1.1.1.1. Ville étalée ou ville dense ?

Alors que l’étalement est perçu aujourd’hui comme un mal qu’il faut combattre, il est parfois surprenant de constater que les premières visions de la planification des urbanistes notamment en Amérique du Nord considéraient l’étalement ou le développement à faible densité comme étant une forme urbaine idéale. Tout dépend du contexte, des arguments et des valeurs défendues vis-à-vis de l’étalement urbain et les conséquences des forces contradictoires de concentration et de dispersion (Banerjee et Verma, 2005). Le rôle de l’aménagement est de minimiser les conséquences négatives et de maximiser les bénéfices.

Il y a eu dans l’histoire de l’aménagement plusieurs visions de la forme de la ville selon les différentes priorités économique, environnementale et sociale. Pour le même objectif d’efficacité économique (décongestion), certains urbanistes « utopistes » proposaient la ville dispersée alors que d’autres prônaient la ville dense. Nous allons retenir deux exemples illustratifs de la variabilité et de la contradiction des jugements portés sur la forme urbaine. Le premier concerne Le Corbusier qui considère la densité comme la meilleure solution pour la ville, tandis que le deuxième, celui de F-L Wright, favorise la dispersion et la dédensification de la ville.

Le principe dans la réflexion chez Le Corbusier (1887-1965) est d’augmenter la densité des villes, tout en améliorant la mobilité et la vitesse en particulier. La meilleure solution est d’élever au maximum les densités dans les centres pour garantir la proximité. Il s’agit de la cité-jardin verticale (cité radieuse) qui prend la place de la cité-jardin horizontale de Howard qui vise à associer les vertus de la ville et celles de la campagne. Cependant, un seul immeuble fera l’équivalent de toute une cité. Ce qui permet de gagner de l’espace vert et de garantir l’efficacité économique grâce à la vitesse, car la ville qui dispose de la vitesse, dispose du succès (Wachter, 2003). Le Corbusier considère que les solutions visant à réduire les densités et la congestion au sein des villes ne sont pas efficaces car elles engendrent souvent des coûts d’urbanisation importants, notamment d’infrastructures routières, et augmentent les migrations alternantes des banlieusards. En 1922, il propose même de bâtir une ville verte moderne de trois millions d’habitants à Paris sur la rive droite de la Seine capable de mettre fin aux problèmes des déplacements périphériques.

Même s’il donne lui aussi une grande importance à la mobilité, l’exemple de Broadacre city ou la « non-ville » de Frank Lloyd Wright (1867-1959), proposée en 1932, était une prescription pour l’étalement et la dispersion par excellence. Ce projet centré sur l’individu, l’anti-densité et l’anti-proximité propose un acre (autour de 4000 m2) de sol par personne et met l’automobile au centre de ses rapport avec l’espace. Wright voit dans la concentration de la ville la source de tous les maux et considère que la dispersion est plus appropriée pour une société ouverte, efficace et intégrée grâce à l’automobile. Les activités économiques peuvent se développer sur les nœuds du réseau sans hiérarchie de type centre-périphérie. D’autres recommandations pour la faible densité avaient même pour objectif de minimiser les effets négatifs de la ville dense sur l’écosystème et la santé des populations (Banerjee et Verma, 2005). Il ne faut pas oublier que l’étalement urbain était également la solution à la pollution et la promiscuité entre l’usine et l’espace résidentiel : « Le lieu de travail tend à être séparé du lieu de résidence, car la proximité d’établissements industriels et commerciaux rend une zone impropre -à la fois économiquement et socialement- à des fins résidentiels » (Wirth, 1938 in Grafmeyer et Joseph, p. 270). Cela dit, cet étalement sélectif était à l’origine de la division fonctionnelle de l’espace et de la ségrégation socio-spatiale dans la ville industrielle, car il ne concernait pas toutes les classes sociales. D’ailleurs, très peu de littérature a explicitement abordé la question de l’équité et les implications sociales de la forme urbaine étalée (Squires, 2002).