Chapitre 4 : Étalement urbain, densité et ségrégation : une analyse sur 100 aires urbaines

Les dynamiques métropolitaines de suburbanisation des populations et des activités ont profondément changé le visage et le fonctionnement des villes contemporaines. Propulsé par la croissance de la taille des villes, la concurrence sur ses externalités positives ou la fuite de ses externalités négatives, l’augmentation du niveau de vie et la baisse du coût de transport, ce développement urbain à faible densité est souvent jugé peu compatible avec les objectifs économiques et environnementaux du développement durable. Il est consommateur d’espace et d’énergie car il encourage souvent le mode individuel d’habitat et de transport vers le centre de la ville. Il est parfois considéré comme une structure urbaine ségrégative sous prétexte qu’il ébranle la densité, les interactions et de lien social dans la ville et isole une partie de sa population. L’étalement urbain est-il réellement responsable de tous ces maux et plus particulièrement celui de la ségrégation spatiale ?

Dans une large partie de la littérature américaine, la question de la ségrégation urbaine est étroitement liée à la déconcentration de la population, à travers les mouvements du white flight (Mieszkowski et Mills, 1993),contribuant à la formation des edges cities (Garreau, 1991) et au déclin du centre. De ce point de vue, les villes étalées ou à faible densité ont souvent été considérées comme les plus ségrégées. Des travaux plus récents ont examiné l’effet de la forme urbaine sur la ségrégation à travers la densité et l’étalement urbain (Pendall et Carruthers, 2003 ; Galster et Cutsinguer, 2005 ; Glaeser et Gottlieb, 2006 ; Yang et Jargowsky, 2006). Les résultats sont peu concluants, mais permettent de réinterroger le principe même de la ville compacte et de ces avantages par rapport à la dimension sociale.

En France, le fait que la densité et la mixité sociale soient deux objectifs de la politique urbaine visant d’une part à réduire l’étalement urbain, et d’autre part la ségrégation spatiale, nécessite d’autant plus une analyse conjointe. Avec l’émergence des thèses portant sur la gentrification (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2004) et la fuite des classes moyennes vers les périphéries des villes (Guilly et Noye, 2004), les politiques de densification des zones centrales des villes sont remises en cause, car elles sont considérées comme des actions de pure valorisation de l’espace contribuant ainsi à la ségrégation.

Ce chapitre vise à analyser l’impact de la forme étalée de la croissance urbaine sur la ségrégation spatiale à travers la densité. Nous commençons tout d’abord par une revue de littérature sur la relation entre l’étalement urbain, la densité et la ségrégation spatiale, en précisant la nature du lien attendu (1). Ensuite, nous analysons empiriquement la relation entre la densité de population et la ségrégation spatiale (2), sur les 100 plus grandes aires urbaines françaises à partir des résultats obtenus à l’échelle du quartier en 2001 (Cf. chapitre 3). Nous tentons également de déterminer à partir de la littérature, principalement américaine, et l’analyse exploratoire, les principaux déterminants de la ségrégation spatiale dans les villes françaises. Notre objectif est de vérifier, dans un premier temps, si la faible densité résidentielle de l’aire urbaine est réellement responsable de la ségrégation. Une plus forte densité permet dans ce cas un rapprochement des différents groupes sociaux et facilite les interactions sociales. C’est d’ailleurs le principe même de « la ville conviviale » cher à Beckmann (Derycke, 1992 ; Fujita et Thisse, 2003). La distinction centre-périphérie à partir du modèle monocentrique de Bussière amendé (Bonnafous et Tabourin, 1998 ; Tabourin et al. 1995) permet, dans un deuxième temps, de tester l’effet de la densité centrale et son niveau d’étalement (dilatation) ainsi que la densité périphérique sur le niveau de ségrégation de l’aire urbaine.