2.2.3.1. Analyse des seuils de concentrations

L’origine de l’analyse des seuils de concentration des populations (threshold analysis) vient des études américaines sur le ghetto noir et les limites d’utilisation d’un seul seuil. Une fois définies la population pauvre et la population riche, la question de la définition des ghettos de pauvres et des enclaves de riches reste posée. À partir de quel seuil de concentration des populations modestes pouvons nous considérer un territoire comme étant « pauvre » ? Les travaux américains, dans la lignée de Jargowsky (1997), identifient les « ghettos » à partir d’un seuil de 40 % de populations pauvres. La pertinence de ce seuil et ses effets sur les résultats qui en découlent suscitent un débat aux États-unis (Galster, 2005 ; Jargowsky, 2005). Ne s’agissant pas dans notre cadre de la pauvreté dans son strict sens, l’usage d’un seul seuil pour analyser la concentration des populations à faible revenu ou des populations aisées serait encore plus réducteur. L’utilisation d’un seul seuil dans l’étude de la ségrégation a longtemps été critiquée par les sociologues à cause des « inconvénients théoriques et pratiques qui découlent de ce raisonnement » (Grafmeyer, 1996, p.209). L’analyse à partir de plusieurs seuils permettrait au contraire une lecture continue de la concentration des populations concernées et de contourner les effets de seuil (Poulsen et al. 2002 ; Johnston et al. 2002). Cela revient à identifier le niveau de concentration de l’ensemble de la population pauvre ou riche de l’aire urbaine pour chaque seuil fixé à l’échelle du quartier ou de la commune. Cette méthode est encore plus adaptée dans le cadre des études comparatives.

La méthode de l’analyse des seuils utilisée par Johnston et al. (2002) a permis de comparer la ségrégation raciale et le profil de concentration de quatre groupes ethniques (blancs, noirs américains, hispaniques et asiatiques) entre deux villes postmodernes (Los Angeles et Miami) et deux villes modernes (Chicago et New York) et de suivre leur évolution pour chaque ville (Figure 12). Il s’agit de déterminer pour chaque seuil de concentration d’un groupe ethnique par quartier, sa part dans l’ensemble de la population de la ville. Un groupe est complètement ségrégué s’il occupe entièrement quelques quartiers de la ville, soit 100 % de cette population se retrouve dans des quartiers où ils sont entre eux.

Figure 12 : Analyse des seuils de concentration des quatre groupes ethniques en 2000
Figure 12 : Analyse des seuils de concentration des quatre groupes ethniques en 2000

Source : Johnston et al. 2002, p.51

Dans cette étude américaine, la ségrégation est plus importante à Chicago et New York, par rapport aux deux autres villes postmodernes, notamment pour les blancs et les noirs. A Chicago, 75 % des noirs américains et 90 % des blancs habitent des quartiers où ils sont majoritaires, c’est-à-dire au moins 50 % par quartier. Ce qui montre également que les blancs sont largement plus concentrés que les noirs (Figure 12).

Dans le cadre de la comparaison des aires urbaines de Lyon, Lille et Marseille, cette méthode est parfaitement adaptée pour identifier les profils de concentration des différents groupes de revenus ou des catégories sociales. Cette lecture synthétique à partir de plusieurs seuils reste a-spatiale, d’où l’intérêt de préciser les territoires concernés par les polarisations et les mixités des populations et de les suivre dans le temps, dans la mesure du possible.