2.1.2.2. Échelle spatiale de mesure : quartier IRIS, commune, espace de vie

A travers la littérature empirique, nous pouvons distinguer deux manières de définir l’échelle de mesure de la ségrégation spatiale. L’échelle de mesure peut être définie a posteriori en intégrant les paramètres de contiguïté entre les unités spatiales au sein des indices spatiaux de ségrégation45 ou a priori en agrégeant des unités spatiales semblables pour constituer des entités relativement indépendantes. L’autre distinction déjà abordée est celle concernant la définition de l’échelle selon la proximité spatiale (contiguïté) ou selon les pratiques.

L’avantage de la première mesure paramétrique est de prendre en compte la contigüité entre les différentes unités spatiales et d’éviter ce que White (1983) qualifie de problème de l’échiquier « Chekerboard problem » (Dawkins, 2004 ; Kim et Jargowsky, 2005) ou ce que les géographes appellent le MAUP : « The Modifiable Areal Unit Problem » (Openshaw, 1984). Cette question est traitée sous l’angle de la dimension regroupement ou agrégation spatiale dans la mesure de la ségrégation résidentielle. Supposons que chaque case (blanche ou grise) est habitée par un nombre de population homogène selon un critère particulier (Figure 7). Au sein de la même ville, le niveau de ségrégation spatiale peut radicalement changer selon les délimitations de l’échelle de mesure retenue ou sa finesse. Une ville qui apparaît très intégrée à une échelle particulière (1) peut s’avérer complètement ségréguée à une échelle construite par agrégation d’unités semblables contiguës (2). De la même manière, une ville complètement mixte à une échelle large (3) peut être complètement ségréguée à une échelle très fine (4). Pour cela, l’analyse cartographique reste très complémentaire aux analyses par des indices dans la mesure de la ségrégation spatiale. Cette méthode (a posteriori) est moins sensible aux changements des unités spatiales de référence puisque derrière l’agrégation des unités semblables adjacentes, elle vise à déterminer l’échelle spatiale la plus explicative de l’inégalité et à mesurer potentiellement le niveau le plus élevé de la ségrégation spatiale à partir des indicateurs. Ce qui est aussi l’objectif de la deuxième méthode (a priori), sauf qu’elle exige une connaissance préalable des zones agrégées selon la contiguïté et/ou plusieurs critères (ruptures naturelles, type d’habitat, fréquentation…). Les données spatiales les plus fines permettent alors une meilleure compréhension de la ségrégation car elles peuvent être agrégées afin de construire des unités relativement indépendantes et homogènes en fonction de l’objectif de l’étude. Il reste que ces données les plus fines ne sont disponibles qu’à l’échelle de la commune ou de « l’IRIS », construit à partir d’îlots contigus. Notre objectif est, en grande partie, de chercher une complémentarité entre l’échelle communale et l’échelle du quartier pour analyser la ségrégation spatiale et son évolution en France (Cf. chapitre 3). La confrontation des échelles existantes avec l’échelle la plus fine nous semble tout à fait adaptée.

Figure 7 : Effet des échelles de mesure sur le niveau de ségrégation
Figure 7 : Effet des échelles de mesure sur le niveau de ségrégation

L’INSEE a construit l’unité spatiale la plus fine (IRIS-2000 : Îlots Regroupés pour l'Information Statistique) en agrégeant des îlots contigus formant des « petits quartiers » relativement distincts et homogènes. L’analyse de la ségrégation spatiale à cette échelle est très pertinente et tout à fait justifiée, même si certains travaux les agrègent au sein des indicateurs spatiaux (Gaschet et Le Gallo, 2005). Nous appelons « quartiers » tous les IRIS-2000 issus des découpages de toutes les communes de plus de 10 000 habitants et la plupart des communes de 5 000 à 10 000 (15 400 IRIS en France métropolitaine, dont 14 200 IRIS d’habitat, 860 IRIS d’activité et 330 IRIS divers tels que les bois et les parcs) ainsi que toutes les petites communes métropolitaines non découpées (34 700 communes de moins de 5 000 habitants). Ce découpage est proche du principe du tract aux Etats-Unis, utilisé dans les études sur le voisinage ou le quartier, qui est relativement homogène et contient 4 000 habitants, en moyenne. Nous retenons pour l’analyse de la ségrégation spatiale en 2001 tous les IRIS d’au moins 100 habitants (50 ménages), quelque soit leur type. Ce qui correspond, tout simplement, au seuil de diffusion du revenu médian dans la base de données des revenus déclarés (INSEE-DGI, 2005).

