la politique de la ville volontariste doit aider ces personnes à franchir les différentes contraintes, économiques mais aussi de refus (de type NIMBY). Nous retrouvons ici la stratégie socio-spatiale de type people place-based strategy (Donzelot et al. 2003). Pour éviter les effets négatifs du quartier ségrégué, l’amélioration de l’attractivité du quartier ségrégué vis-à-vis des ménages moyens et aisés peut aboutir sur une mixité sociale. Cette stratégie basée sur l’espace est celle qui domine la politique de la ville en France. La diversification du quartier, dans le premier cas, peut être vue comme le résultat d’un processus de ghettoïsation alors que, dans le deuxième cas, elle est considérée comme la suite d’un processus de gentrification (Cf. chapitre 1).
Avant de concevoir des politiques de lutte contre la ségrégation spatiale, il est crucial de rappeler que ces tendances « naturelles » sont guidées par le marché foncier et immobilier et par les préférences individuelles quelles que soient leur type (Cf. chapitre 1). Faut-il ramener les riches chez les pauvres ou les pauvres chez les riches pour créer de la mixité sociale ? Pour la première option, nous savons que le marché est favorable car les ménages riches peuvent s’installer n’importe où dans la ville. Mais par leurs préférences (recherche des externalités positives et surtout évitement des externalités négatives), ces ménages ne voudront pas habiter des quartiers polarisés par les pauvres. La solution dans ce cas-là est tournée vers l’espace car elle consiste à valoriser les territoires pauvres pour attirer les populations aisées. En revanche, pour la deuxième option, les préférences des populations pauvres sont favorables et il suffit de regarder les migrations résidentielles pour constater que les ménages s’installent en moyenne dans une commune plus riche que leur précédente commune de résidence, cherchant ainsi un environnement social plus favorable. Mais le marché foncier et immobilier leur est défavorable. La solution dans ce cas-là est tournée vers ces individus en les aidant à se localiser chez les riches, comme c’est le cas des politiques du MTO aux États-Unis ou de la loi SRU en France. Alors, faut-il réellement opposer ces deux types de mesures ?
Les aides au logement comportent des aides à la pierre devant favoriser la construction de logements et des aides personnelles versées aux ménages pour les aider à supporter la dépense de logement. Selon le dernier rapport de la cour des comptes (2007), les aides personnelles au logement bénéficient aujourd’hui à plus de 6 millions de ménages pour un coût global de 13,8 Md€ réparti entre l’État et la sécurité sociale. Les auteurs du rapport estiment que ces aides ne sont pas efficaces car elles ne ciblent pas les personnes qui ont le plus besoin des aides pour se loger. Pour cela, l’État devrait progressivement réduire le nombre des bénéficiaires et rechercher le moyen de remédier à l’inégalité entre allocataires du parc social et allocataires du parc privé.