1.3.2. Croissance des écarts entre espaces riches et espaces pauvres et croissance économique

Nous analysons tout d’abord la croissance des inégalités spatiales en fonction du revenu de l’aire urbaine avant de montrer qu’elle est souvent le résultat des territoires les plus aisés.

1.3.2.1. Croissance des inégalités spatiales par rapport au revenu de l’aire urbaine

Les revenus moyens (en euros 1998) des 100 plus grandes aires urbaines en 2004 varient de 19 991 €/foyer fiscal, pour Paris la plus riche de l’échantillon, à 11 490 €/foyer fiscal, à Douai-Lens et 11 313 €/foyer fiscal à Maubeuge pour les plus pauvres, soit un écart important de près de 74 %.

L’analyse de l’évolution entre 1984 et 2004 des revenus moyens montre une croissance sur la plupart des 100 aires urbaines. Quatre aires urbaines seulement ont eu une évolution globale négative sur cette période. La baisse la plus importante est celle enregistrée à Creil (-7 %), juste avant Maubeuge (-4 %), Elbeuf (-3 %) et Evreux (-1 %). Ce sont en revanche les aires urbaines proches de la Suisse qui ont eu les hausses les plus importantes de revenu moyen, notamment Genève-Annemasse (+56 %), Bâle-Saint Louis qui fait partie de l’Euro District (+29 %) et Annecy (+19,5 %). Nous retrouvons également des aires urbaines de Bretagne (Rennes, Vannes et Quimper), du Pays de la Loire (Nantes et Saint-Nazaire) et d’Alsace (Colmar et Strasbourg). Un tiers des aires urbaines, notamment les plus riches, ont eu une croissance du revenu moyen supérieure à 10 % et un tiers ont une croissance relativement faible, située entre 0 et 5 %. Il convient de tester le lien entre l’évolution des revenus moyens et celle des inégalités intercommunales au sein de ces aires urbaines pour savoir si la croissance économique réduit la ségrégation spatiale ou la renforce à cette échelle d’analyse.

L’analyse de l’évolution des revenus moyens et des inégalités intercommunales calculées à partir de l’indice de Gini confirme le lien établi à l’échelle nationale sur nombreuses aires urbaines (18 %) comme Paris, Lyon, Nice et Dijon (Annexe 5 : Paris). En effet, l’indice d’inégalité spatiale suit les mêmes tendances du revenu moyen dans ces aires urbaines. Moins sensibles à la période de récession économique nationale (1990-1996), les inégalités intercommunales dans certaines aires urbaines, en Alsace notamment, continuent d’augmenter avec le revenu moyen de 1984 à 2004 (Annexe 5 : Strasbourg). Pendant la même période (1990-1996) et dans la plupart des aires urbaines, l’indice de Gini a continué à augmenter alors que le revenu moyen a baissé. Cela est le cas de 71 % des aires urbaines étudiées qui ont été notamment marquées par une paupérisation des communes les plus pauvres, comme c’est le cas à Marseille et Lille (Annexe 5 : Marseille). Même dans les quatre aires urbaines qui voient leur revenu moyen baisser entre 1984 et 2004 (Creil, Maubeuge, Elbeuf et Évreux), les inégalités spatiales ont augmenté (Annexe 5 : Creil).

S’il est avéré que la croissance des revenus des territoires/populations les plus riches renforce les disparités et la ségrégation spatiale, nous suspectons à l’inverse, un effet négatif de la ségrégation sur la croissance des richesses de l’ensemble de certaines aires urbaines. Dans l’aire urbaine de Creil, les revenus moyens des communes pauvres continuent à baisser (Creil, Montataire) alors que les revenus des communes relativement aisées (Verneuil-en-Halatte) peinent à décoller. Par ailleurs, le nombre de foyers fiscaux est en légère progression dans l’ensemble des communes de cette aire urbaine. La ségrégation spatiale est donc maintenue par le bas et semble affecter non seulement les espaces les plus ségréguées mais l’ensemble de l’aire urbaine. Nous rejoignons en partie la conclusion de Fitoussi et al. (2004) pour lesquels la ségrégation spatiale peut provoquer à long terme, un déficit de croissance économique à travers les mécanismes de chômage de masse et de décrochage des quartiers en difficulté. La ségrégation spatiale est donc capable de nuire à l’efficacité économique d’une ville et cela renforce les enjeux de lutte contre ce phénomène à long terme soulignés dans le premier chapitre. L’enjeu de la difficulté économique qui marque ce type de villes concernées par la métropolarisation dûe à sa proximité de la métropole parisienne (Julien, 1994) est souvent réduit au seul souci d’équité spatiale (Baudelle et Peyrony, 2005).

A l’échelle des aires urbaines, la croissance économique semble favoriser l’accroissement des inégalités spatiales. Si la récession économique conduit ensuite à la baisse de ces inégalités dans une partie des aires urbaines les plus riches (rééquilibrage par le haut), elle les renforce dans la plupart des aires urbaines, notamment par le bas. Dans certaines, la récession économique constitue avec la ségrégation spatiale un mécanisme auto-entretenu.