Les études de la ségrégation spatiale peuvent être regroupées en deux catégories : celles basées sur la localisation et celles qui reposent sur les pratiques. Les deux approches prennent en compte le principe d’interaction sociale à partir de la proximité physique. Le lieu de résidence, le lieu de travail et l’école sont a priori les seuls lieux où les individus peuvent avoir une référence spatiale stable, et représentent les seules formes mesurables de la ségrégation spatiale (Rhein, 1994). Par ailleurs, comme le soulignent les sociologues, chaque lieu est caractérisé par un type particulier de sociabilité selon son intensité (Bidart, 1988). Ces formes de ségrégation sont étudiées séparément, mais avec une concentration des travaux sur la ségrégation résidentielle.
Il existe plusieurs raisons justifiant la prédominance des études de la ségrégation faisant référence au lieu de résidence via le quartier comme unité spatiale. La disponibilité et la représentativité des données issues principalement du recensement de la population jouent sûrement en faveur des analyses des localisations résidentielles, mais ce n’est bien évidemment pas le seul avantage. Le quartier structure une bonne partie de l’espace de vie. Il détermine le choix des écoles à travers le système de « la carte scolaire », mais aussi les interactions basées sur les services de proximité (commerces, espaces de jeu des enfants…). L’image des individus est souvent associée à l’image de leur quartier « dis moi où tu habites je te dirai qui tu es ». Pour les classes aisées l’adresse est un signe de distinction sociale41 (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2004), tandis que pour les habitants des quartiers difficiles, et nous l’avons souligné précédemment, elle représente une source de stigmatisation pour l’emploi et un handicap à la mobilité sociale. Le lieu de résidence reste, contrairement à ce qu’on peut imaginer, l’un des principaux vecteurs de socialisation42. Le principe de base de la ségrégation résidentielle est la concentration des interactions sociales entre les habitants du même « quartier » à travers la proximité physique.
Les études de la ségrégation portant sur les pratiques analysent les interactions et l’absence d’interaction à travers les espaces vécus. Elles ont l’avantage de prendre en compte non seulement le lieu d’habitat de l’individu mais l’ensemble des lieux d’activité qui structurent sa vie quotidienne et notamment l’école et le lieu d’emploi. Cependant, ce type d’analyse met en évidence des phénomènes d’entre-soi et l’espace reste secondaire. L’étude de la ségrégation analysant les écarts entre les quartiers (lieux d’interactions générés par la proximité résidentielle) peut être complétée en élargissant l’échelle du quartier vers celle de l’espace de vie. La définition des espaces de vie où la majorité des ménages y réside, travaille et scolarise ses enfants permet d’aborder la ségrégation spatiale en tant qu’inégalité entre des espaces relativement distincts (absence relative d’interactions) de la même ville. L’analyse des pratiques à travers la mobilité quotidienne des ménages permet de distinguer ces espaces relativement autonomes, dans le même sens que les bassins de vie de l’INSEE (Julien et Pougnard, 2004). Comme le signale Lipietz (1999): « je crois que pour l’espace géographique, c’est l’activité elle-même et les rapports sociaux humains qui créent la spatialité correspondante, ce qui n’empêche pas, quand on l’a bien compris, de l’objectiver sous forme de données quantitatives ».
Le choix de l’échelle locale pour l’analyse des répartitions socio-spatiales est basé sur des espaces structurés par les acteurs sociaux, du quartier de résidence à l’espace de vie. Un fort niveau de ségrégation serait associé à un niveau élevé d’inégalité entre des espaces autonomes fréquentés par des populations similaires. Cela dit, il n’existe pas une seule échelle pertinente de la ségrégation spatiale et chacune est associée à un objectif particulier. Pour mieux comprendre ce phénomène, il est souvent préférable de prendre en compte les différentes échelles dans la mesure du possible car l’analyse de la ségrégation spatiale reste largement attachée aux échelles de la disponibilité des données : « There is non unique definition of a neighborhood and economic segregation in neighborhoods can be viewed at many scales. What we know about income distribution within US urban neighborhoods has been limited by the data available» (Hardman et Ioannides, 2004, p.371).
« A Paris, les numéros d’arrondissements, les noms des rues, les noms des stations de métro, constituent des repères identitaires…A Paris, on lie volontiers le niveau social de son interlocuteur à l’arrondissement dans lequel il réside » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2004, p.105).
« Avec la dislocation du marché de travail, l’emploi et les relations d’emploi ont perdu de leur portée intégratrice tandis que le quartier redevenait pour beaucoup, par défaut, l’un des principaux vecteurs de socialisation. Le lieu de résidence représente sans doute un enjeu plus grand encore pour les enfants et les adolescents que pour les adultes. Il conditionne les interactions auxquelles ils ont accès à un moment décisif de leur développement et détermine en partie leur avenir » (Maurin, 2004, p.31).