Chapitre 3 : La ségrégation spatiale et ses échelles

Comme la majorité des thématiques concernant la ville, la ségrégation se manifeste à plusieurs échelles spatiales. Pour comprendre les phénomènes urbains, les recherches réalisées en France ces dernières décennies, sociologiques principalement, sont passées par trois étapes, chacune étant attachée à une échelle particulière d’analyse. Le questionnement sur les disparités spatiales a tout d’abord concerné l’échelle des régions et notamment les relations entre l’espace urbain et l’espace rural. C’est le constat d’un déséquilibre Paris-Province qui conduit en France à la mise en place des politiques d’aménagement du territoire dans les années 1950 (Buisson et al. 2005). Le premier objectif à travers cette vision technique et globalisante était de maîtriser la croissance urbaine et particulièrement les dynamiques de concentration et d’étalement urbain de la métropole parisienne. Le phénomène urbain est ensuite abordé sous l’angle critique en visant à identifier ses déterminants économiques et politiques. M. Castells (1972) illustre à travers « la question urbaine » les articulations entre le système urbain et les structures sociales sur le plan économique, avant de rectifier ensuite leur décalage avec les pratiques sociales (Pflieger, 2005). La dernière phase constitue justement un retour à l’intra-urbain et au local à travers les pratiques sociales et les réseaux de sociabilité. « Cette dernière étape correspond certainement à la projection de la crise économique sur la société urbaine, mais elle traduit une nouvelle perception du phénomène urbain ; envisagé d’abord comme donnée que devait prendre en compte les aménageurs puis comme produit à analyser dans ses déterminations économiques… » (Ganne, 1980, cité in Bonnafous et Puel, 1983, p.152). La succession de ces différentes ères montre que l’analyse de la ségrégation spatiale, comme pour tout phénomène urbain, ne se réduit pas à une seule échelle particulière.

La ségrégation est un phénomène lié aux interactions sociales basées sur l’espace et la proximité physique. Il est cependant difficile de définir une seule échelle pertinente de la ségrégation, qu’elle soit locale ou globale (Preteceille, 2004). Selon l’objectif de la recherche par rapport au type d’interaction ainsi que la disponibilité des données, chaque étude privilégie une échelle particulière avec des résultats qui renvoient à la nécessité d’intégrer d’autres niveaux d’analyse. Certaines études à des échelles globales reconnaissent la nécessité de compléter leurs résultats à des niveaux d’analyse plus fins et notamment à l’échelle du quartier, alors que d’autres travaux, à des échelles intra-urbaines fines, soulignent l’importance de prendre en compte l’ensemble de l’espace urbain et d’intégrer les migrants alternants dans l’étude de la ségrégation spatiale. Ce dernier besoin a été souligné par de nombreuses recherches de sociologues notamment sur l’agglomération parisienne (Préteceille, 2004 ; Pinçon-Pinçon-Charlot, 2004). Le manque de cohérence et la difficile complémentarité entre les différentes études sont dus en partie à la multitude des outils méthodologiques. Certains auteurs réduisent la ségrégation à l’ordre d’artefact de l’échelle spatiale ou de l’outil de mesure choisie. Comme chaque objet spatial, la ségrégation doit être appréhendée à plusieurs échelles territoriales (Ferras, 1995) pour pouvoir l’identifier et comprendre ses articulations entre le global et le local.

En utilisant les mêmes outils méthodologiques, l’objectif de ce chapitre est de montrer que la ségrégation en France existe à plusieurs échelles spatiales. Tout d’abord, il s’agit de montrer à travers l’analyse des revenus imposables des foyers fiscaux à l’échelle communale que les inégalités spatiales et les écarts entre les espaces les plus pauvres et les espaces les plus riches se sont accentués au cours des vingt dernières années, à l’échelle nationale, régionale et intra-urbaine. Il s’agit, ensuite, de cibler l’analyse des revenus déclarés des ménages fiscaux à l’échelle intra-urbaine, à travers des données détaillées à l’échelle du quartier IRIS, pour atteindre deux objectifs : identifier le degré de ségrégation spatiale à l’échelle du quartier, de la commune et celle du bassin de vie, et mettre en cohérence ces trois échelles d’analyse pour comprendre la ségrégation intra-urbaine.