2.1.1.3. La ségrégation spatiale des ménages

En comparant l’aire urbaine de Nice et de Strasbourg qui ont le même niveau d’inégalité entre les quartiers (0,145 et 0,146), nous constatons que Strasbourg est plus ségréguée que Nice puisque une part plus importante de son inégalité réside entre les quartiers (0,425 contre 0,378). Les aires urbaines de Bordeaux et Rouen ont relativement le même niveau d’inégalité entre les ménages (0,341 et 0,343, respectivement), mais Rouen est plus marquée par les inégalités entre quartiers (0,162 contre 0,128 pour Bordeaux) et logiquement plus ségréguée (0,477 contre 0,375 à Bordeaux). Cela signifie que les ménages ayant les revenus les plus élevés à Rouen sont plus concentrés et les quartiers sont plus homogènes par rapport à ceux de l’aire urbaine bordelaise.

Carte 4 : Niveau de ségrégation sur les 100 plus grandes aires urbaines françaises
Carte 4 : Niveau de ségrégation sur les 100 plus grandes aires urbaines françaises

Source : élaboration propre, données: INSEE-DGI (2005)

En observant le niveau de ségrégation sur les 100 plus grandes aires urbaines (Carte 4), il serait difficile d’avancer des explications d’ordre géographique, sauf à signaler la concentration d’aires urbaines relativement ségréguées autour de Paris. Cette aire urbaine est la plus ségréguée de France, avecun indice de ségrégation de 0,53. Si parmi les aires urbaines les plus ségrégées beaucoup sont de taille importante comme Lille, Marseille, Grenoble, Rouen ou Le Havre, d’autres villes de taille moyenne comme Creil, aux marges de Paris le sont aussi. Les facteurs liés à l’histoire de la ville et au processus de son urbanisation doivent être pris en compte dans l’explication de la ségrégation des villes en France (Cf. chapitre 4).

2.1.2. Des villes françaises moins ségréguées que les villes américaines ?

Les comparaisons internationales utilisant l’indice de Gini sont concordantes pour montrer que les inégalités de revenu sont beaucoup plus importantes entre les ménages américains par rapport aux ménages français (Piketty, 1997 ; Fitoussi et Van Haeperen, 1998). Si ce type de comparaison est inexistant en ce qui concerne la ségrégation spatiale au sein des villes de différents pays, c’est à cause de la difficulté que posent les échelles spatiales qui s’ajoutent à la nature différente des données de revenus. Il semble intuitivement acquis que les villes américaines soient plus ségréguées que les villes françaises, en considérant d’une part que les villes américaines sont plus inégalitaires que les villes françaises et en faisant le lien entre niveau d’inégalité et niveau de ségrégation, d’autre part (Mayer, 2000).

Tableau 7 : Eléments de comparaison de la ségrégation de revenu entre villes françaises et villes américaines
  Type de données Source de données Indice de mesure Échelle locale (quartier) Échelle globale (espace urbain)
France Revenus déclarés des ménages fiscaux en 2001 avant redistributions, y compris les minima sociaux Déclarations exhaustives des impôts (INSEE-DGI, 2004) Gini de ségrégation (Kim et Jargowsky, 2005) IRIS (2000 à 5000 habitants) Aire urbaine (AU)
États-Unis Revenus déclarés des ménages en 1999 avant redistributions, sauf quelques aides sociales Questionnaire sondage (1/5) du recensement 2000 (annexe 9) Gini de ségrégation (Kim et Jargowsky, 2005) Tract (2000 à 5000 habitants) Metropolitan Statistical Area (MSA) 

Loin de prétendre à la stricte comparaison entre deux contextes urbains largement différents qui rejoint ainsi la différence dans la nature des données et des découpages urbains, l’objectif est de resituer le niveau de ségrégation des villes françaises dans le contexte international. Les récentes études sur la ségrégation par le revenu sont plus nombreuses et plus diffusées dans le cadre des villes américaines. Nous mesurons la ségrégation de revenu dans les villes françaises de sorte qu’elle soit relativement comparable avec celle obtenue par Kim et Jargowsky (2005) sur les 25 plus grandes aires métropolitaines américaines. Nous présentons les différents éléments de mesure de la ségrégation dans les deux contextes (nature de données, indice de mesure, échelles), en soulignant les différences dans le Tableau 7.

