1.3.2.2. Des inégalités spatiales alimentées par les territoires/populations les plus riches

Une analyse plus fine sur l’ensemble des aires urbaines ayant un minimum de 15 communes de plus de 2000 habitants50 montre que c’est l’ensemble des communes les moins riches qui voient par ailleurs la progression la plus faible de leur revenu fiscal moyen, alors que les communes aux revenus les plus élevées sont également caractérisées par les progressions les plus fortes :

  • Dans 60 % des aires urbaines étudiées le revenu moyen des communes pauvres a baissé. Comme l’indiquent le Tableau 2 et l’annexe 6 (exhaustif), les plus fortes baisses sont enregistrées à Paris et à Marseille, mais aussi à Lyon, Lille, Bordeaux et Valenciennes (-11,2 %). Pour les aires urbaines dont le revenu des communes pauvres a progressé, cette hausse reste faible (entre 0 et 7 %), sauf dans le cas des aires urbaines de Nantes, Rennes, Angers et Toulouse. Les communes les plus pauvres en 2004 sont beaucoup moins pauvres par rapport à 1984 dans les aires urbaines de Nantes (+19%) et Rennes (+13%) qui ont pu gagner des revenus entre 1984 et 1990 et les renforcer entre 2000 et 2004. Ces deux résultats sont cohérents avec ceux de Guilluy et Noye (2004, p.23) qui constatent une baisse généralisée des classes populaires dans l’ensemble des quartiers des deux aires urbaines de Rennes et Nantes : « Ces quartiers se sont en effet embourgeoisés depuis une vingtaine d’années grâce à l’arrivée de jeunes cadres. Dans les périphéries proches, c’es-à-dire les communes périurbaines en contact avec l’agglomération, la part des classes populaires est stable ou en légère régression ». Ces tendances restent une exception et les territoires marqués par la mobilité sociale sont souvent centraux ou se situent sur des axes de transport faisant le lien avec des métropoles dynamiques ou appartenant à des aires urbaines frontalières. Par exemple, si les communes pauvres de l’aire urbaine de Thionville ont vu leur revenu progresser pendant la dernière période, cela n’a pas permis de réduire les inégalités spatiales avec les communes les plus riches, notamment des faubourgs Nord attirés par le Luxembourg.
  • Le revenu moyen des communes riches a augmenté dans toutes les aires urbaines. Cette augmentation est supérieure à 10 % dans toutes les aires urbaines, à l’exception de Limoges, et atteint + 65 % à Paris et + 50 % à Lyon. L’aire urbaine parisienne concentre et entretient à la fois l’extrême richesse et la grande pauvreté à l’image des grandes métropoles mondiales (Sassen, 1996). Cependant, les communes les plus pauvres ont été plus sensibles à la première période de conjoncture que les communes les plus riches, à l’exception de Paris (Tableau 6). L’étude de François et al. (2003) montre le déclassement de certaines communes riches parisiennes mais aussi l’appauvrissement des communes les plus modestes, entre 1990 et 1999. Il existe de fortes corrélations positives entre le niveau de revenu moyen des communes les plus riches de l’aire urbaine et son niveau d’inégalité intercommunale calculée par l’indice de Gini. Le coefficient de détermination est de 0,57 en 1984, 0,66 en 1990, 0,63 en 1996, 0,67 en 2000 et 0,64 en 2004. Cependant, il ne dépasse pas les 0,2 pour montrer les corrélations négatives avec les revenus des communes les plus pauvres. Les évolutions des inégalités spatiales des aires urbaines sont plus corrélées avec la croissance des revenus des communes riches pendant les différentes périodes de croissance économique par rapport aux communes les plus pauvres. Le coefficient de détermination varie de 0,31 à 0,37 entre les différentes périodes, même s’il n’atteint que 0,1 entre 1984 et 2004. L’inégalité spatiale, même si elle est plus visible sur les espaces les plus pauvres, est globalement plus le produit des espaces les plus riches. La croissance des revenus est plus susceptible de produire de la ségrégation spatiale dans les aires urbaines quand elle touche les populations et les territoires déjà les plus riches.
  • Enfin, l’écart entre le revenu moyen des communes riches et le revenu moyen des communes pauvres au sein d’une même aire urbaine est de plus en plus élevé. En 1984, seules quatre aires urbaines avaient des écarts supérieurs à 2 (Paris, Lyon, Lille et Grenoble). En 2004, elles ont doublé et les écarts se sont accrus (Tableau 6), comme à Paris (6) et à Lyon (3,7). Le suivi des écarts de revenu entre les mêmes communes les plus pauvres et les mêmes communes les plus riches définies en 1984 (Annexe 6) ou en 2004 (Tableau 6, Annexe 7) dans chaque aire urbaine montre une tendance nette à la croissance, notamment dans les plus grandes aires urbaines.
Tableau 6 : Revenu moyen des communes riches et pauvres de quelques aires urbaines entre 1984 et 2004*
Aires urbaines Revenu moyen en 2004 Évolution du revenu moyen des 5 communes les plus pauvres entre Évolution du revenu moyen des 5 communes les plus riches entre Revenu moyen des 5 communes les plus riches / Revenu moyen des 5 communes les plus pauvres en :
84-90 90-96 96-00 00-04 84-04 84-90 90-96 96-00 00-04 84-04 1984 2004
Paris 22065 -5,8 -11,6 -2,6 -6,4 -24,0 +47,7 -13,9 +29,9 -0,3 +64,8 2,84 5,98
Lyon 18568 -5,4 -7,0 +0,0 -0,9 -12,8 +27,6 -1,7 +20,6 -0,7 +50,1 2,29 3,71
Marseille 16235 -9,2 -12,6 -3,3 +2,8 -21,0 +9,4 -3,2 +4,4 15,8 +28,0 1,94 3,00
Lille 16521 -5,6 -8,4 +2,3 +0,4 -11,2 +16,1 -2,2 +10,3 -1,5 +23,4 2,02 2,78
Rouen 16367 -5,9 -6,4 +3,1 +1,6 -7,8 +10,5 -0,4 +9,4 -0,8 +19,4 1,85 2,76
Grenoble 18547 -0,8 -7,0 +3,1 +2,3 -2,8 +14,7 -3,3 +17,4 +0,2 +30,5 2,01 2,42
Bordeaux 16950 -8,8 -8,2 +1,3 +4,7 -11,2 +6,2 -3,4 +9,1 +6,4 +19,0 1,75 2,25
Metz 16505 -1,2 -4,8 +2,3 +5,3 +1,4 +9,8 +7,0 +4,6 +2,0 +25,4 1,85 2,21
Montpellier 16765 -2,2 -10,1 +0,0 +3,2 -9,3 +2,0 -2,8 +15,3 +3,7 +18,4 1,92 2,05