L’échelle administrative de la commune permet d’analyser l’évolution de la ségrégation spatiale entre 1984 et 2004, mais aussi de comprendre les enjeux liés à l’hétérogénéité de cette unité spatiale (Cf. chapitre 3). Cette entité spatiale a l’avantage d’être très stable dans le temps et constitue un espace qui organise plusieurs activités administratives, citoyennes, culturelles et sportives (Préteceille et al. 2005).

Par ailleurs, toutes les informations y compris celles concernant la mobilité domicile-travail ou domicile-étude sont disponibles à ce niveau. A partir de là, d’autres échelles peuvent être construites en prenant en compte non pas la contigüité mais les pratiques de mobilité. Le but est de mesurer la ségrégation forcément spatiale mais basée sur l’agrégation d’unités par les pratiques. Deux unités peuvent être regroupées non pas parce qu’elles sont contiguës mais parce que la majorité des individus résidant ces deux unités habitent, travaillent ou étudient dans cette entité spatiale et ont plus de chances de se croiser. La ségrégation est en effet basée, comme nous l’avons vu, sur le principe d’interaction et n’est pas générée uniquement par la contiguïté des unités spatiales. Deux unités non contiguës peuvent être regroupées si elles constituent un seul espace de vie grâce à des simples effets tunnel.

Le bassin de vie de l’INSEE est le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à la fois aux équipements et à l’emploi (Julien et Pougnard, 2004). Dans la dernière version de l’INSEE (Carte 1), le zonage du territoire de la France métropolitaine donne 1 916 bassins de vie, dont 1 745 bassins de vie des petites villes et des bourgs et 171 bassins de vie des grandes agglomérations. L’autonomie des bassins de vie des petites villes et des bourgs est testée vis-à-vis de l’emploi et des équipements concurrentiels (hypermarché et supermarché, vétérinaire, banque, magasin de vêtements, magasin de chaussures, librairie, magasin d’électroménager, magasin de meubles, droguerie, grande surface non alimentaire, marché de détail), non concurrentiels (gendarmerie, perception, notaire, ANPE, maison de retraite, bureau de poste, crèche ou halte-garderie, installation sportive couverte, piscine couverte, école de musique, cinéma), de santé (médecin, infirmier, pharmacie, masseur-kinésithérapeute, dentiste, ambulance, maternité, urgences, hôpital de court séjour, hôpital de moyen et long séjour) et d’éducation (collège, lycée général et/ou technologique, lycée professionnel) 46.

Carte 1 : Les bassins de vie
Carte 1 : Les bassins de vie

Source : Julien et Pougnard (2004)

Même si les bassins de vie dans les grandes agglomérations sont de taille importante, à l’image de Paris et Lyon, ils représentent des entités accessibles et autonomes dont les quartiers sont interdépendants. La forte accessibilité offerte permet à une grande partie des populations d’habiter, de travailler et d’effectuer ses services. Pour cela, nous prenons en compte l’ensemble des bassins de vie pour mesurer la ségrégation spatiale dans les aires urbaines (Cf. chapitre 3).

Notes
45.

«  Ces indices sont spatialisés car ils prennent en compte explicitement la distribution géographique des unités dans leurs formulations et car les interactions spatiales entre les groupes de population localisés dans des unités adjacentes sont déterminantes dans le calcul du niveau de ségrégation » (Gaschet et Le gallo, 2005, p.6).

46.

Pour mesurer le degré d’autonomie de chacun des 1 745 bassins de vie des bourgs et petites villes vis-à-vis de l’emploi et des équipements, un score compris entre 0 et 20 a été construit. Il est constitué d’une composante relative aux équipements et d’une autre relative à l’emploi. Le score partiel d’équipements (sur 12) tient compte du niveau absolu d’équipements présents dans le bassin et d’un niveau attendu en fonction de la population résidente. Il accorde une même importance aux quatre types d’équipements : de santé, d’éducation, non concurrentiels et concurrentiels. Le score partiel d’emploi (sur 8) résulte à la fois du nombre d’emplois dans le bassin et du taux d’emploi, défini comme le rapport des emplois offerts dans le bassin au nombre de personnes y résidant et ayant un emploi (plus ce taux est élevé, plus le bassin de vie est attractif pour l’emploi). Un quart des bassins de vie (430) ont un score total inférieur à 8 : ils sont qualifiés de « dépendants » et sont représentés par un point sur la carte : leurs habitants doivent quitter plus fréquemment leur bassin de vie pour accéder aux services ou à l’emploi. Le fait de rapporter la diversité des bassins de vie à un indicateur unique est forcément réducteur. Cette approche, statistique, nécessite évidemment d’être complétée par une analyse locale. Elle seule permet de juger de l’équipement réel d’un bassin et de l’accessibilité à ces équipements pour toutes ses communes (Julien et Pougnard, 2004).