Même si les données utilisées pour la mesure de la ségrégation spatiale sont de nature différente entre les deux pays, les échelles spatiales sont comparables et l’indice de mesure est le même. Au-delà de la différence entre le principe du ménage de recensement et celui du ménage fiscal (INSEE-DGI, 2005), ainsi que la probabilité de sous-estimation plus forte dans les questionnaires de type recensement, l’examen des questions relatives au revenu du ménage dans le recensement 2000 de la population américaine (annexe 9) montre une grande ressemblance avec les composantes des revenus fiscaux français. Les deux types de revenus sont présentés avant les déductions/redistributions à l’exception des montants, a priori faibles, des aides sociales intégrées dans le revenu des ménages américains.

La ségrégation dans les villes américaines est calculée à l’échelle du ménage sans prise en compte de sa composition (Kim et Jargowsky, 2005). Nous sommes alors amenés à mesurer la ségrégation dans les villes françaises à partir du revenu entier de ménage, même si cette échelle n’est pas la plus appropriée pour représenter les inégalités.

Les inégalités entre les ménages sont plus importantes si l’on prend en compte le revenu entier du ménage contrairement à celles calculées sur les revenus moyens des ménages par UC. Cela est lié en partie au renforcement du poids des revenus des familles aisées bi-actifs par rapport aux revenus des ménages modestes à une seule personne.

À l’échelle des quartiers, les résultats des inégalités spatiales suivent cette même logique sauf dans certaines aires urbaines (19 %), notamment à Paris. Dans cette aire urbaine, les inégalités de revenu moyen des ménages par quartier sont moins importantes (0,175) que les inégalités entre les revenus moyens des quartiers par UC (0,208). Ce qui s’explique par l’effet de composition des ménages et notamment des quartiers les plus riches. Alors que la prise en compte de la taille du ménage lisse les écarts entre les revenus moyens des différents quartiers, les écarts avec les quartiers centraux les plus riches restent importants. Plus de 70 % des ménages ne dépassent pas 2 personnes dans ces quartiers et notamment dans le 7ème et le 16ème arrondissements dû principalement à la présence de jeunes cadres.

Pour des raisons de différences de taille entre les aires urbaines françaises et les aires métropolitaines américaines53, la comparaison sera limitée entre Paris, d’une part, et New York, Los Angeles, Chicago, Washington et Detroit, d’autre part (Tableau 8).

Les villes américaines sont plus riches et plus inégalitaires. L’inégalité de revenu entre les ménages parisiens est beaucoup moins élevée (0,417) par rapport aux villes américaines, à l’exception de Washington (0,428) où le niveau est relativement comparable. Les inégalités entre les quartiers sont également moins élevées par rapport à New York et Los Angeles mais elles sont comparables à celles à Chicago et plus élevées par rapport à Washington et Detroit. L’aire urbaine parisienne est largement moins ségréguée et moins marquée par les inégalités spatiales que l’aire métropolitaine de New York. En revanche, elle est plus ségréguée et spatialement plus inégalitaire que Washington ou Detroit (Tableau 8).

Tableau 8 : Inégalité entre ménages, inégalité spatiale et ségrégation spatiale à Paris et des villes américaines
Aire urbaine/
Metropolitan Statistical Area
Nombre de ménages Revenu moyen 54 Inégalité entre les ménages inégalité entre les quartiers Ségrégation spatiale
Paris 4589843 36381 0,417 0,175 0,420
New York-Northeastern NJ 3482324 62237 0,535 0,249 0,465
Los Angeles-Long Beach, CA 3135972 60975 0,496 0,185 0,374
Chicago-Gary-Lake, IL 2937970 68059 0,456 0,173 0,381
Washington, DC/MD/VA 1777008 80813 0,428 0,155 0,362
Detroit, MI 1692431 63625 0,444 0,167 0,376

Source : élaboration propre ; Kim et Jargowsky (2005) pour les villes américaines

Enfin, cette tentative de comparaison a permis de resituer le niveau de ségrégation des villes françaises par rapport aux villes américaines via l’aire urbaine parisienne à partir des revenus des ménages.

Notes
53.

« Metropolitan Statistical Area.—A Core Based Statistical Area associated with at least one urbanized area that has a population of at least 50,000. The Metropolitan Statistical Area comprises the Central County or counties containing the core, plus adjacent outlying counties having a high degree of social and economic integration with the central county as measured through commuting. » (Federal Register, 2000, p.82238).

54.

Les revenus moyens des villes américaines en 2000 sont convertis en euros à partir d’une moyenne calculée selon le cours de change de l’euro, de janvier 1999 jusqu’en avril 2007, disponible sur le site de la Banque Centrale Européenne (1EUR=1,0975 USD). Le revenu moyen à Paris correspond à l’année 2001.