2.3. En conclusion

L’analyse des revenus fiscaux des ménages selon plusieurs échelles spatiales nous a permis de confirmer certaines hypothèses et d’apporter des éléments de réponses permettant de comprendre la ségrégation spatiale en France.

La ségrégation en France est loin d’être un simple artefact d’une échelle spatiale particulière. Elle est un fait reconnu suivant différentes échelles globales (nationale, régionale, et intra-urbaine) et confirmé à des niveaux de mesure intra-urbains variés (bassins de vie, communes et quartiers).

Les inégalités intercommunales augmentent durant ces vingt dernières années sur l’ensemble des territoires et plus particulièrement dans l’espace urbain. Loin de réduire les inégalités spatiales, la croissance des richesses des ménages contribue à leur accroissement à l’échelle nationale mais aussi sur la majorité des aires urbaines françaises. Alors que le revenu moyen des ménages augmente sur l’ensemble des territoires, les écarts de revenus se sont creusés entre les communes riches et les communes pauvres pendant la période 1984-2004. Même si certaines communes pauvres voient leurs revenus légèrement augmenter, cette croissance est faible. Les communes riches sont de plus en plus riches et les inégalités intercommunales sont plus le produit de cette croissance forte. La croissance des inégalités socio-spatiales accompagne la croissance et le développement économique. Cela renforce le doute sur le potentiel effet égalisateur de la seule croissance économique et met en avant l’influence du phénomène de la métropolisation à l’échelle des villes.

L’inégalité spatiale entre les quartiers de la même aire urbaine représente une part importante de l’inégalité totale entre les ménages, au détriment de l’inégalité et l’hétérogénéité à l’intérieur des quartiers, montrant ainsi une forte ségrégation spatiale. La métropole parisienne est l’aire urbaine la plus ségréguée en France, comme c’est d’ailleurs le cas de la métropole américaine de New York. Au-delà des limites de la comparaison entre ces deux contextes urbains différents, Paris est beaucoup moins inégalitaire et moins ségréguée que New York, mais elle n’est pas moins marquée par les inégalités entre les quartiers et la ségrégation spatiale par rapport à d’autres aires métropolitaines telles que Washington ou Detroit. A travers l’exemple parisien, nous soulignons l’importance à la fois de la taille de population et des emplois supérieurs comme des facteurs susceptibles d’expliquer le fort niveau de ségrégation, sans toutefois les considérer comme exclusifs. Le chapitre 4 aura pour objectif d’identifier les autres variables explicatives à travers l’examen du lien entre la densité et la ségrégation spatiale sur l’ensemble des 100 aires urbaines.

La ségrégation intra-urbaine est étroitement liée à la question de l’échelle de mesure, qu’elle soit basée sur la proximité par rapport au lieu de résidence (quartier, commune) ou sur l’accès à l’emploi et aux aménités pour les habitants (bassin de vie). Les interactions sociales sont différentes selon le lieu de résidence, d’étude ou de travail et chaque territoire nous renseigne sur un degré et un type particulier de ségrégation. Il n’existe, bien évidemment, pas une seule échelle de mesure pertinente et l’ensemble des échelles sont complémentaires pour comprendre les imbrications de la ségrégation spatiale dans la ville.

La ségrégation spatiale est plus élevée selon que l’échelle de mesure est réduite. Elle est plus élevée à l’échelle du quartier par rapport à l’échelle communale, mais les aires urbaines les plus ségréguées à l’échelle communale sont également les plus ségréguées à l’échelle du quartier. Certaines ont même un niveau d’inégalité entre les quartiers relativement proche de celui constaté entre les communes, comme c’est le cas à Paris. Dans cette aire urbaine, les quartiers aisés et pauvres ressemblent à leur commune. En revanche, certaines aires urbaines apparemment moins ségréguées à l’échelle de la commune se retrouvent parmi les plus ségréguées à l’échelle fine du quartier, à l’image de Nîmes. Cela est expliqué par la forte hétérogénéité de la commune-centre qui regroupe des quartiers pauvres et des quartiers aisés.

Par ailleurs, l’échelle des bassins de vie de l’INSEE apporte une information différente mais complémentaire. Alors que certaines aires urbaines, a priori polycentriques, sont parmi les plus ségréguées à l’échelle du quartier (Lille et Marseille), elles se retrouvent parmi les villes les moins ségréguées à l’échelle du bassin de vie. Cela permet d’avancer l’hypothèse selon laquelle les aires urbaines polycentriques sont moins ségréguées à l’échelle du bassin de vie (accessibilité) mais elles sont plus ségréguées à l’échelle du quartier (proximité). C’est la deuxième partie de cette hypothèse que nous tentons de tester dans le chapitre 5, à travers l’analyse du rôle du polycentrisme dans la ségrégation spatiale à l’échelle du quartier et de la commune.

Enfin, pour mieux comprendre la ségrégation spatiale dans la ville il serait souhaitable d’analyser la concentration de l’inégalité à plusieurs niveaux d’agrégation spatiale, en partant de l’échelle individuelle jusqu’à celle de l’espace urbain.