* Aires Urbaines dont l’écart est supérieur à 2 en 2004 (pour les résultats des 100 aires urbaines : voir annexe 8)
Source : élaboration propre, données de la DGI

Ainsi, la croissance des revenus dans les communes riches est très forte, et, même si certaines communes pauvres ne s’appauvrissent pas, les écarts se creusent car les revenus moyens dans ces communes progressent peu. Finalement, au sein du même espace de la quotidienneté, les territoires les plus aisés s’enrichissent par le biais des mobilités sociales ou résidentielles profitant des périodes de croissances économiques alors que les territoires pauvres restent à l’écart. Dans les communes pauvres se sont les ménages pauvres qui s’installent alors que dans les communes riches ce sont des ménages plus riches qui remplacent les ménages sortants (Maurin, 2004). Nous reviendrons sur le processus d’homogénéisation des communes dans certaines aires urbaines à travers les migrations résidentielles des catégories sociales dans le chapitre 5. La relative attractivité des communes pauvres dans certaines aires urbaines frontalières ou à l’ouest de la France n’empêche pas de constater l’existence d’une inégalité spatiale à l’échelle communale que l’on interprète en terme de ségrégation. Cette inégalité intercommunale ne cesse d’augmenter durant ces vingt dernières années non seulement dans les plus grandes métropoles mais dans l’ensemble des villes. Pour les aires urbaines comme pour les régions, la croissance économique semble polarisante en matière de revenus car elle est plus favorable aux espaces les plus riches et très peu favorable voire défavorable aux espaces les plus pauvres51. Avec la croissance du chômage et de la précarité, au sein même des lieux privilégiés du développement, les politiques urbaines basées sur une convergence et une croissance générale des revenus par une croissance économique de la ville ne semblent plus pertinentes. Il y a donc un enjeu particulier à étudier ces fragmentations intra-urbaines et à en esquisser les ressorts.

En revanche, les inégalités et leur évolution sont mesurées à partir des revenus imposables des foyers fiscaux de la Direction Générale des Impôts après les différents abattements. Cela peut conduire à sous-estimer les revenus dans certaines communes qui concentrent les ménages qui en bénéficient. Depuis 2001, les données des revenus déclarés avant abattement sont désormais disponibles à l’échelle communale ainsi qu’à l’IRIS. La comparaison des niveaux d’inégalités intercommunales à partir des deux sources permettra de tester la sensibilité des résultats obtenus jusque là sur les 100 aires urbaines à partir de cette année de référence.

Notes
50.

En retenant pour cela les cinq communes les plus pauvres et les cinq communes les plus riches de chaque aire urbaine à condition d’avoir 5 communes intermédiaires, nous obtenons en fin de compte un total de 48 aires urbaines. Des seuils de 10 et de 20 communes ont été testés sur des grandes AU et donnent les mêmes tendances.

51.

Un examen de l’évolution de la dispersion des revenus en 2001 entre les communes des 51 groupements à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants et ayant chacun un minimum de 10 communes (8 Communautés Urbaines, 39 Communautés d’Agglomération, 3 Communautés de Communes et 1 Syndicats d’Agglomération Nouvelle) montre une croissance des disparités de revenus. La tendance à la croissance de l’inégalité spatiale intercommunale est générale et difficile à attribuer aux seuls effets des zonages de l’action publique.