1.1. Au niveau national : une croissante polarisation rythmée par la croissance économique

Les inégalités de revenu en France ont baissé au cours du dernier siècle. Pendant la période d’industrialisation, le développement de la formation et de l’éducation a permis de resserrer les écarts de qualifications et de salaires, dans les pays développés. Cependant, avec la désindustrialisation et les mutations profondes du système productif, les nouveaux secteurs moteurs de l’économie ont ciblé les personnes très qualifiées et rejeter les autres vers les secteurs les moins productifs et le chômage, relançant ainsi les inégalités (Piketty, 1997). Alors que les chiffres officiels tendent à souligner une stabilité des inégalités de revenus des ménages en France durant ces vingt dernières années, les résultats des travaux utilisant les sources fiscales convergent vers un accroissement significatif des écarts entre les hauts revenus et la moyenne nationale (Champagne et Maurice, 2001 ; Hourriez et Roux, 2001 ; Legendre, 2004 ; Landais, 2007). L’analyse spatiale, quant à elle, renforce ce dernier constat, en montrant des territoires de plus en plus inégalitaires. Cela n’est guère surprenant sachant que les inégalités entre les ménages se traduisent souvent dans l’espace renforçant ainsi la ségrégation spatiale (Mayer, 2000). La courbe de Kuznets se retourne-elle durant ces vingt dernières années ? Est-elle sinusoïdale ? Bien que l’analyse soit basée sur le revenu moyen par commune pondéré par le nombre d’individus et non pas le revenu par individu, elle est en mesure d’apporter des éléments de réponse et de montrer que la croissance économique est polarisante.

L’analyse graphique de l’évolution du revenu moyen net imposable des foyers fiscaux montre une relative croissance sur les différents territoires suivant logiquement les tendances de la croissance économique (Figure 13). Le niveau de richesse est plus important dans les aires urbaines et ce d’autant plus que leur taille augmente. Néanmoins, la croissance des revenus est aussi importante dans les espaces non-urbains, notamment dans les communes multipolarisées.

Figure 13 : Évolution du revenu moyen net imposable des foyers fiscaux au sein des différents territoires, de 1984 à 2004 (Euro constant 1998*)
Figure 13 : Évolution du revenu moyen net imposable des foyers fiscaux au sein des différents territoires, de 1984 à 2004 (Euro constant 1998*)

* à partir des indices des prix à la consommation de l’INSEE (en annexe 3)
Source : élaboration propre, données de la DGI

La croissance des inégalités intercommunales a augmenté entre 1984 et 2004 sauf pour l’espace rural (Figure 14). A l’intérieur de cette période, l’accroissement de la dispersion des revenus, même s’il semble suivre les tendances de la croissance des revenus moyens, reste nettement plus sensible aux périodes favorable (Figure 13 et 14). Seule l’année 2001 est marquée à la fois par une croissance du revenu moyen et une baisse des inégalités intercommunales. Alors que l’accroissement des disparités est encore plus important entre les communes urbaines (+40 %), la dispersion des revenus des communes rurales a notablement baissé (-9 %), notamment entre 1990 et 2004 (-24 %). Cette tendance semble cohérente avec l’hypothèse de fuite/évitement des classes moyennes des territoires les plus défavorisés pour s’installer plus loin dans les espaces ruraux(Guilluy et Noye, 2004).

Figure 14 : Évolution de la dispersion du revenu moyen net imposable des foyers fiscaux par commune au sein des différents territoires, de 1984 à 2004
Figure 14 : Évolution de la dispersion du revenu moyen net imposable des foyers fiscaux par commune au sein des différents territoires, de 1984 à 2004

Source : élaboration propre, données de la DGI

La thèse d’une croissance économique polarisante à l’échelle nationale est renforcée à travers l’analyse de l’évolution des inégalités intercommunales de revenus en fonction des variations de la croissance économique mesurée en volume du PIB en France (Figure 15). A l’exception de l’année 1990, les disparités suivent les mêmes tendances que la croissance économique, mais elles sont plus sensibles aux périodes de croissance que celles de décroissance. Cette tendance à la croissance des inégalités intercommunales durant ces vingt dernières années va dans le même sens de l’analyse de la répartition des activités économiques à l’échelle inter-régionale (Santi, 1995). La croissance de ces inégalités entre 1984 et 2004 marque ainsi un retournement de la courbe de Kuznets. Seules les périodes de récession économique sont marquées par une baisse de l’inégalité intercommunale. Les périodes de croissance favorables contribuent largement à creuser les écarts de revenu entre les foyers fiscaux selon leur commune de résidence. Ce déséquilibre justifie les mesures redistributives et de solidarité en faveur des populations et territoires les plus lésés.

Figure 15 : Évolution des disparités intercommunales de revenu en fonction des variations de la croissance économique française en volume de PIB*
Figure 15 : Évolution des disparités intercommunales de revenu en fonction des variations de la croissance économique française en volume de PIB*

Source : élaboration propre, données : DGI. *champ France métropolitaine et Dom, Insee- comptes nationaux Base 2000

Ce lien entre croissance économique et inégalité spatiale est à vérifier à l’échelle des aires urbaines à partir d’un autre indice que le PIB, difficile à calculer à cette échelle. L’ensemble des bases des taxes fiscales à travers le potentiel fiscal étant difficile à suivre sur une longue période, le simple revenu moyen peut se substituer à un indice de richesse territoriale. Cela permettra de tester si la croissance des inégalités spatiales mesurées à partir des revenus moyens de leurs ménages est réellement liée aux tendances de la croissance économique des villes, même si une période de vingt ans reste relativement courte. Le lien établi à l’échelle nationale montrant des inégalités qui baissent pendant les périodes de récession économique ne serait-il pas lié seulement à quelques aires urbaines affluentes et notamment à la métropole parisienne ? Avant d’apporter des éléments de réponse à cette question, nous nous penchons d’abord sur les évolutions des inégalités au niveau régional. Il s’agit d’abord d’analyser l’évolution de l’inégalité inter-régionale, permettant de tester le retournement de la courbe de Williamson, à partir du revenu moyen par commune. Les inégalités sont, ensuite, traitées à l’intérieur de chaque région pour spécifier leurs origines par rapport aux espaces les plus riches et les plus pauvres.